Le départ

La direction avait accordé l’après-midi à tout le personnel, histoire de leur laisser le temps de rentrer chez eux, de faire leurs sacs, de se convaincre que ce “team building” allait être autre chose qu’un week-end d’enfance tardive. Ralantsoa, elle, n’avait besoin ni de préparation mentale ni de valise sophistiquée. Une trousse, deux tenues neutres, un cahier au cas où elle aurait envie de travailler. Voilà.

Elle n’avait aucune envie de venir, mais aucune intention d’arriver en retard.

À 17h45, elle était déjà devant l’entrée principale de l’entreprise, debout, droite comme une lance. Ses bras croisés trahissaient son humeur : serrés, verrouillés, déterminés à ne laisser filtrer aucune émotion.

Malheureusement pour elle, Ny Aina était déjà là.

Il sortit de sa voiture juste au moment où elle arrivait, vêtu d’un polo bleu nuit et d’un sourire qui annonçait déjà la guerre.

— Quinze minutes d’avance ? Siffla-t-il. Je suis impressionné.

— Même quand je suis forcée, je fais les choses correctement, répliqua-t-elle du tac au tac.

— Un bel exemple pour vos collègues.

— Mon exemple ne les a jamais intéressés, répondit-elle sans détour.

Il rit doucement, les mains dans les poches.

Les premiers employés arrivèrent peu à peu. L’ambiance était légère, détendue, presque festive.

Ralantsoa s’en tenait à l’écart. Toujours un pas derrière ou devant, mais jamais avec.

Quand le minibus arriva, chacun se pressa pour choisir sa place… loin d’elle. Ce n’était même plus une surprise. Les sièges se remplirent autour, devant, derrière — sauf celui à sa droite.

Puis Ny Aina monta dans le véhicule.

Et sans demander l’avis de personne, il vint s’asseoir à côté d’elle.

Elle se raidit instantanément.

— Personne ne voulait prendre le risque ? Souffla-t-il à mi-voix.

Elle détourna à peine la tête.

— Peut-être qu’ils savent reconnaître une cause perdue.

Il rit encore. Pas bruyamment. Mais avec ce ton amusé qui disait : je ne vais pas te laisser gagner.

— J’aime beaucoup les causes perdue.

Le moteur ronronna, le minibus démarra. Les paysages de Tamatave commencèrent à défiler, mais Ralantsoa n’y prêta aucune attention. Elle fixait la route, les épaules tendues, refusant de se laisser contaminer par la légèreté ambiante.

— Vous aimez la mer ? demanda Ny Aina après quelques minutes.

— Non. Trop d’eau.

— Vous êtes plutôt montagne, alors ?

— Je suis plutôt bureau. Ordre et silence.

Il acquiesça, comme s’il venait de recevoir une information capitale.

— Ça va être un week-end très enrichissant, je le sens.

Elle soupira.

— Je le sens aussi…mais pas dans le bon sens du terme.

Il tourna légèrement la tête vers elle.

— Vous verrez. Vous en garderez peut-être même un bon souvenir.

Elle serra les dents.

— Ce serait une première.

— Vous vous braquez toujours comme ça quand on vous demande de vous détendre ?

— Oui, monsieur le Directeur. Je suis toujours comme ça quand on me prive de mon weekend.

— Hum… On ne vous prive pas de votre weekend, Ralantsoa. On l’améliore pour vous.

— Je vois plutôt une détérioration, dit-elle, glaciale.

Elle détourna le regard. Ce ton bas, presque complice, l’agace.

Ou peut-être… la trouble. Elle préféra ne pas y penser.

— C’est ce qu’on verra, répliqua-t-il au creux de son oreille.