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Le prix du silence

Author: Lana Ralm
last update Last Updated: 2025-07-01 16:35:46

Les jours suivants passèrent trop vite au goût de Ralantsoa.

Déjà qu’elle n’avait aucune envie de sacrifier son week-end pour aller “jouer” à Foulpointe avec une nuée de dindes bavardes prêtes à partir en colonie de vacances, voilà qu’elle devait en plus tout organiser en avance. Son esprit était ailleurs, divisé entre la préparation de l’arrivée de sa sœur et de son neveu, et l’ombre toujours plus encombrante de ce fameux départ collectif.

Elle enrageait.

Elle bouillonnait intérieurement.

Mais comme souvent, elle n’en montra rien.

Pas un mot plus haut que l’autre.

Juste une tension dans la nuque, une raideur dans les gestes, et ce tic discret au coin de la bouche lorsqu’elle tapait un peu trop fort sur les touches du clavier.

Le vendredi matin, l’ambiance au bureau était insupportable.

On n’entendait plus les imprimantes, mais les rires, les plans de covoiturage, les “Tu mets quoi comme tenue ?” et les “J’espère qu’il y aura un karaoké !”

Le travail avait disparu.

Remplacé par une excitation généralisée qui la rendait malade.

Elle claqua son stylo sur la table et se leva brusquement, comme pour chasser l’air chaud de la pièce. Elle sortit dans le couloir, espérant une bouffée d’air frais.

Mais elle tomba nez à nez avec Ny Aina.

Il était là, calme, posé contre le mur, les mains dans les poches, l’air d’un homme parfaitement satisfait du désordre qu’il avait semé.

— Vous n’avez pas l’air très emballée par notre petit week-end, dit-il doucement, avec son habituel demi-sourire.

Elle le fusilla du regard.

— Je suis désolée si je ne partage pas l’enthousiasme d’un troupeau d’adolescents en uniforme. Certains ici ont des responsabilités. Et des vies.

— C’est justement pour ça que c’est important, répondit-il, le ton plus sérieux. Quand l’esprit est tendu, l’équipe se désagrège. Une entreprise, c’est une machine humaine. Sans cohésion, elle s’effondre.

Elle croisa les bras.

— Ce qui tient une entreprise, c’est le travail. Pas les jeux de plage et les marshmallows au feu de bois.

Il haussa les épaules, imperturbable. S’approcha doucement et se pencha légèrement vers elle :

— On verra bien dimanche soir qui avait raison, murmura-t-il à son oreille.

Elle serra les dents.

Pourquoi fallait-il toujours qu’il ait le dernier mot sans élever la voix ?

Et surtout… pourquoi ce murmure, si près, si intime, la déstabilisait-il autant ?

— Vous perdez votre temps, lança-t-elle en se détournant.

— Peut-être, répondit-il. Mais j’ai l’habitude d’en tirer quelque chose.

Ralantsoa sentit un léger frisson lui parcourir l’échine. Elle inspira profondément, tentant de chasser ce malaise.

Cette proximité, cette tension… c’était nouveau.

Et elle n’aimait pas ça. Pas du tout.

Elle rentra dans son bureau, le cœur battant.

Son regard se posa sur le sandwich oublié, puis sur l’écran d’ordinateur.

Les chiffres, les rapports, tout semblait soudain plus flous, moins nets.

Un malaise diffus, une émotion qu’elle n’avait jamais ressentie.

Un trouble qu’elle n’était pas prête à nommer.

Elle secoua la tête, cherchant à chasser cette pensée.

Mais elle savait au fond d’elle que ce sentiment ne s’évanouirait pas si facilement.

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