Le bâtiment de la société CoralBay Logistics, surplombait la mer, massif, gris et climatisé à outrance. À l’intérieur, les employés marchaient vite, parlaient bas, et priaient mentalement de ne pas croiser Ralantsoa Andriamifidy, la Directrice des Opérations.
Ralantsoa — 34 ans, costume taillé au millimètre, regard capable de geler l’océan Indien — faisait claquer ses talons sur le carrelage comme une cadence militaire.
Dès qu’elle franchissait la porte de son bureau, une chose était sûre : quelqu’un allait s’en prendre plein la figure. Le dragon adorait faire saigner l’égo en réunion ouverte.
— Vous appelez ça un rapport trimestriel, Mme Rabearivelo ? On est vendredi, pas lundi matin. Corrigez ça immédiatement.
Pas un sourire. Pas un mot inutile. Pas de pause-café, pas de déj’ au Kanto Snack. Pour elle, l’efficacité était une vertu cardinale, la rigueur un mode de vie.
Ce matin-là, pourtant, l’équilibre brutal de son univers s'apprêtait à vaciller.
Dans les bureaux, les employés chuchotaient.
— T’as vu le nouveau Directeur?
— Il vient de Tanà, il paraît qu’il a dirigé une boîte de télécoms. — Il est… trop beau. Et il a souri à la réceptionniste. Genre un vrai sourir.— Finalement, on va peut-être plus avoir le dragon sur le dos.
Tout le monde pouffa.
Dans la salle de conférence, un homme d’une trentaine d’année, grand…très beau, s’y tenait pour se présenter officiellement aux principaux cadres du département. Il était patiemment assis dans son fauteuil..
Ralantsoa entra, comme une rafale sèche. Et là, elle le vit. Assis nonchalamment en bout de table, chemise retroussée aux coudes, regard brillant d’humour contenu. Il se leva avec un sourire.
— Ralantsoa Andriamifidy, j’imagine ? Enchanté. Je suis Ny Aina Andrianisa. Je crois qu’on va devoir se supporter quelque temps.
Elle leva les yeux vers lui, impassible. Ou du moins, en apparence.
Son visage ne trahit rien. Aucun froncement de sourcil. Aucune crispation des lèvres. Elle se contenta de croiser les bras, droite comme une lame, et de le fixer, comme on jauge une menace déguisée en sourire.
À l’intérieur, pourtant, quelque chose se tendit — une résistance soudaine, instinctive. Ce genre d’homme, elle les connaissait. Trop à l’aise. Trop sûr d’eux. Trop… lumineux. Le genre à retourner un open space en deux blagues et trois clins d’œil.
Elle, elle était l’ordre. La ligne droite. Le silence utile.
Et lui… il était le désordre élégant.— Je préfère qu’on collabore efficacement, répondit-elle froidement. Les histoires de “support”, je les laisse aux équipes commerciales.
Elle lui tendit la main. Un contact ferme, sec, sans fioriture. Mais sous la paume, elle sentit quelque chose d’étrange. Une chaleur. Une légèreté qui n’était pas la sienne. Et qu’elle détesta instantanément.
Il sourit de plus belle. Bien sûr qu’il souriait.
— Ça promet, dit-il simplement.
— Je vous demande pardon ?
— Oh, non, ne le prenez pas mal. Je pense juste que ce ne sera pas évident de travailler sans la bonne humeur.
— Nous sommes ici pour travailler, monsieur Andrianisa, pas pour se détendre.
— Mais vous savez qu’en combinant les deux on peut avoir de meilleur résultat ?
— Non, cela n’a jamais été mon mode de fonctionnement.
— Hum, comme je l’ai dit, ça promet.
Ralantsoa se raidit mais n’ajouta rien. Elle se détourna sans un mot de plus, son pas claquant sur le carrelage glacé.
Elle sentait déjà que cet homme allait lui pourrir la vie.
Ou pire… la faire vaciller.Madame Vero garda le silence un moment, les yeux rivés sur l’enveloppe posée devant elle. Elle la prit du bout des doigts, comme si elle pesait plus lourd qu’elle ne l’était réellement, puis la posa doucement à côté de son carnet.— Très bien, finit-elle par dire. Je prendrai note de votre décision, Ralantsoa. Le préavis débutera donc demain. Officiellement.Elle releva les yeux vers elle.— Je suppose que votre décision est définitive ?Ralantsoa acquiesça, calme.— Elle l’est.— Très bien, répéta Madame Vero, d’un ton plus neutre. Vous êtes une collaboratrice précieuse, je le pense sincèrement. Mais si c’est ce que vous jugez le mieux pour vous, je ne peux que respecter ça.Elle se tourna ensuite vers Ny Aina, qui n’avait toujours pas prononcé un mot. Il avait le regard fixé quelque part entre ses mains, le visage figé.— Et vous, Ny Aina ? Vous souhaitez ajouter quelque chose ?Il secoua la tête lentement.— Non, madame. Je respecte sa décision.Un silence tendu s’installa. Madame
L’après-midi touchait à sa fin lorsque Ralantsoa rejoignit Fara dans la chambre qu’elle occupait depuis son arrivée. Sa sœur pliait ses affaires avec son fils qui jouait à côté d’elle. Le simple fait de la voir ainsi, sur le point de repartir, fit monter une boule dans la gorge de Ralantsoa.Fara leva la tête en la voyant entré.— Tu viens m’embêter pour bien faire ma valise ? demanda-t-elle en souriant.— Je voulais surtout profiter un peu de toi avant que tu partes.Ralantsoa s’assit sur le lit. Fara la regarda avec attention.— Comment tu te sens ?Ralantsoa hésita, puis haussa les épaules.— Fatiguée. Vidée. Et j’ai toujours ces foutues nausées.Fara s’assit à côté d’elle et posa une main sur son bras.— Ce n’est pas étonnant avec tout ce que tu traverses. Mais ne reste pas seule avec ça, okay ? Et prends soin de toi. Pour toi et pour ce bébé.Ralantsoa acquiesça en silence. Fara la serra alors contre elle, dans une étreinte chaleureuse qui lui fit du bien.— Je serai loin, bien s
Ralantsoa était presque prête à partir quand Ny Aina apparut dans l’encadrement de la porte, l’air tourmenté.— Ralantsoa, s’il te plaît… reste encore un peu. On peut en parler. Je t’en prie.Elle se figea quelques secondes, mais reprit aussitôt son geste pour fermer son sac.— Non, Ny Aina. Pas aujourd’hui. J’ai besoin de prendre du recul.Il s’approcha, essayant de la retenir par le bras, mais elle esquiva doucement son geste.— Je ne peux pas te forcer à comprendre ce que je ressens, dit-elle d’une voix lasse. Mais là, j’ai besoin d’être loin de toi. Je t’avais fait confiance…— Ralantsoa… je suis désolé. Je n’aurais jamais dû te le cacher. Mais je tiens à toi, et ça, je ne te l’ai jamais caché.Elle leva un regard douloureux vers lui, puis secoua la tête.— Ça ne suffit pas, Ny Aina. Pas après ce que tu as fait.Elle quitta la pièce sans se retourner, sortit rapidement et quitta la maison, laissant Ny Aina seul, impuissant.Arrivée chez elle, elle retrouva ses parents au salon. To
Lorsqu’ils sortirent enfin du bureau, les couloirs étaient presque vides. La plupart des employés avaient déjà quitté les lieux. Le silence des locaux contrastait cruellement avec le tumulte intérieur de Ralantsoa.Elle marchait lentement, à côté de Ny Aina, comme si chaque pas l’éloignait un peu plus de son équilibre fragile. Il ne disait rien. Il la regardait seulement, veillant à ce qu’elle ne vacille pas.Dans l’ascenseur, aucun mot ne fut échangé. Juste leurs souffles mêlés, et leurs pensées enchevêtrées. Au rez-de-chaussée, elle serra son sac contre elle comme si c’était une armure invisible. Dès qu’ils franchirent les portes vitrées de l’immeuble, l’air chaud de la fin d’après-midi les enveloppa.— Viens chez moi, souffla Ny Aina doucement. Juste un moment. Tu as besoin de te poser.Ralantsoa acquiesça, incapable de protester. Elle en avait besoin. Elle ne voulait pas rentrer tout de suite chez elle. Pas maintenant. Pas avec tout ce qui l’attendait.Le trajet en voiture se fit
Ralantsoa tourna la tête lentement, le souffle court, la main encore posée sur la nuque de Ny Aina. Ce qu’elle vit la fit blêmir. Madame Vero.La Responsable des Ressources Humaines. Tailleur sobre, cheveux tirés en un chignon impeccable, regard froid comme une lame. Elle se tenait droite dans l’encadrement, bras croisés sur la poitrine, l'air impassible.Mais ce qui glaça le sang de Ralantsoa, ce fut le silence qui suivit. Pas un mot. Pas une expression. Juste ce regard perçant.Puis, dans un geste sec, Mme Vero entra dans le bureau et referma la porte d’un clic net derrière elle.Elle s’approcha lentement du bureau, laissant ses talons résonner dans l’air tendu. Elle planta son regard dans celui de Ralantsoa, puis de Ny Aina.— Vous avez une explication ?Ni l’un ni l’autre ne répondit tout de suite.— Je vous écoute, insista-t-elle, toujours d’un calme glacial. Je vous rappelle que l’interdiction de relations entre collègues n’est pas une ligne décorative dans le règlement intérieu
Pour le reste de la semaine, Ralantsoa et Ny Aina continuèrent à vivre dans une espèce de bulle, loin des regards des autres. Au bureau, ils faisaient tout pour éviter de se croiser. Ils se concentraient sur leurs tâches respectives, faisant de leur mieux pour que rien ne laisse transparaître la vérité. La distance qu’ils s'imposaient pendant la journée n'atténuait en rien les sentiments qui brûlaient en eux, mais c’était un compromis nécessaire. Le soir, lorsqu'ils se retrouvaient, ils laissaient tout derrière eux, trouvant un semblant de paix dans la présence de l’autre, mais la pression montait, subtilement.Les jours se succédaient et, malgré la complicité qu'ils ressentaient l’un pour l’autre, quelque chose de lourd persistait. La grossesse de Ralantsoa devenait de plus en plus évidente pour elle, mais elle n’en parlait pas encore à ses proches, ayant peur de ce qu’ils en penseraient. Elle avait l'impression que son corps changeait de plus en plus chaque jour, mais elle faisait d