LOGINL’après-midi s’écoulait lentement, mais pas assez à son goût.
Ralantsoa avait repris son rythme habituel : silence, concentration, rigueur. Le sandwich du matin trônait toujours, intact, sur le coin de son bureau. Comme un rappel moqueur de l’invasion.
Et puis, vers 15 heures, un autre bruit s’éleva dans le couloir. Pas des éclats de rire, cette fois. Plutôt un mélange d’excitation contenue, de bavardages vifs.
Elle leva les yeux au plafond, inspira par le nez.
Encore.
Ralantsoa se leva d’un bond, ouvrit la porte brusquement et sortit. Elle attrapa au passage Madame Vero du service RH, qui passait avec des feuilles imprimées à la main.
— Qu’est-ce qu’il se passe encore ? lança-t-elle d’un ton tranchant.
Vero, un peu surprise, ralentit.
— Ah, bonjour madame Ralantsoa ! Je venais justement vous apporter le programme. Le service RH organise un team building ce weekend. On partira vendredi soir à 18h pour Foulpointe, retour dimanche même heure.
Ralantsoa plissa les yeux.
— Et c’est censé me concerner ?
— Oui, répondit Vero, un peu plus hésitante. Cette fois-ci, la direction — donc monsieur Ny Aina — a exigé la présence de tout le personnel cadre, sans exception. Il a même précisé que ce serait noté dans le rapport RH trimestriel.
Un silence. Glacial.
Les bras de Ralantsoa se croisèrent lentement. Son regard lançait des éclairs, littéralement. Elle n’en croyait pas ses oreilles. Elle, contrainte de participer à un week-end de jeux ridicules, entourée d’adultes transformés en enfants surexcités ?
Et tout ça… à cause de lui.
Comme pour confirmer ses pensées, elle leva la tête et croisa son regard.
Ny Aina. Adossé au mur, non loin. Bras croisés, un demi-sourire accroché au coin des lèvres. Il avait vu toute la scène. Et il savourait.
Il se redressa et s’approcha lentement.
Elle recula instinctivement d’un pas, puis pivota brusquement sur ses talons.
Elle rentra dans son bureau et claqua la porte.
Un geste qu’elle ne se permettait jamais.
Elle ferma les yeux, tenta de reprendre le contrôle de sa respiration. Mais un coup discret à la porte la fit se retourner.
Avant même qu’elle ne réponde, la poignée s’abaissa.
Ny Aina entra.
— Vous prenez toujours aussi bien les bonnes nouvelles ? lança-t-il doucement, avec cet air qui oscillait entre la moquerie et la curiosité.
Ralantsoa le fixa comme si elle allait lui lancer une agrafeuse au visage.
— Vous pensez vraiment qu’il est intelligent d’imposer ce genre de… de distraction à une équipe déjà surchargée ?
— Ce genre de distraction, comme vous dites, c’est exactement ce dont votre équipe a besoin. Elle a peur de vous, Ralantsoa. Et ce n’est pas de l’autorité, ça. C’est du blocage.
Elle s’avança d’un pas. Il soutint son regard.
— Je ne suis pas là pour me faire aimer, monsieur Ny Aina. Je suis là pour que les résultats soient atteints. Point.
— Et moi, je suis là pour que l’équipe y arrive ensemble. Pas sous la menace.
Un silence. Tendu. Presque électrique.
— Vous avez tort si vous croyez pouvoir changer la structure par un pique-nique, murmura-t-elle, glaciale.
— Peut-être. Mais j’ai le droit d’essayer.
Elle serra les mâchoires. Il la défiait. Sans hausser la voix. Sans jamais perdre son calme. Et ça la rendait dingue.
— Sortez de mon bureau, dit-elle enfin.
Il la fixa une seconde. Puis souris.
— Je ne suis pas l’un de vos subordonnés, Ralantsoa. Même s'il est évident que vous ne me portez pas dans votre cœur, ne l’oubliez pas.
Ralantsoa se raidit :
— Toutes mes excuses, monsieur Ny Aina. Cela ne se reproduira plus, dit-elle, glacial.
— Bien ! Rendez-vous vendredi à 18h. En tenue décontractée. Sauf si vous avez peur de relâcher un peu la pression, madame la dragonne.
Il sortit.
Elle resta figée.
Elle allait le tuer. C'est sûr, elle allait le tuer.
Ralantsoa resta immobile, le souffle court, tandis que la porte se refermait sur le silence. La pièce semblait vouloir l’avaler. Son cœur battait si fort qu’elle craignait qu’il n’alerte ses gardes. Pourtant, sous la peur, une petite flamme d’obstination brûlait désormais plus vive : elle n’était pas seulement captive — elle était une clef. Et une clef, ça se tourne, ça se force.Elle reprit son travail, méthodique. La corde, déjà fragilisée, rendit un nouveau fil ; elle sut que le temps jouait pour elle. Ses doigts, engourdis mais précis, cherchèrent une faiblesse dans la boucle. Les mouvements de la main, répétés, étaient douloureux, mais le fil finit par lâcher encore d’un demi-centimètre. Une mince marge. Une marge suffisante pour glisser la main à travers et, peut-être, agripper le métal derrière la fixation.Des pas se firent entendre dans le couloir — trois, puis deux ; la cadence d’un changement de poste. Ralantsoa se recroquevilla et feignit l’évanouissement. Lorsqu’un garde
Ralantsoa sentit chaque mot comme une alarme qui tonne contre ses tempes. Il vient de rentrer. Les syllabes résonnaient encore, lourdes. Son corps se raidit ; la petite victoire sur la corde lui parut tout à coup dérisoire. Si il venait, tout changeait — soit il était la clef, soit il était la menace finale.Elle rouvrit très lentement les yeux et scruta l’obscurité. La pièce paraissait plus petite à présent, comme si les murs avaient reculé pour mieux l’enfermer. Ses doigts, engourdis mais acharnés, cherchèrent la partie usée de la corde. Il fallait qu’elle gagne encore un centimètre, juste un centimètre de plus pour glisser la main sous le lien, atteindre la boucle, et — si la chance lui
Lorsque Ralantsoa rouvrit les yeux, tout était plongé dans une semi-obscurité. Son corps était étendu sur un siège inconfortable, les mains attachées sur les accoudoirs. La pièce était silencieuse, à l’exception d’un léger bourdonnement électrique au loin. L’air était froid et chargé d’une odeur étrange qu’elle ne pouvait identifier.Elle essaya de bouger, mais ses muscles étaient raides et ses membres engourdis par l’effet du chloroforme. Sa panique monta d’un cran.— Où… où suis-je ? murmura-t-elle, sa voix tremblante.Une lumière s’alluma doucement au plafond, révélant un es
Ralantsoa ajusta une dernière fois son foulard devant le miroir, inspira profondément et attrapa son sac. La matinée s’annonçait chargée, mais elle n’avait pas perdu son calme habituel. Trente minutes plus tard, elle referma la porte de sa chambre et descendit les escaliers d’un pas léger. Sort de la maison en disant au revoir à ses parents.Dehors, l’air était encore frais. Elle s’avança vers la route pour héler un tuk-tuk.Un grondement discret se fit entendre. Un SUV noir aux vitres teintées s’arrêta juste devant elle, ses pneus crissant légèrement sur le bitume. L’instinct de Ralantsoa la fit reculer aussitôt, son cœur battant plus vite.La portière arriè
Ny Aina gara la voiture devant l’immeuble du bureau, son cœur battant plus vite qu’il ne l’aurait voulu. La façade grise, d’ordinaire si banale, lui parut ce matin presque menaçante. Il resta quelques secondes assis derrière le volant, le moteur encore allumé, comme pour rassembler ses forces.Finalement, il coupa le contact, attrapa son sac et descendit. À peine avait-il franchi le seuil qu’il croisa le regard furtif d’un agent de sécurité, plus appuyé qu’à l’accoutumée. Une impression désagréable le parcourut, mais il continua sa marche d’un pas assuré.Dans le couloir menant au bureau de Mme Vero, tout semblait calme. Les conversations feutrées s’éteignaient à son passage, et il crut pe
Ny Aina resta un moment immobile, le téléphone encore chaud entre ses doigts. Ses épaules s’affaissèrent légèrement, comme si tout le poids de la conversation venait de retomber sur lui.— Aller la voir… répéta-t-il d’une voix basse, presque pour lui-même.Ralantsoa inclina la tête, ses yeux brillants d’une douceur mêlée d’inquiétude.— Oui. Elle t’a parlé comme si elle n’avait plus personne. Et toi… tu as encore une place dans son histoire, même si ce n’est plus la même qu’avant.Il ferma les yeux un instant, inspirant profondément. Les images de son passé avec Linah revinrent comme des &eacut







