로그인Point de Vue : Elara Vannucci
Huit ans. Huit ans que le cri d'Alessandro avait déchiré le silence de la panic room, scellant à jamais le destin de la Famille Vannucci. Huit ans que le sang de Matteo et de Silvio avait fini de sécher, laissant place à une prospérité si propre, si clinique, qu’on en oublierait presque qu’elle avait été bâtie sur des cadavres. Je me tenais debout devant l'immense baie vitrée de mon bureau, au dernier étage de la Tour Vannucci, à Palerme. Ce n'était plus une villa de pierre ; c'était une forteresse de verre et d'acier, dominant la ville comme un dieu moderne. À trente-deux ans, mon reflet m'offrait l'image d'une femme que le monde craignait et respectait. Ma robe en soie gris perle épousait une silhouette que les années et les responsabilités n'avaient fait qu'affermir. Le saphir noir à mon doigt brillait d'un éclat sombre, rappel constant de mon serment. Sur mon bureau, trois écrans holographiques affichaient les flux financiers mondiaux. Nous n'étions plus des trafiquants de l'ombre. Nous étions la holding la plus puissante de la Méditerranée, investie dans les énergies renouvelables, la cybersécurité et l'immobilier de luxe. — Mère ? La voix était calme, posée, déjà empreinte d'une autorité naturelle. Je me retournai. Alessandro, huit ans, se tenait dans l'embrasure de la porte. Il portait un uniforme scolaire impeccable, mais ses yeux gris, d'une acuité troublante, scrutaient la pièce comme s'il cherchait à en décoder les secrets. — Tu as fini ta leçon d'économie, mon fils ? demandai-je en m'approchant pour caresser ses cheveux noirs. — C'était trop simple, Mère. Le professeur parle de marchés stables, mais les chiffres disent autre chose. Regardez. Il s'approcha de mon bureau et pointa du doigt l'un des graphiques de la holding. Une micro-fluctuation, presque invisible pour un œil non exercé. — Quelqu'un retire massivement des liquidités de nos comptes secondaires à Singapour. C’est trop lent pour être une erreur, trop précis pour être un krach. On nous vide, Mère. Petit à petit. Un frisson me parcourut l'échine. Huit ans. J'avais passé huit ans à construire ce bouclier. Qui pouvait bien avoir l'audace de s'attaquer au cœur financier des Vannucci ? La porte s'ouvrit brusquement. Damian entra, son pas lourd résonnant sur le sol de marbre. Le Capo n'avait rien perdu de sa superbe. À quarante-deux ans, ses tempes grisonnantes lui donnaient un air de lion mûr, mais la puissance qui émanait de lui restait intacte. Ses yeux sombres rencontrèrent les miens, et j'y lus immédiatement l'alerte. — Elara, Alessandro, sortez, ordonna-t-il, sa voix vibrant d'une fureur contenue. — Que se passe-t-il, Damian ? Il ne répondit pas tout de suite. Il attendit que Vincenzo, qui le suivait comme une ombre technologique, ferme la porte et active les brouilleurs de fréquences. — Le réseau de sécurité de la villa principale a été compromis cette nuit, lâcha Damian en jetant un dossier sur mon bureau. Aucun garde n'a été touché. Rien n'a été volé. Mais quelqu'un est entré dans la chambre d'Alessandro pendant qu'il dormait. Mon sang se glaça. Je serrai instinctivement Alessandro contre moi. — Quoi ? Mais Vincenzo, le protocole Alpha est censé... — Le protocole a fonctionné, Signora, intervint Vincenzo, le visage plus pâle que d'habitude. Les caméras n'ont rien vu, mais nous avons trouvé ceci sur l'oreiller du petit. Il sortit un sachet de preuves. À l'intérieur se trouvait une petite pièce d'argent ancienne, une drachme grecque. Sur une face, une chouette. Sur l'autre, gravé à la pointe d'un diamant, un nom. GUYLANA. Alessandro regarda la pièce avec une curiosité qui me fit horreur. — C’est un joli nom, murmura-t-il. Qui est-ce ? Damian et moi échangeâmes un regard chargé de toutes les peurs que nous pensions avoir enterrées. Ce n'était pas une menace de mort. C'était une carte de visite. Une intrusion dans notre sanctuaire le plus sacré. — Vincenzo, emmène Alessandro dans la salle sécurisée de la tour. Ne le quitte pas d'une semelle, ordonnai-je, ma voix redevenant celle de la Régente. Une fois seuls, Damian frappa du poing sur la table. — Je vais raser la ville s'il le faut, Elara ! Personne ne touche à mon fils ! Qui est cette femme ? Les Caltagirone ? Les Russo ? — Non, Damian. Les Russo n'ont pas cette finesse. Ce nom... Guylana... Ce n'est pas une signature de la mafia. C'est autre chose. Je me rassis, mes doigts volant sur le clavier de mon terminal sécurisé. Mes algorithmes de recherche profonde tournèrent à plein régime. Quelques minutes passèrent dans un silence de mort. — Trouvé, murmurai-je enfin. — Dis-moi, ordonna Damian. — Guylana Von Hertz. Trente-cinq ans. Officiellement, elle est "l'Architecte". Une consultante en restructuration de dettes souveraines pour les plus grandes banques mondiales. Mais officieusement... Damian, elle est connue pour être la femme qui achète les empires en ruine pour le compte d'investisseurs anonymes. Je levai les yeux vers mon mari. — Elle ne vient pas nous tuer, Damian. Elle vient nous racheter. Et elle connaît les codes de ton père. — Les codes de Matteo ? C’est impossible ! — Regarde le message qui vient d'apparaître sur mon écran privé. Sur l'écran, un texte défilait, écrit en blanc sur fond noir : « L'ombre s'étire, Damian. Le verre est plus fragile que la pierre. On se voit à midi pour le déjeuner. Ne soyez pas en retard, j'ai déjà commandé votre vin préféré. À tout à l'heure, Elara. Ton secret est en sécurité avec moi... pour l'instant. » La sueur perla sur mon front. Guylana était déjà là. Dans nos systèmes, dans nos vies, et peut-être même déjà dans nos têtes. Le premier acte du Tome 2 venait de s'ouvrir sur une certitude terrifiante : la Reine n'était plus la seule joueuse sur l'échiquier.Point de Vue : Elara VannucciL'air de la bibliothèque était devenu électrique. Sur la table de chêne, l'arme de Damian, le dossier jauni que j'avais déterré et le téléphone diffusant l'arrêt de mort du Syndicat formaient un triangle macabre.Guylana restait immobile, son teint d'albâtre virant au gris. Le masque de la consultante infaillible s'était brisé, révélant une femme qui venait de comprendre qu'elle n'était qu'un agneau envoyé à l'abattoir par ceux qu'elle servait.— Ils ne peuvent pas... murmura-t-elle, ses doigts tremblant sur le bord de la table. J'ai transféré la moitié de vos avoirs sur leurs comptes de transit. Ils ont besoin de moi pour la phase finale.— Ils n'ont besoin de personne, Guylana, trancha Damian d'une voix rauque. Ils veulent la Sicile sans les Vannucci, et sans témoin de leur infiltration. Tu es le témoin de trop.Je fis un pas vers elle. Ma haine ne s'était pas évaporée, mais mon instinct de survie avait pris les commandes.— Regarde-moi, Guylana.
Point de Vue : Elara VannucciTrois jours. Cela faisait trois jours que Damian n'était pas rentré à la villa. Vincenzo m'avait informée qu'il s'était retranché dans son ancien pavillon de chasse, là où il allait autrefois pour nettoyer ses pensées par la violence. Le fait qu'il ne m'appelle pas était un message plus clair que n'importe quel cri : le lien était rompu.Pendant ce temps, Guylana transformait ma maison en laboratoire de pouvoir.Je descendis au salon et m'arrêtai net. Alessandro était assis à la grande table, mais il ne lisait pas. Il manipulait des graphiques complexes sur un projecteur laser que Guylana avait installé.— Tu vois, Alessandro, disait-elle en pointant une zone rouge, la peur est une ressource finie. On ne peut pas terroriser un marché indéfiniment. Mais la dépendance... la dépendance est infinie. Si tu possèdes ce dont les gens ont besoin pour survivre, tu n'as plus jamais besoin de sortir une arme.Mon fils hochait la tête, ses petits doigts glissan
Point de Vue : Elara VannucciL'air dans la salle à manger était si lourd qu'il semblait difficile à respirer. Damian se tenait debout, au bout de la table, les mains derrière le dos. Il n'avait pas touché à son café. Ses yeux, sombres et fixes, ne quittaient pas Guylana qui, avec une lenteur calculée, beurrait une tartine pour Alessandro.— Alessandro, va dans le jardin avec Vincenzo. Maintenant, dit Damian d'une voix qui fit tressaillir l'enfant.Alessandro me regarda, cherchant une protection ou une explication, mais je restai silencieuse, pétrifiée par ce qui allait arriver. Une fois que l'enfant fut sorti, Damian se tourna vers Guylana.— Le jeu s'arrête ici, Guylana. Une voiture t'attend à la grille. Tes affaires ont déjà été emballées. Tu quittes cette propriété et cette île immédiatement.Guylana ne s'arrêta pas de manger. Elle prit une bouchée, mâcha lentement, puis s'essuya les lèvres avec une serviette en lin blanc.— Damian... Ce genre de démonstration de force est
Point de Vue : Elara VannucciMinuit. La villa était plongée dans un calme artificiel, celui des forteresses qui attendent l'assaut. Damian dormait toujours dans l'aile opposée, un gouffre de silence nous séparant. Vincenzo m'avait envoyé un signal court sur mon canal crypté : Le colis est marqué.Je m'assis devant mon terminal dans l'obscurité, la lumière bleue de l'écran soulignant les cernes sous mes yeux. Sur la carte satellite, un point rouge clignotait. Guylana venait de quitter la villa.— Où vas-tu, petite louve ? murmurai-je.Elle ne prenait pas de chauffeur. Elle conduisait elle-même une berline discrète. Le point rouge se déplaçait avec une précision chirurgicale à travers les rues sinueuses de Palerme, évitant les grands axes. Elle se dirigeait vers la zone portuaire, là où les vieux entrepôts de la Famille, ceux que nous avions délaissés pour le numérique, tombaient en ruine.La Filature Numérique :Le point s'immobilisa devant l'entrepôt 42. Un frisson me parcouru
Point de Vue : Elara VannucciLa villa, autrefois mon sanctuaire, ressemblait désormais à un échiquier où chaque pièce avait été déplacée à mon insu. Guylana s'était installée dans l'aile Est avec une aisance déconcertante. Elle ne demandait rien, elle prenait. Ses dossiers, ses écrans et son parfum froid de gardénia semblaient imprégner les murs.Pire encore était le silence de Damian. Il me croisait dans les couloirs comme si j'étais un spectre, un vestige d'un passé auquel il ne faisait plus confiance.La Première Leçon :Je montai à l'étage, vers la bibliothèque où Guylana donnait son premier "cours" à Alessandro. Je m'arrêtai derrière la porte entrouverte, le cœur battant.— ... et donc, Alessandro, pourquoi penses-tu que le roi aux échecs est la pièce la plus faible ? demandait Guylana d'une voix posée.— Parce qu'il ne peut bouger que d'une case à la fois ? répondit mon fils, concentré.— C'est ce qu'on enseigne aux amateurs. La vérité, c'est que le roi est faible parce
Point de Vue : Elara VannucciLe trajet de retour vers la villa fut le plus long de ma vie. Damian ne m'avait pas adressé la parole une seule fois. Le silence dans la voiture blindée était si dense qu'il semblait étouffer les bruits du moteur. Vincenzo, à l'avant, fixait la route, ses épaules contractées, sentant l'électricité statique entre son Capo et sa Régente.Dès que nous franchîmes le seuil du bureau privé de la villa, Damian fit claquer la porte derrière lui. Il ne cria pas. Sa fureur était une lame froide, bien plus effrayante que ses anciens éclats de colère.— Explique-toi, dit-il en se tournant vers moi. Et ne me mens pas, Elara. Pas cette fois.Je posai mon sac sur le bureau, mes mains tremblant imperceptiblement.— Damian, à l'époque, la transition était chaotique. Nous avions besoin de fonds propres pour racheter les actifs de mon premier mari avant que les Russo ne s'en emparent. Les banques traînaient. Les comptes de la famille étaient sous surveillance internat







