Chapitre 68 – Là où vacille le filAelisJe referme doucement la porte derrière moi.La lumière encore tiède de la salle de bains glisse sur ma nuque, comme un vestige d’abri. Je sens son regard avant de le croiser. Il est là, adossé au mur, les bras croisés, figé dans ce calme glacé qui me traverse toujours l’échine.Nikolai.Il ne parle pas.Et c’est précisément ce silence qui me met en alerte.Je passe devant lui sans le regarder, m’oblige à agir comme si rien ne vibrait d’électrique entre nous, comme si la tension ne frémissait pas dans chaque centimètre d’air.Je m’assieds. Noue mes cheveux. Il ne bouge pas.Et moi, je sens que tout en lui calcule. Anticipe. Pèse. Pas seulement le dehors. Mais moi aussi.Comme si j’étais devenue une variable instable dans son système.— Tu ne dors pas, je dis simplement, sans me retourner.Il répond après une pause trop longue.— Et toi, tu respires comme quelqu’un qui s’entraîne à ne pas paniquer.Je ferme les yeux. Touchée. Juste là, où c’est s
Chapitre 67 – Là où naît la stratégieNikolaiIls ne viendront pas tout de suite.Ils attendront que je me détende. Que je pense que leur silence est une forme de répit. Que j’abaisse ma garde.Ils espèrent me voir commettre l’erreur de croire à l’accalmie.Mais il n’y a pas d’accalmie.Il n’y en a jamais eu.Je ne suis pas de ceux qui se reposent.Je ne suis pas de ceux qu’on endort.Depuis que je suis né, j’observe les hommes comme des équations vivantes. Des schémas prévisibles. Chacun avec ses failles, ses patterns, ses angles morts. Je les lis comme d’autres décryptent les étoiles : dans les micro-frictions, dans les ruptures de flux. Une main qui hésite, un regard qui dure une seconde de trop, une phrase répétée à l’identique deux jours de suite. Tous ces détails trahissent plus que mille aveux.C’est une langue que je parle depuis l’enfance : celle des intentions masquées et des vérités dissimulées sous les plis du réel.Je suis né dans un lit de mensonges. Élevé dans les marge
Chapitre 66 – Là où les ombres s’alignentAelisJe ne dors pas.Pas vraiment.Je m’allonge parfois. Je ferme les yeux. Mais mon corps reste tendu. Mes pensées, affûtées. Le poids du silence, entre deux souffles, entre deux éclats de voix venus de la rue, est pire que tout.C’est un silence d’avant l’explosion. Un calme de surface.Je sens son bras autour de moi. Son torse contre mon dos. Ce lien étrange qui s’est forgé, malgré tout, malgré nous. Je pourrais me perdre dans la chaleur de sa peau. Me taire. M’oublier. Mais je suis incapable de relâcher ma vigilance. Pas cette nuit.Pas après ce qu’on m’a demandé.Ce qu’on m’a offert de manière si insidieuse.Ce que Darnell m’a glissé comme un poison entre les dents, en me regardant dans les yeux.Je me lève avant l’aube. Les rues ne dorment jamais ici, mais elles ralentissent. Je marche pieds nus dans l’appartement, m’arrête devant la baie vitrée. Des sirènes au loin. Des murmures électroniques dans les câbles de surveillance. Des ombres
Chapitre 65 – Là où le doute s’insinueAelisIl m’attendait déjà quand je suis arrivée.Pas dans une salle habituelle. Pas au poste central. Non. Dans le bureau isolé qu’on garde pour les affaires sales ou pour les conversations qu’on n’a pas envie d’entendre résonner dans les murs officiels. Celui avec les stores déchirés, les ampoules nues, et l’odeur tenace de vieux cuir et de secrets trop souvent tus.La lumière est crue, presque cruelle. Elle découpe les angles, accuse les silences.Lui, il se tient debout, les mains jointes derrière le dos, comme un général avant la bataille. Costume gris, visage fermé, calme léché. Pas un cheveu hors place. Pas une émotion qui déborde. Il ne transpire pas il suinte le contrôle.Je ferme la porte derrière moi. Le claquement résonne comme une sentence.— Inspecteur Darnell, dis-je en prenant place. J’ai un quart d’heure. Pas une minute de plus.Il incline la tête. Une courtoisie vide. Un masque.— Aelis. Merci de votre présence.Je ne réponds rie
Chapitre 64 – Là où le monde recommenceAelisLa lumière est plus vive, maintenant.Elle glisse le long des murs, embrasse les livres, ranime les objets figés par la nuit. Elle touche les vitres, fend la poussière suspendue, donne aux choses une matière nouvelle. Le monde reprend ses droits, lentement, mais je m’accroche encore à l’instant suspendu. À lui. À nous. À cette chambre qui sent le sommeil, le pain chaud, et une paix nouvelle que je n’ai jamais goûtée avant.Il est là. Silencieux. Assis sur le lit, torse nu, la tasse entre les mains. Il boit son café lentement, comme si chaque gorgée pouvait repousser le retour du réel. La vapeur ondule entre nous, fragile, presque irréelle. Son regard est posé sur moi, sans feinte. Pas pour me séduire. Pour me voir.Je devrais bouger. Me préparer. Rejoindre le centre. Lire les rapports. Mais mon corps ne veut pas. Il résiste. Il choisit ce moment, ce lit, ce silence.Et lui.— Tu vas être en retard, je murmure, sans bouger.Il secoue la têt
Chapitre 63 — Le matin nous appartientAelisLa lumière filtre doucement à travers les rideaux de lin. Une lumière pâle, dorée, presque timide, comme si le jour hésitait encore à s’imposer. Elle glisse sur les draps, caresse la courbe de mon épaule, s’attarde sur le bois brut des poutres, sur les livres empilés, les plantes suspendues. Rien ne bouge. Tout respire.Je reste allongée, les yeux fermés, enveloppée de chaleur, de silence et d’un sentiment que je n’arrive pas encore à nommer. La chaleur de son corps contre le mien me ramène à la réalité. Une main posée sur ma hanche. Un souffle lent dans ma nuque. Son torse, solide et vivant, qui se soulève à un rythme paisible. Il est là.Nikolai.Je ne bouge pas.Je veux le sentir encore un peu dans le rêve.La chambre sent l’amour. Une odeur mêlée de peau, de sueur séchée, de draps froissés, de lavande oubliée sur la table de chevet. Je sens ses jambes emmêlées aux miennes. Son bras m’enlace toujours, même dans le sommeil. Comme s’il sav