Léa
J’ai les mains glacées, le dos trempé de sueur. Le bruit des friteuses, l’odeur du gras et du pain rassis me collent à la peau comme une seconde prison.
Il est presque 23h.
J’ai les pieds en feu, la nuque tendue, et ce mec vient de foutre la porte du fast-food en l’air.
Il entre comme un ouragan.
La pluie le suit comme une traînée de chaos. Il est trempé de la tête aux pieds, les vêtements collés à son corps massif. Sa veste est à moitié déchirée, ses bottes claquent sur le sol carrelé. Et ce regard…
Noir , direct et sauvage.
Il traîne une énergie que je n’aime pas : Une énergie qui pue le pouvoir la colère et le sexe.
Il ne dit pas bonsoir.
Il avance, lentement, comme s’il attendait que le monde s’incline devant lui. Il ne regarde rien ni personne d’autre que moi. Je suis seule derrière le comptoir. Seule dans la lumière crue de ce boui-boui qui ferme dans sept minutes.
Je ne bouge pas.
Je serre mon torchon entre les doigts. Il reste planté là, au milieu de la salle déserte, ses yeux vissés dans les miens comme si j’étais responsable de la tempête dehors. Ou de celle qu’il semble contenir sous sa peau tendue.
— Y’a encore de quoi manger ? il grogne.
Sa voix.
Grave. Râpeuse. Frottée à la nuit.
Elle glisse dans ma colonne vertébrale comme une gifle tiède.
Je le détaille enfin :
Il doit faire dans les 1m95, peut-être plus , moi, j’atteins à peine son torse.
Lui, c’est la puissance faite chair : épaules larges comme un mur, trapèzes tendus sous un tee-shirt noir gorgé de pluie. Même détrempé, il est imposant. Son ventre est plat, ferme, dessiné. Ses bras... mon Dieu : deux colonnes nerveuses sculptées par des années d’effort , des veines bleutées serpentent sur ses avant-bras, battantes, vivantes.
Il pourrait me soulever d’une seule main , ou me détruire avec l’autre.
Ses cuisses, moulées dans un jean sombre, sont larges et musclées, comme des piliers. Son corps entier est un avertissement. Un appel. Un piège.
Et son visage ?
Barbe de quelques jours, mâchoire carrée, lèvres pleines et serrées. Une cicatrice effleure sa pommette droite. Et ses yeux… noirs, très noirs , mais pas éteints . Ils sont vivants et enragés.
Je réponds sans sourire.
— Si tu as de l’argent, ouais .
Il fronce les sourcils.
Il ne s’attendait pas à ça. Il me jauge, prêt à répliquer.
Mais qu’est-ce qu’il croit ? Que je vais rougir parce qu’il est grand, musclé, et qu’il a l’air dangereux ?
Je m’en fous.
Je suis pas là pour faire plaisir à des types en costard détrempé. Encore moins à des beaux gosses arrogants qui pensent qu’un sourire suffit à se faire servir.
Je tourne les talons, vais vers le comptoir.
— Cheeseburger triple avec bacon et des frites.
— Tu veux pas que je te masse les pieds aussi ?
Je me retourne à moitié.
Il ne rit pas ,il me fixe . Un éclair passe dans ses pupilles . Il est en train de m'évaluer ! Il m’analyse.
Et moi, je le laisse faire.
Il a dû en voir, des filles comme moi. Mais moi, j’en ai vu trop des mecs comme lui.
Je tends la main. Il me donne un billet, sans un mot.
Ses doigts sont longs , forts et précis . Il a cette façon de tenir l’argent qui dit tout : je possède, je contrôle, je prends.
Et merde, pourquoi je remarque ça ?
Pourquoi mes joues chauffent d’un coup ?
Je me déteste de penser à ses mains… ailleurs , sur ma peau Autour de mon cou. Entre mes cuisses.
Je m’éloigne, mais je le sens derrière moi. Il ne s’assied pas.
Il reste debout, large, chaud, menaçant. Il me regarde bosser.
Il me déshabille du regard .
Et il me fout la chair de poule.
Moi ?
Je suis fine. Trop maigre sans ma veste. Mon jean pend aux hanches. Mes cheveux sont attachés à la va-vite, tirés par la fatigue. Je ne suis qu’un corps en tension, en mode survie.
Je balance le burger sur le grill. Le gras crache. La chaleur monte.
J’entends sa respiration.
Je sens presque son odeur, malgré la friture : cuir trempé, sueur, adrénaline, homme.
Je me retourne, pour voir s’il a fini de jouer les statues.
Il est là , accoudé au comptoir , plus proche , beaucoup trop proche.
Je dois lever les yeux pour croiser les siens.
— Tu n'es pas du coin, toi, il dit.
— Et toi, tu n'es pas un gars normal.
Un rictus fend sa bouche . Un coin de sourire intrigué. Presque… excité.
— Tu sais qui je suis ?
— Un mec affamé, trempé, avec un ego qui pèse trois tonnes.
— Kayden Wolfe.
Je hausse les épaules.
— Ça doit impressionner quelqu’un, mais pas moi.
Il rit , un rire bas, rauque, presque vexé.
— Sérieux ? Tu as pas la télé ?
— Je n'ai pas le luxe de m’ennuyer, chéri.
Je lui tends le sac en papier. Il ne le prend pas tout de suite.
Nos doigts ne se touchent pas. Mais l’air entre nous devient plus dense. Plus chargé.
Il le sent aussi , ce truc , cette chaleur soudaine qui monte entre nous comme un avertissement.
Il recule enfin , croque dans son burger , ses yeux ne me quittent pas.
— Tu travailles souvent à cette heure ?
Je souris, sarcastique.
— Je te promène souvent à cette heure ?
Il baisse les yeux, puis hoche lentement la tête.
Je m’attendais à une pique. Une provocation. Mais non.
Il encaisse. Il écoute.
Et je ne sais pas pourquoi, mais ça me trouble.
Ce mélange en lui : violence contenue, tristesse muette, désir brut.
Il finit de manger en silence. Puis il jette son sac, me fixe une dernière fois.
Ses yeux s’attardent sur ma bouche. Puis plus bas , mon ventre , mes hanches.
Je sens ma peau s’enflammer .
Il sort, trempé comme à son arrivée. Il laisse une flaque à ses pieds.
Et une autre… entre mes cuisses.
Je ne veux pas de ce genre d’homme.
Mais mon corps, lui, a déjà voté.
KAYDENJe sens que cette discussion ne peut pas rester enfermée ici. Chaque mot de cette femme résonne comme un venin qui risque d’atteindre Léa si je ne l’arrache pas de ses griffes.Alors je quitte la pièce sans un mot, laissant Matteo seul avec elle. Mes pas frappent le couloir à toute vitesse. Mon cœur cogne, mais cette fois ce n’est plus la peur, c’est la rage, l’urgence, la nécessité de mettre fin à ce jeu.Je pousse la porte de la chambre. Léa est assise au bord du lit, les yeux rougis, les mains crispées sur le drap. Elle relève brusquement la tête en me voyant.— Kayden…Sa voix tremble, déchirée entre colère et attente.Je m’avance, m’agenouille devant elle, prends son visage entre mes mains.— Je veux que tu entendes de ta propre oreille, Léa. Que tu vois par toi-même ce qu’elle dit. Plus de secrets. Plus de doutes.Ses yeux cherchent les miens, encore blessés, encore incertains. Mais elle hoche la tête, lentement.Je l’aide à se lever, sa main glissée dans la mienne, et no
KAYDENJe n’ai pas attendu que le chaos médiatique se tasse. Pas attendu que les caméras se détournent ni que les journalistes trouvent une nouvelle proie. À peine revenu dans la pièce, les veines encore en feu de l’adrénaline, j’ai pris mon téléphone. Mes doigts tremblaient mais je savais ce que je devais faire.— Tu es fou, souffle Matteo derrière moi, sa voix basse mais vibrante de colère. Tu viens de provoquer un séisme, et maintenant tu veux en rajouter ?Je compose déjà le numéro, mes yeux fixés sur l’écran, mes mâchoires serrées.— Pas un séisme… mais la vérité.Ma voix gronde, basse, rugueuse. Matteo ne répond pas. Il comprend que je n’ai pas l’intention de reculer.Le téléphone sonne. Une fois. Deux fois. Trois. Chaque tonalité résonne comme un coup de marteau contre ma poitrine. Puis, un déclic.— Allô ?Sa voix. Douce, lente, presque caressante. Comme un poison qui s’insinue sans prévenir.Je ferme les yeux un instant, prends une inspiration.— C’est moi, Kayden.Un silence
LÉALa télévision grésille encore, saturée de flashes et de voix criardes. Les images défilent en boucle, Kayden derrière ce pupitre, son visage fermé, ses épaules tendues, son regard sombre qui balaye la foule.Je suis restée figée tout le long. Le bol de soupe que j’avais posé devant moi a refroidi, intact. Mes doigts crispés sur la télécommande sont blancs d’effort. Mon souffle est resté coincé quelque part entre ma poitrine et ma gorge, incapable de circuler.Quand il a prononcé son nom… celui de cette femme… j’ai eu un sursaut. Comme si le mensonge avait enfin une cible tangible. Puis il a lâché ces mots : elle n’est pas enceinte de moi. Clairs. Durs. Sans détour.Et le chaos a éclaté. Des cris, des questions, des caméras qui se levaient comme des armes, une marée de bruit qui a presque fait trembler les murs de mon salon à travers l’écran. Mais moi, je n’ai entendu que lui. Sa voix. Grave, ferme. Trop ferme pour être feinte.Je me surprends à murmurer, presque sans m’en rendre c
KAYDENLa pièce ressemble à une cage. Trop étroite, trop close, saturée d’un air lourd qui colle à ma gorge. J’ai l’impression que chaque respiration m’écorche les poumons. Je suis assis seul, les coudes appuyés sur mes genoux, les mains jointes qui tremblent malgré moi. Je tente de les immobiliser, de les contraindre, mais rien n’y fait. La peur s’infiltre, invisible, et refuse de se taire.De l’autre côté de la porte, les voix s’élèvent, nerveuses, étouffées par le bois. Mon équipe se déchire en conseils contradictoires. Ne fais pas ça. C’est trop tôt. Attends. Mais il n’y a pas d’attente possible. Chaque seconde de silence me condamne davantage. Chaque rumeur répandue comme un poison ronge ce qu’il me reste de crédibilité.Je ferme les yeux, inspire profondément, et leur visage surgit aussitôt. Léa. Ses yeux rougis de larmes, son corps tendu, sa colère vibrante. Et Ethan, fragile, pâle, accroché à la vie comme à un fil trop mince. Si je continue à me taire, c’est eux que je perds,
LÉAL’eau chaude ruisselle sur ma peau, effaçant la sueur, les frissons, les traces de sa bouche et de ses mains. La vapeur emplit la salle de bain, dense, enveloppante, presque étouffante. Je ferme les yeux, m’appuie contre le carrelage froid, et laisse mes pensées dériver malgré moi.Mon cœur bat encore vite, comme si Kayden était toujours là. Comme si son souffle brûlant se glissait encore dans mon cou, comme si ses mains m’emprisonnaient contre lui, me rappelant qu’il peut me désarmer en un instant. Et ça me terrifie. Parce qu’il me suffit d’un de ses regards pour que ma colère s’effrite, pour que mes résolutions se fissurent.Pourtant, sous la chaleur de l’eau, une autre émotion s’invite. Pas la colère — elle s’est dissoute comme du sel dans l’océan — mais une fatigue profonde. Un poids invisible qui s’accroche à mes épaules, lourd, tenace. Ses secrets, cette femme enceinte, cette ombre constante de son passé… Je peux fermer les yeux, inspirer profondément, tenter d’effacer l’ame
LéaJe serre les poings, incapable de détacher mes yeux de Kayden. La colère bouillonne en moi, brûlante, incontrôlable. Comment a-t-il pu me cacher quelque chose d’aussi énorme ? Une femme enceinte de lui… et il ne m’a rien dit ? Je le sens prêt à me rassurer, à répéter ses mots mille fois, mais à cet instant, je ne veux rien entendre.— Comment… comment as-tu pu me laisser découvrir ça à la télévision ? hurle-je, ma voix tremblante. Comment ?Kayden recule légèrement, surpris par mon éclat, mais ses yeux restent fixés sur moi, emplis de cette intensité qui me fait à la fois trembler et fondre.— Léa… je… murmure-t-il, tentant de calmer la tempête qui me dévore. Ce n’est pas ce que tu crois…— Pas ce que je crois ? siffle-je entre mes dents. Je crois qu’une ex de toi, enceinte de toi, choisit ce moment pour se montrer et que tu… tu ne m’as rien dit ! Rien ! Et tu oses me dire que ce n’est pas vrai ?Mon souffle s’accélère, mon cœur bat à tout rompre. Il s’avance vers moi, mais je rec