LOGINLUCIANL’effondrement.Ce n’est pas seulement celui de nos corps enlacés sur le marbre froid. C’est l’effondrement de quatre mois d’agonie, de tension, de folie maintenue à bout de bras. La fatigue me frappe comme une marée noire, visqueuse, prête à m’emporter dans l’inconscience. Mon corps n’est plus qu’une douleur sourde, mes muscles brûlés par l’effort surhumain d’avoir été l’Ancre, d’avoir tiré contre le néant.Mais je résiste. Je résiste à l’appel du néant bienveillant de l’évanouissement. Parce qu’elle est dans mes bras.Son poids. Sa chaleur. Le frissonnement imperceptible de ses cils contre mon cou. C’est réel. Ce n’est pas un rêve, pas un mirage offert par la faille pour me consumer un peu plus. Je sens la texture du tissu étrange de sa robe, je respire son odeur – une odeur nouvelle, mélange de ce monde moderne, de sueur, de peur, et, enfoui au plus profond, le parfum subtil de sa peau que je n’ai jamais oublié.Je n’ose pas bouger. Je n’ose pas respirer trop fort. Comme si
SÉLIALa traction est devenue une douleur. Une brûlure constante au creux de la poitrine. Elle se calme seulement quand je pose mes mains sur mon ventre et que je me concentre sur Lucian.Ce soir, c'est différent.Je suis allongée dans mon lit, essayant de dormir. Soudain, une violente secousse me traverse, de la nuque aux talons. Ce n'est pas le bébé. C'est comme si la corde invisible qui me tire soudain se tendait violemment, frémissante, presque douloureuse.Je m'assois, haletante. Une onde de froid, puis de chaleur extrême, me parcourt. Dans mes oreilles, un bourdonnement naît, faible d'abord, puis grandissant. Ce n'est pas un son du monde moderne. C'est un grondement sourd, profond, comme si la terre elle-même gémissait très loin.Et à travers ce bourdonnement… un battement. Un cœur. Ce n'est pas le petit cœur rapide de mon enfant.C'est un cœur lourd, brisé, battant avec une régularité désespérée. Le sien.Il est là. Juste de l'autre côté. Il pousse. Il frappe à la porte du mond
LUCIANLes préparatifs sont une torture lente.Chaque jour qui passe est un grain de sable qui s'écoule dans le sablier de mon âme, usant un peu plus ce qui me reste de patience, de moralité, d'humanité. Kael et Morna sont devenus des ombres familières dans les couloirs interdits du palais. Ils opèrent avec une efficacité glaciale. Leurs demandes sont précises, dénuées de toute émotion : du fer purifié par sept feux, des pigments extraits de minéraux trouvés uniquement sous les tombes royales, de l'eau puisée au cœur de la nuit, entre deux phases de lune.La pièce de la disparition est interdite à tous, sauf à nous trois. Ils y tracent, à même le marbre, le schéma du rituel. L'encre qu'ils utilisé est d'un noir si profond qu'il semble aspirer la lumière des torches. Les cercles s'imbriquent avec une géométrie vertigineuse, et au centre exact, là où son pied a quitté ce monde, ils dessinent un symbole que je n'ai jamais vu : un œil fermé, traversé d'une ligne brisée. Chaque trait est a
LUCIANQuatre mois.Quatre mois passés à traverser un désert de fous. Je filtre la poussière des promesses vides, espérant trouver un seul grain de vérité. Ma bibliothèque est devenue un hospice pour l'ésotérisme, une ménagerie de l'impossible. L'air y est épais de fumées âcres, de murmures latins, et de la peur douceâtre de ceux qui savent qu'ils ne pourront me duper deux fois.Puis ils viennent.Pas comme les autres. Leurs yeux n'ont pas l'exaltation des prophètes, leur démarche n'a pas la goujaterie bruyante des charlatans. Ils arrivent avec le silence des profondeurs. Un homme et une femme, vêtus de tissus simples, teints par les voyages. Ils ne portent ni talisman clinquant, ni grimoire poussiéreux. Seulement un rouleau de parchemin serré contre la poitrine de l'homme, et dans le regard de la femme, une froideur minérale qui me fait penser aux glaces éternelles des montagnes du Nord.Ils se présentent sans titres.—Kael. Morna.Leurs mots, directs, tranchent le brouillard de mes
SÉLIALe bonheur est une pierre lourde et précieuse que je porte au creux de la poitrine. Il alourdit chacun de mes pas, mais il ancre aussi chacun de mes souffles. Je marche différemment. Je regarde différemment. La douleur de l’absence de Lucian n’a pas disparu, elle s’est fondue dans un alliage nouveau, plus solide, plus déterminé. Elle n’est plus un cri ; elle est une énergie.Je passe mes journées plongée dans les livres, devant l’écran lumineux de l’ordinateur portable de Lila. Ma chambre est devenue un champ de bataille silencieux, jonché d’ouvrages sur la physique théorique, les paradoxes temporels, les légendes locales sur les failles entre les mondes. Les nuits d’Asterin ne sont pas documentées. Mon amour n’a pas laissé de trace dans les archives. Alors, je cherche des preuces ailleurs. Dans la folie des autres. Dans les récits de ceux qu’on a crus fous.— Tu devrais te reposer, me dit maman, le soir, en posant une tasse de tisane à côté de moi. Pour lui. Pour le bébé.— C’e
SÉLIAElle donne une date. Une date qui, dans le décalage temporel fou entre les deux mondes, correspond exactement à ces nuits enlacés avec Lucian. Ces nuits où le temps semblait suspendu, où nos souffles et nos peurs et nos espoirs ne faisaient plus qu’un.Un sanglot m’échappe, mais ce n’est pas un sanglot de douleur. C’est un son brut, primitif, qui jaillit du plus profond de mes entrailles, porté par la vague de l’émotion la plus pure, la plus dévastatrice que je n’aie jamais connue.Je porte une main à ma bouche, l’autre se posant instinctivement, protectrice, sur mon ventre. Là. Il était là. Une partie de lui. Une partie de nous. Non pas un fantôme, non pas un souvenir. Une réalité tangible, vivante, qui grandissait en moi.— C’est… c’est son enfant, je réussis à balbutier entre deux hoquets, m’adressant à personne, à tout le monde. À Lucian.La technicienne me jette un regard perplexe, mais ma mère, qui était assise près de moi, a compris. Son visage s’est décomposé, puis illum




![L'amour Incompris [Un roman historique]](https://acfs1.goodnovel.com/dist/src/assets/images/book/43949cad-default_cover.png)

