SÉLIA
Le silence qui suit l’ordre du roi est pire que le bruit des lames.
Les soldats m’encerclent comme des chiens autour d’une proie. L’air pèse, saturé d’odeurs de métal chauffé et de sueur. Un geste de sa main, et on me tire hors de la salle, sans un mot.
Le couloir semble interminable. Les torches crépitent, projetant sur les murs des ombres qui s’étirent comme des mains prêtes à m’attraper. Les pierres suintent d’humidité, glissant sous mes pieds nus. Derrière moi, les murmures fusent des voix graves qui pensent que je n’entends pas.
— Elle n’est pas d’ici…
— Regarde ses jambes…
— Le roi a peut-être raison… une sorcière… mais quelle sorcière…
Je les sens me dévorer du regard dans mon dos. Un mélange de méfiance et d’appétit. Cette chaleur poisseuse qui monte sur ma peau, je la connais trop bien. Elle est la même que dans les loges, quand les hommes pensent avoir acheté plus qu’un spectacle.
Sauf qu’ici, il n’y a pas de vigile pour me raccompagner par la porte de service.
LE ROI
Elle ne marche pas… elle glisse.
Chaque pas semble calculé pour faire parler la lumière sur ses formes. Même prisonnière, même pieds nus, elle avance comme une reine déchue qui n’a pas conscience d’avoir perdu sa couronne.
Son odeur me parvient encore , un parfum étrange, sucré et sensuel, qui n’appartient à aucune fleur de mes jardins. Et cette robe… ce tissu sombre brodé d’éclats argentés qui accroche la flamme des torches… Personne ici ne s’habille ainsi. Les femmes de Valcoris cachent ce que leurs maris possèdent. Elle, elle expose chaque courbe comme une promesse… ou une menace.
Je sais que je devrais détourner les yeux. J’ai appris à ne pas laisser mes désirs guider mes décisions. Mais il y a dans la cambrure de ses reins, dans la lente oscillation de ses hanches, quelque chose qui me tire irrésistiblement.
Une chaleur lourde s’insinue dans mon ventre. Ma main se crispe sur l’accoudoir du trône.
Elle disparaît dans le couloir, mais son image reste gravée en moi comme une brûlure au fer rouge.
SÉLIA
On descend un escalier en colimaçon, taillé à même la pierre, avant d’arriver devant une lourde grille.
L’odeur de moisissure m’assaille. Des gémissements, des raclements de chaînes… et des regards, partout. Des yeux qui brillent dans l’ombre.
Quand on m’y pousse, les conversations cessent net.
Je sens les prisonniers se lever, avancer jusqu’aux barreaux de leurs cellules. Certains sourient, d’autres ne cachent pas leur faim. Des mains calleuses s’agrippent au métal, des doigts suivent mes courbes comme s’ils pouvaient me toucher rien qu’en me fixant.
— Regarde-moi ça… souffle un homme à demi-voix.
— Trop propre pour rester ici longtemps… ricane un autre.
Je relève le menton. Peu importe que mon cœur cogne comme un tambour dans ma poitrine, je ne leur donnerai pas le plaisir de me voir me recroqueviller.
LE ROI
Du balcon de pierre qui surplombe les cachots, je peux la voir.
Elle ne sait pas que je suis là, mais je la suis du regard, incapable de m’en empêcher. Les torches lèchent la courbe de ses épaules nues, la lumière danse sur ses jambes fuselées. Même au milieu des chaînes et de la crasse, elle brille comme un joyau volé.
Une part de moi voudrait descendre, briser les ordres que j’ai donnés, et…
Non. Je me raidis. Je suis roi avant tout.
Mais le désir, lui, n’écoute pas la couronne.
Elle n’est pas seulement belle. Elle est dangereuse. Parce qu’en un seul regard, elle pourrait me faire oublier que je tiens un empire entre mes mains.
Je me penche vers le capitaine de ma garde.
— Ouvre l’œil. Qu’aucun homme ne la touche… pas encore.
SÉLIA
La cellule où on me jette est plus large que les autres, mais à peine. Le sol est de pierre froide, une couche de paille tassée dans un coin. Et assise là, jambes croisées, une femme me dévisage.
Elle est belle d’une beauté différente de la mienne. Peau mate, cheveux noirs tressés serré, des yeux sombres qui vous détaillent comme on jauge une arme. Sa bouche se tord dans un demi-sourire, pas amical.
Elle porte une tunique usée, mais son port de tête est aussi hautain que le mien.
— Jolie robe, dit-elle en jetant un regard à ma tenue de scène déchirée.
Sa voix est douce, mais la pointe qu’elle y met est tranchante.
Je m’assois lentement, sans rompre notre contact visuel.
— Et toi, joli accueil , dis-moi où sommes-nous ?
Elle ricane, se penche légèrement vers moi.
— Ici, ta beauté peut être une bénédiction… ou une malédiction. Tout dépend qui décide de te garder.
Qu'est-ce ça veut dire ?
Ses yeux glissent vers la grille, où deux gardes me fixent encore, persuadés que je ne les vois pas.
Je sens que cette femme sait des choses… mais je sens aussi qu’elle ne m’aidera pas sans raison.
Et pour la première fois depuis ma chute, je comprends :
Je ne suis pas seulement perdue.
Je suis devenue… une proie et dans quel monde suis-je ?
CalandraLe silence m’enveloppe après le départ précipité de la servante.Je reste immobile devant le miroir, mon sourire figé comme une lame. Le geste de ma suivante, suspendu dans mes cheveux, m’offre ce que je désirais : un instant d’arrêt, de pure sidération. Je contemple mon reflet. Les perles scintillent encore dans ma coiffure inachevée, mais mes yeux, eux, sont devenus deux braises.Il a osé.Il a brisé l’ordre invisible qu'il s'était imposé, qu’il avait toujours respecté. Le Roi a donné un matin à une autre.Un matin.Lui qui n’offrait que la nuit, lui qui congédiait toutes ses amantes au lever du jour comme des ombres indignes… il a laissé elle respirer l’aube dans ses bras.Je passe lentement mes doigts sur ma gorge, le long du collier de rubis. La pierre est glacée, mais dans mon ventre bout une lave sombre. Je ne pleure pas. Je ne crie pas. J’ai appris depuis longtemps à ne rien gaspiller : ni une larme, ni un mot. La douleur n’est qu’un métal brut. Je la fondrai, je la c
SeliaJe m’éveille dans une chaleur que je ne reconnais pas.Le lit n’est plus ce champ de bataille où l’on se consume avant de s’effondrer, mais une mer tiède, un cocon. Les draps pèsent comme une étreinte prolongée. J’entends encore, au loin, la plainte du vent contre les vitraux, mais ici tout est calme, étouffé, presque irréel.Je reste immobile, les yeux clos, car je crains que tout cela ne disparaisse si je bouge trop tôt. Dans le silence, je compte ses respirations contre ma nuque, profondes, lentes, régulières. Chaque souffle qui me frôle me rappelle que je suis encore ici, contre lui.Son bras est posé sur ma taille, lourd, possessif. Ses doigts, légèrement recourbés, semblent s’ancrer dans ma peau, comme s’il refusait de me laisser m’échapper. Le Roi dort. Il dort contre moi.Une vague d’irréalité me parcourt : jamais je n’avais entendu parler d’un tel matin. Les récits disaient le contraire : les portes s’ouvraient toujours sur le vide, les draps froids, les corps congédiés
SeliaJe croyais que tout s’éteindrait, qu’après la tempête viendrait le froid. Comme on ferme une porte, je m’apprêtais à me retirer dans l’ombre, à redevenir invisible. On m’avait appris à disparaître dès que l’ardeur s’évanouissait, comme les autres. J’avais entendu les murmures : le Roi n’aimait pas partager ses nuits. Même les plus belles n’avaient droit qu’à l’étreinte, jamais au sommeil.Je glisse hors de ses bras avec précaution. Mon souffle est encore court, mes jambes tremblantes, ma peau moite d’un feu qui tarde à mourir. Dans ma tête, la formule est déjà prête : Merci, mon Roi. Je la répéterai sans même y penser, comme un mot de passe pour sortir de la chambre et redevenir ombre.Mais sa main se referme sur mon poignet. Une pression ferme, presque tendre, qui me cloue sur place. Sa chaleur remonte par mon bras, m’empêche de bouger.— Reste.Le mot tombe, grave et sans détour, comme un ordre qui n’en est pas un.Je me retourne, interdite. Son visage n’est plus celui du feu,
Le RoiJe croyais trouver le repos, mais son souffle contre ma gorge me déchire comme une étincelle dans une poudrière. Ses doigts hésitent, effleurent à peine, puis se posent, s’accrochent, et alors tout s’embrase. La cendre n’a jamais dormi : elle n’attendait qu’un souffle pour éclater en flammes.Mon corps se tend, arc bandé, prêt à rompre. Je la saisis, incapable de retenue, incapable de raison. Elle est là, offerte et indomptable, et je l’arrache à l’illusion du repos. Le lit devient champ de bataille, autel et arène à la fois. Je la retourne, je l’attire contre moi, je la retiens comme si la perdre serait mourir.Chaque frisson qu’elle m’arrache est une arme qu’elle retourne contre moi. Chaque soupir est une gifle, chaque cri une chaîne. Je me croyais maître, mais c’est elle qui règne dans l’incendie.Son nom m’échappe, rauque, déchiré, comme une prière arrachée à mes entrailles. Ce n’est pas un mot : c’est ma confession, ma damnation.SeliaJe l’avais senti, depuis le premier i
Le RoiLe silence s’abat, épais, vibrant, mais il ne calme rien. C’est un silence qui gronde comme les braises sous la cendre, prêt à éclater au moindre souffle. Son corps est contre moi, chaud, palpitant, et je sens chaque battement de son cœur comme une pulsation qui se mêle à la mienne.Ma main reste sur elle, accrochée à sa peau comme si j’avais peur de la voir s’évanouir. Chaque effleurement est une brûlure douce, une morsure qui persiste longtemps après. Le lit, immense, royal, s’est changé en autel : chaque drap froissé garde le souvenir de nos gestes, chaque pli exhale la fièvre de ce qui vient de nous traverser.Je me penche. Mes lèvres touchent son front. Geste simple, presque chaste, mais je tremble. Parce que dans ce baiser discret se cache un abîme : la peur de la perdre, l’envie de la retenir, l’ivresse d’un homme qui, pour la première fois, sent qu’il n’est plus maître de lui-même.SeliaJe reste immobile, mais tout vibre en moi. La chaleur de sa main trace des cercles
Le RoiJe la tiens encore contre moi, la sentant vibrer sous ma main. Son parfum, doux et chaud, envahit mes narines, et je sens chaque muscle de mon corps se tendre. Lentement, je la soulève, et elle ne résiste pas. Au contraire, elle se laisse porter, confiante, consciente du pouvoir qu’elle exerce sur moi. Chaque frisson qui traverse son corps est un feu qui consume ma patience, qui m’électrise sans que je puisse me retenir.Le lit apparaît enfin devant nous, immense, vierge de toute trace. Ce soir, il devient notre sanctuaire, un espace où la seule loi est la lenteur et l’adoration. Je la dépose doucement, avec le soin d’un roi qui touche un trésor rare. Mes mains glissent sur sa peau, explorant ses bras, ses épaules, son dos, chaque caresse un hommage, une déclaration silencieuse de désir et de fascination.Je sens mon souffle se mêler au sien, court et chaud. Je veux graver chaque détail de son corps dans ma mémoire. Sa peau brille encore d’huile et d’eau, chaque mouvement qu’el