LOGINJe l’ai senti bien avant que le ciel ne commence à se tordre.
La marque sous ma gorge avait pris une chaleur étrange au réveil, ni le feu familier de la présence de Kaël, ni l’alerte nette d’un danger immédiat. Un frémissement discontinu, comme un battement qui se cherche. Toute la matinée, la vallée du sanctuaire a résonné de ces pulsations irrégulières.
Les enfants, eux, étaient nerveux.
La fille du nord tournait en rond le long du ruisseau, flairant l’air, les oreilles presque plaquées contre le crâne dans un réflexe qui n’appartient pas à sa forme humaine. Milo ramassait des cailloux pour les jeter aussitôt. Mon fils fixait le ciel entre les branches, les yeux plissés, comme s’il examinait un secret invisible.
- La lumière va disparaître, a-t-il murmuré à
Je n’avais jamais vu la clairière ressembler à ça.Au centre, l’arène sacrée respirait comme un cœur arraché à la forêt. Un cercle de pierres, des torches plantées à intervalles réguliers, des visages alignés en silence. Pas un chant, pas un murmure. Les anciens avaient exigé le rite, ils en respectaient à présent la gravité.Kaël et moi nous tenions derrière la ligne tracée à la cendre, bras presque collés. Sa main serrait la mienne au point de m’écraser les phalanges. Il portait un pantalon sombre, le torse nu. Son odeur de chaleur et de cuir frotté me montait au crâne, si familière que mon corps s’y accrocha pour ne pas céder à la panique.Devant nous, notre fils attendait.Il avait ôté son haut, comme Saël. Sa poitrine fin
- Un duel.Le mot est tombé comme une pierre dans l’eau. Les cercles se sont figés autour de la pierre des plans. J’ai vu la bouche du vieux gardien se crisper, les yeux d’Iria se rétrécir, Ardan redresser la tête avec cette satisfaction qui me donne envie de lui griffer le visage.- On ne joue pas avec ça, grogna Kaël.Le jeune guerrier des montagnes, celui qui parlait le plus fort depuis Rochenoire, s’avança, menton levé.- La dissidence n’est pas encore actée, Alpha, déclara-t-il. Quand la meute se déchire sur une vision, les rites permettent un duel. Pas entre deux loups qui règlent un compte privé, mais entre deux porteurs de voie. Nous avons un candidat.Son regard glissa sur ma gauche.Je suivis, le ventre déjà noué.Un jeune mâle sortit des rangs. Plus grand que mon fils, &eacu
Il me ramena au sentier des loups solitaires, celui qui contourne la vallée comme une cicatrice discrète. Sa main restait posée à la base de ma nuque, pouce enfoncé dans la peau, juste assez pour m’ancrer sans m’étouffer. À chaque pas, je sentais sa respiration se caler sur la mienne, plus lourde qu’à l’ordinaire.- Tu t’en rends compte, murmurai-je, ils continuent de débattre pendant qu’on marche.- Ils se seraient déchirés même si nous étions restés au milieu du cercle, répondit-il. Là au moins, j’ai une chance de penser avant de rugir.Sa voix vibrait bas, tendue. Sous la colère, j’entendais une fatigue qui ne lui ressemblait pas, ce poids nouveau placé entre son rôle d’Alpha et celui de père.Nous avons gravi une butte nue. Au sommet, un arc de roche ouvrait la v
Sa main pesait sur ma hanche quand il a enfin rendu sa décision.- Je ne prononcerai pas le mot bannissement, dit Kaël. Je refuse de t’arracher notre marque comme on l’a fait à d’autres quand j’étais jeune.Un souffle a traversé le cercle. La fille du nord ne cligna même pas. Mon fils, derrière elle, se tendit comme un arc.Kaël continua, le regard planté dans ses yeux à elle.- Mais je ne peux pas ignorer que tes crises attirent les machines. Alors j’ouvre une autre voie. Tu quitteras le sanctuaire pendant un temps. Pas seule. Avec des passeurs, avec des errants. Vous remonterez vers une lisière plus éloignée, là où tes ondes se perdront parmi d’autres. Tu ne seras pas chassée, tu seras éclaireuse.Les mots tombèrent lourds. Dans la bouche des anciens, « éclaireur »
Les moteurs se sont tus avant la nuit.Les véhicules humains ont reculé, les drones sont remontés vers le ciel, emportant leurs données, leurs cartes, leurs certitudes froides. Aucun tir, aucune victime. Juste cette impression qu’ils avaient obtenu ce qu’ils voulaient vraiment : mesurer la manière dont nous nous fissurerions après leur passage.La fissure n’a pas attendu.Sur la crête, un jeune guerrier a parlé trop vite.- On sait d’où ça vient, a-t-il lâché. Ils suivent la même trace depuis l’éclipse.Je relevai la tête.- Précise, dis-je.- La fille du nord, répondit-il. L’éruption sous la lune mordue, sa première métamorphose, le sanctuaire qui pulse… Les capteurs ont suivi ce point-là. Sans elle, ils n’auraient jamais trouvé Rochenoir
Le hurlement a traversé le sanctuaire comme une lame.Je venais de remonter la couverture sur la fille du nord. Sa jambe immobilisée semblait minuscule sous les bandages. Milo, assis sur un tabouret, jouait avec un caillou poli, et mon fils lisait à mi-voix un passage du carnet d’Iria.Le signal venu des hauteurs a tout déchiré.Ma marque s’est contractée au point de brûler. Mon fils s’est figé.- Rochenoire, murmura-t-il. Frontière nord.Le rideau s’est soulevé. Kaël est entré à grandes enjambées, torse nu, cheveux encore humides, brassards de cuir à demi bouclés. Sa main s’est posée immédiatement sur ma nuque, réflexe autant qu’ancrage.- Convoi humain à la lisière, dit-il. Blindés, drones, chiens. Le messager parle de tir d’intimidation. Ils avancen







