La louve-garou de la lune

Les membres de la patrouille, postés en faction aux confins de leur territoire, s’étaient arrêtés net en apercevant cette silhouette inerte. Leur instinct les poussait à se montrer prudents. Leur Alpha, Kael, était un homme inflexible. Son autorité ne souffrait aucun doute, et toute intrusion était réprimée sans clémence. Ramener une étrangère sur leurs terres sans savoir qui elle était, ni ce qu’elle représentait, pouvait leur coûter cher.

Pourtant, la vieille Luna, Liora, s’était approchée sans hésitation. Son regard s’était adouci en découvrant le visage éthéré de la louve blessée. Une intuition profonde, un murmure venu des forces qui régissaient l’équilibre des loups, lui soufflait que cette jeune créature portait en elle un secret bien plus grand qu’elle. Elle s’agenouilla, effleurant du bout des doigts le front brûlant de la louve.

— Elle porte le poids d’un destin que nous ne comprenons pas encore, murmura-t-elle. Nous devons l’aider.

Un silence lourd suivit ses paroles. L’hésitation des guerriers était palpable. Ils savaient que Kael ne tolérerait pas la faiblesse, encore moins la clémence envers une inconnue. Mais nul n’osa contredire l’ancienne Luna. Sous son autorité silencieuse, ils soulevèrent le corps inerte et la ramenèrent au cœur de la meute.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, la douleur l’assaillit instantanément. Un incendie brûlait chacun de ses muscles, son esprit flottait entre la réalité et des fragments de souvenirs désordonnés. Des cris, une course effrénée sous la lune, des crocs qui se refermaient sur elle, le goût du sang… Puis, plus rien.

Elle était allongée sur un lit de fourrures épaisses. Une cheminée répandait une chaleur apaisante, chassant l’humidité qui s’était infiltrée jusque dans ses os. Ses doigts glissèrent sur le tissu doux des draps. Cet endroit n’avait rien d’hostile, et pourtant, elle sentait un danger latent flotter dans l’air.

Une présence se manifesta avant même qu’elle ne la voie. Une aura pesante, dominatrice. Lorsqu’elle leva les yeux, son regard se heurta à celui d’un homme posté près de la porte.

Kael.

Sa stature était imposante, ses traits ciselés et durs comme la pierre. Ses yeux dorés brillaient dans l’ombre, deux braises prêtes à embraser tout ce qu’elles touchaient. Son expression était indéchiffrable, froide comme la tempête qui rugissait au-dehors.

— Tu es enfin réveillée.

Sa voix était une lame effleurant sa peau, d’une douceur trompeuse. Elle essaya de parler, mais sa gorge était trop sèche. Elle dû se racler la gorge avant de souffler :

— Chez moi, répondit-il sans ciller. Et maintenant, étrangère, tu vas me dire qui tu es et pourquoi tu étais à moitié morte sur mon territoire.

— Mauvaise réponse.

Un frisson parcourut l’échine de la jeune louve. Elle pouvait presque sentir l’énergie brute qui irradiait de lui, comme une tempête contenue prête à se déchaîner. Un bruit de pas attira leur attention. Liora entra dans la pièce avec la tranquillité d’une femme qui avait déjà vu bien des tempêtes se déchaîner. Son regard s’adoucit en se posant sur la blessée.

— Kael, laisse-la reprendre des forces. Ce qu’elle fuit, ce qu’elle cache, pourrait bien nous concerner plus que nous ne l’imaginons.

Un éclair d’irritation passa dans le regard de l’Alpha, mais il se recula finalement.

— Soit. Mais elle reste sous surveillance. Et si elle représente un danger… je m’occuperai personnellement de son sort.

Il tourna les talons et disparut dans l’ombre, ne laissant derrière lui qu’une tension brûlante. La jeune louve sentit la fatigue l’envelopper de nouveau, mais avant qu’elle ne sombre, une voix douce vint effleurer son esprit.

— Repose-toi, ma fille. Ici, tu es en sécurité… du moins pour l’instant.

Liora.

Dans son regard bienveillant, Lyana crut apercevoir quelque chose qu’elle n’avait pas ressenti depuis longtemps : un espoir fragile, prêt à s’éteindre au moindre souffle du destin.

Kael referma la porte derrière lui d’un geste brusque. Il s’arrêta net dans le couloir, ses poings crispés le long de son corps tendu comme un arc prêt à se briser. Il inspira profondément, ses narines frémissant sous l’effet d’une odeur qui semblait s’être accrochée à lui, une fragrance indéfinissable, à la fois douce et enivrante, mais aussi dangereusement troublante.

Elle.

Son loup grondait en lui, tournant en rond dans son esprit comme une bête en cage. Son cœur battait trop fort, trop vite. Il ne comprenait pas ce qui se passait. Pourquoi cette étrangère, à peine consciente lorsqu’on l’avait trouvée, exerçait-elle un tel effet sur lui ? Pourquoi son simple regard semblait réveiller en lui un instinct primaire, une faim qu’il ne reconnaissait pas ?

À ses côtés, Elias ne manqua rien de son trouble. Son ami d’enfance, son Beta, posa sur lui un regard amusé, les bras croisés contre sa poitrine massive.

— Tu es tendu.

Kael lui lança un regard noir, mais cela ne fit qu’élargir le sourire narquois d’Elias.

— Je vais bien.

— Ah oui ? demanda Elias en haussant un sourcil sceptique. Parce que, vu d’ici, on dirait plutôt que tu es à deux doigts d’arracher une porte ou d’étrangler quelqu’un.

Kael serra la mâchoire.

Elias éclata d’un rire bas, moqueur.

— Toutes les femmes cachent quelque chose, mon frère. Mais celle-là… elle te perturbe plus que les autres.

Kael s’arrêta net. Son regard, plus sombre qu’une nuit sans lune, s’ancrant dans celui d’Elias.

— Ce n’est pas le sujet.

— Oh que si, ça l’est.

Le sourire d’Elias s’élargit, ses yeux pétillants de malice.

— Depuis quand un renégat te met dans un tel état ? Plus précisément, depuis quand une femme te met dans un tel état ?

Kael ne répondit pas. Il le savait. Depuis le premier instant où son regard s’était posé sur cette fille, quelque chose en lui s’était brisé. Et ce qui l’agaçait encore plus… c’était qu’il n’avait qu’une seule envie : la revoir.