Cassy
Je me réveille en sursaut, mon corps encore engourdi. Un rayon de lumière filtré par les rideaux caresse doucement mon visage. Il me faut quelques secondes pour me rappeler où je suis. Logan est toujours là, assis dans le fauteuil face à moi. Il est appuyé contre l’accoudoir, son menton dans la paume de sa main, ses yeux bleus scrutant l’horizon invisible vers l’extérieur. Une partie de moi veut lui parler, poser mille questions, mais une autre hésite. Comment fait-il pour dégager une telle sérénité tout en me rendant folle intérieurement ? Je bouge légèrement, et son regard glisse immédiatement vers moi, attentif.
— Tu devrais encore dormir, murmure-t-il.
— Je vais bien, dis-je d’une voix rauque.
Il arque un sourcil. Je sens qu’il ne croit pas une seconde à ma tentative de bravade. Moi non plus, d’ailleurs. Mon épaule me lance encore, et mon corps est lourd comme si j’avais traversé un champ de bataille. Ce qui, techniquement, n’est pas totalement faux.
— Aria a dit que tu devrais te reposer. Ton corps a besoin de temps.
Je me redresse brutalement, regrettant aussitôt mon mouvement.
— Ce loup ? Il voulait me tuer ?
L’air sérieux qui s’installe sur son visage me fait frissonner.
— Il faisait partie des fidèles de Kael. Ils savent qui tu es, Cassy. Et ils savent que tu es ici. Il ne voulait pas te tuer... mais te kidnaper.
Je me sens défaillir. Chaque mot de Logan est comme une pierre qu’on dépose sur ma poitrine. J’ai du mal à respirer. Tout ça me dépasse, me terrifie.
— Je ne suis … Je ne suis personne.
— Tu n’es pas “personne”, Cassy. Tu ne l’as jamais été. Tes parents savaient que tu étais spéciale. Et Henry aussi. Mais ils ont tout fait pour que tu puisses avoir une vie normale… aussi longtemps que possible.
Ses mots se suspendent dans l’air comme des spectres. Une colère sourde monte en moi.
— Normal? Je suis orpheline et j’ai grandi seule dans un pensionnat Mon enfance, ma vie entière rien n'a jamais été "normal".
Ma voix tremble, plus d’émotion que de force. Il me fixe longuement. Ses yeux brillent d’une sincérité qui me déstabilise.
— C’était pour ton bien.
Je détourne les yeux, incapable d’affronter ce regard qui semble lire en moi. Les souvenirs de mes parents me reviennent, comme des fragments d’un rêve brisé. Leur rire, leurs visages flous, leur absence omniprésente. Et maintenant, cette révélation insupportable : ils sont morts pour me protéger d’un destin que je ne veux pas. Un silence tendu s’installe entre nous. Finalement, c’est lui qui le brise. Sa voix est douce, mais elle porte un poids immense. Il inspire profondément, comme s’il s’apprêtait à soulever un lourd fardeau.
— Tes parents, c'étaient des gens biens. Ton père, Nathaniel, était un Gardien, un protecteur d’un secret ancien. Ta mère, Evelyne… elle était différente. Son sang portait en lui un héritage que beaucoup craignaient. Et toi… tu es la clé.
Un frisson me traverse. Je secoue la tête, refusant d’accepter ce qu’il dit.
— Quelle clé ?
— Il y a une histoire que l’on raconte aux enfants sur une guerre entre deux forces divines : Séléné, la déesse de la Lune, et Kael, son frère déchu. Kael a été enfermé, mais il avait eu un enfant, et son sang est la seule chose qui peut briser son sceau. Cette lignée s’est éteinte… jusqu’à toi.
Je sens mon souffle se bloquer, une vague glacée se répand dans mon corps.
— Pourquoi moi ?
— Parce que, pour la première fois depuis des siècles, quelqu’un de sa lignée possède en lui une concentration suffisante de ce sang pour le libérer. Certains veulent t’empêcher d’exister, d’autres veulent te livrer à Kael. Henry et tes parents ont tout fait pour te cacher, pour retarder l’inévitable.
— Qui les a tués ?
Logan serre la mâchoire, puis murmure :
— Je ne sais pas...
Il prend une inspiration et continue :
— Un groupe les a attaqués en pleine nuit. Ton père s’est battu jusqu’au bout pour que ta mère puisse t’éloigner. Elle t’a cachée. Henry et Elias sont arrivés à temps pour te retrouver, mais pas pour les sauver.
Mes jambes vacillent, mon souffle devient erratique.
— Ils sont morts… à cause de moi ?
— Non, Cassy. Ils sont morts parce qu’ils t’aimaient. Parce qu’ils voulaient te protéger.
Je ferme les yeux, un flot de douleur me submerge. Une image floue se forme dans mon esprit : des flammes, des cris, une silhouette qui me soulève dans ses bras. Henry ?
— Elias a effacé ta mémoire. Il voulait t’épargner la souffrance. Mais maintenant, nous devons le retrouver. Lui seul détient toutes les réponses.
Un silence suspend le temps entre nous. Mon cœur bat à tout rompre.
— Alors retrouvons-le.
Il me sourrit.
— Tu sais , mon pére n’a jamais pu s’en remettre. Il t’a confiée à un pensionnat pour que personne ne te trouve. Mais ça lui a brisé les coeur. Il aurait voulu que tu grandisses ici avec nous.
J’essuie mes larmes d’un revers de main. Je ferme les yeux, tentant de calmer les tremblements qui secouent mon corps. À cet instant, Logan pose sa main sur la mienne, doucement. Un courant électrique me traverse.
— Je comprends que tout soit violent pour toi. Mais sache que je suis là, et que je ferai tout pour te protéger.
_ On va tous mettre en oeuvre pour te protéger de ce salle type, me dit Eddy en pénétrant dans ma chambre. Je suis désolée de faire irruption, je venais voir comment tu allais, la porte étais entrevourte.
J’essaie de retenir un sanglot.
— Tout est tellement insensé…
— Je sais. Mais c’est la vérité. Nous devons te garder ici, en sécurité, jusqu’à ce que tu décides de ce qu’il convient de faire.
Je perçois l’infime tremblement dans la voix de Logan. Je l’observe. Son si beau visage ciselé, et ses yeux … mon Dieu, ces yeux.
— Alors, c’est quoi la suite ? Je dois me cacher ici, comme une prisonnière et tirer un trait sur ma vie à New York et sur mes amis?
— Je ne te retiendrai pas prisonnière. Mais sortir serait imprudent. Tu as vu de quoi ils sont capables...
— On va renforcer la sécurité, sourit Eddy.
— Logan, — Ma voix est basse, méfiante. — Pourquoi fais-tu tout ça ? Pourquoi te soucier de moi ?
Un éclair traverse ses yeux, quelque chose entre la frustration et le désir.
— Parce que tu es mon âme sœur, Cassy. Que tu l’acceptes ou non, c’est ainsi. Ton odeur, ton regard, ta simple présence… tout en toi m’appelle. Mon loup te reconnaît, te réclame. C’est instinctif, irrépressible. Tu es ma compagne destinée.
Mon cœur rate un battement. Ses mots résonnent au plus profond de moi, réveillant quelque chose que je ne comprends pas encore. Mais je ne peux pas céder. Pas maintenant. C’est trop tôt, trop confus.
— Et si je ne veux pas de ce destin ? — Je plante mes yeux dans les siens, cherchant à masquer la panique qui grandit en moi.
Il me regarde comme s’il voyait à travers mes mensonges.
— Tu peux le nier autant que tu veux, mais ça ne changera rien. Tu fais partie de ce monde, Cassy. Et moi, je ferai tout pour te protéger. Même de toi-même.
Je n’ai pas de réponse. À quoi bon ? Rien de ce que je dirai ne changera cette étrange vérité qui m’écrase. Alors, je détourne le regard, cherchant un échappatoire dans le vide.
Avant que je puisse m’enfoncer davantage dans mes pensées, Eddy, regarde son téléphone l’air grave et se retourne vers le jardin.
— Logan, on a un problème. Un éclaireur a repéré des loups à la lisière de la forêt. Ils sont nombreux.
— Ils sont là pour elle, murmure Loghan.
Il se tourne vers moi, son regard chargé d’une intensité qui me transperce.
— Tu ne sors pas d’ici, quoi qu’il arrive. Promets-le-moi.
— Logan, je…
— Promets-le-moi, Cassy !
Je finis par hocher la tête, incapable de parler. Il me fixe une dernière fois avant de sortir, suivi d’Eddy. La porte se referme avec un claquement sec, me laissant seule dans un silence étouffant. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Je me lève doucement, me dirigeant vers la fenêtre. Dehors, l’obscurité enveloppe encore la forêt comme un voile. Au loin, le soleil commence son acension. Mon téléphone vibre à nouveau. Dimitri. Cette fois, je l’ignore. Rien de ce qu’il pourrait dire n’a d’importance face à ce qui est en train de se jouer ici. Je me détourne de la fenêtre, m’assois sur le lit, et serre mes bras autour de moi. J’ai l’impression que la maison elle-même retient son souffle, attendant l’inévitable. Et moi, au milieu de tout ça, je ne suis qu’une humaine sur laquelle repose un destin que je ne comprends même pas.
Le jour déclinait sur Chartres Street. Une lumière dorée habillait les balcons en fer forgé, et l’air sentait le sucre chaud, le jazz et les regrets. Je m’étais installée seule à la terrasse d’un café discret, un de ceux que seuls les locaux connaissent, avec vue sur le monde sans y appartenir. Je venais souvent ici.C’est elle que j’ai vue en premier.Une petite fille, d’environ 6 ans, qui trottinait sur les pavés, rieuse, déguisée en pirate avec un bandeau rose. Elle s’est arrêtée net devant moi, comme si elle m’avait reconnue.Mais c’était impossible. Elle a penché la tête, intriguée.— T’es une fée ?J’ai souri, surprise.— Pourquoi tu dis ça ?— T’as des yeux qui brillent. — Peut-être que je suis une fée. Mais chut, c’est un secret. Que fais-tu toute seule?Elle a ri, puis elle a tendu la main vers ma joue.— Je ne suis pas seul je suis avec mon papa. Il t’aimerait bien.J’ai senti le sol se dérober sous mes pieds. Quand je l’ai entendu. Sa voix.— Ésmée viens ici. N’importune
Cassy Les jours ont passé. Lents, gris, sans lumière. Des jours qui n’avaient ni fin ni commencement, comme suspendus dans un temps qui n’était plus vraiment le mien. Depuis mon retour, j’évite Loghan. Je m’efface dans les couloirs, je détourne le regard, je fuis sa voix. Il me cherche parfois, son regard accroche le mien avec une douceur qui me transperce, mais il ne dit rien. Peut-être sent-il, dans mes silences, que quelque chose en moi est mort. Ou peut-être croit-il simplement que je me remets. Comme une humaine. Mais je ne suis plus humaine. Je passe mes nuits avec Vernius. Pas dans ses bras, non, mais dans cette proximité étrange, magnétique, organique. Comme si mon corps se souvenait qu’il m’a ramenée. Il me guide, me forme, m'apprend à dompter la soif, à percevoir l’aura des vivants, à contrôler mes pensées. Je le déteste pour ce qu’il a fait. Et pourtant, je ne peux plus m’éloigner de lui trop longtemps. Il est mon ancre, mon poison, mon reflet. Alors que j’admirais la lune
CassyJe marchais pieds nus sur une herbe douce, presque tiède, d’un vert que je n’avais jamais vu. L’air sentait la lumière, si léger que j’en avais oublié la pesanteur de mon corps. Ils étaient là.Mon père, son sourire tranquille, les mains ouvertes. Ma mère, belle comme une étoile, me tendant les bras. Henry, solide, bienveillant, la voix douce. Je me sentais entière, légère, libre. Aucune douleur. Juste la paix. J’ai voulu aller vers eux, mais un souffle, un grondement, est monté de sous mes pieds. Comme un orage. Tout s’est mis à trembler. J’ai tendu la main vers eux, suppliée qu’on me retienne. Henry a reculé, son regard soudain voilé.— Cassy, tu dois repartir.— Non !La terre s’est ouverte. Quelque chose m’a happée. Une force brutale, déchirante, m’a arrachée à cette lumière, à ce bonheur trop pur. Je me suis sentie chuter, aspirée par un gouffre noir, glacé, sans retour.Une brûlure, un incendie dans mes veines, un cri muet planté dans ma gorge. Mon corps refusa de rester m
CassyLa lune est ronde, prête à m’engloutir. Et moi, j’attends, comme une proie résignée. Kael est entré dans ma chambre sans frapper, ses pas lourds de certitudes. Dans ses bras, une robe noire, fine, brodée de dentelle, presque irréelle.— C’est pour toi, souffla-t-il, et il y avait dans sa voix une tendresse perverse, un amour maudit.J’ai accepté la robe. Par stratégie. Par nécessité. Des sorcières sont venues ensuite. Leurs mains avides de pouvoir ont coiffé mes cheveux, tracé sur mes paupières un fard sombre, ourlé mes lèvres de carmin. Je ressemblais à une mariée funéraire. À la poupée d’un monstre. Quand elles ont reculé, j’ai croisé mon reflet dans un miroir terni.Je ne me suis pas reconnue. Kael me tendit la main.— Viens. Il est temps.J’ai posé mes doigts dans les siens, et mon estomac s’est retourné. Sa peau était glacée, comme la mort elle-même. La salle résonnait de chants anciens, la dalle de marbre noir luisait d’un éclat humide, presque vivant. Les runes me semblai
CassyLe temps est devenu une chose étrange, ici. Les heures se déforment, s’étirent, se rétractent comme la respiration d’une bête endormie. Kael vient me voir chaque soir, avant que la lune ne grimpe trop haut. Il me parle, il me frôle, il me regarde comme s’il pouvait me dévorer et m’adorer dans le même geste. Et moi, je joue la proie docile.Je mange. Je dors. J’obéis.Mais en moi, la tempête grandit.Ils préparent le rituel. Les sorcières s’affairent dans la grande salle, gravant des runes dans le marbre, peignant mon futur cercueil avec des encres noires. Je les observe parfois à travers l’entrebâillement de la porte, fascinée malgré moi par cette chorégraphie macabre.La pleine lune approche. Deux nuits. Deux misérables nuits.Cette nuit-là, Kael est resté plus longtemps. Il a posé ses doigts sur ma nuque, les a laissés remonter le long de ma mâchoire, si lentement que j’ai cru m’embraser.— Tu te fais à ta prison ? a-t-il murmuré.J’ai soutenu son regard, sans trembler.— Je m
CassyJe l’ai suivi. Sans discuter, sans lutter, parce que tout mon plan exigeait cette soumission feinte. Kael ouvrait la marche, silhouette découpée dans l’obscurité comme une promesse de damnation. Et moi derrière, j’avançais, résignée, le pas lourd, mon cœur cognant la mesure d’une sentence à venir.La forêt avalait notre silence, comme si elle nous interdisait jusqu’au murmure. Seules les branches mortes craquaient sous mes pas, et parfois, dans la pénombre, j’avais l’impression d’entendre la voix d’Henry, un écho qui me suppliait de revenir en arrière. Trop tard.Son sanctuaire surgit au détour d’un sentier, griffé par le temps, monstrueux de puissance oubliée. À première vue, on aurait cru les ruines décharnées d’un vieux château, éventré par les siècles, ses pierres à demi englouties par le lierre et la moisissure. La forêt le rongeait comme un cancer. Mais à peine eus-je franchi l’arche fracturée qu’un voile sembla se lever. Mon souffle s’arrêta net. Devant moi s’étendait un