Cassy
Je sors en trombe de la maison, l’air glacial de la nuit me fouette le visage. Mon cœur bat à tout rompre, mes jambes tremblent, mais je n’arrête pas. Chaque fibre de mon être hurle de fuir cet endroit. Tout semble irréel : loups-garous, prophétie, mes parents… Mon esprit tourne comme une toupie incontrôlable. Je suis en plein délire. Le gravier crisse sous mes bottines alors que je traverse le jardin à grandes enjambées. Quelques gardes me jettent des regards furtifs, mais personne ne bouge. Tant mieux. Je n’ai pas besoin de me battre pour ma liberté. Et puis c’est quoi cette histoire de garde! Il faut que je quitte cette endroit. Je m’enfonce dans la forêt. La lumière douce de la maison disparaît derrière moi, remplacée par une obscurité oppressante. Les arbres sont gigantesques, leurs branches enchevêtrées créant un plafond vivant au-dessus de ma tête. L’air est lourd, saturé d’une odeur de mousse humide et de bois. Les bruits de la nuit m’encerclent : le bruissement des feuilles, le craquement des brindilles, des hululements lointains. Tout semble plus vivant ici, comme si cette forêt avait une âme. Mais je ne peux pas faire demi-tour. Je cours sans réfléchir, mes pensées se confondant avec les battements affolés de mon cœur. Les branches me griffent les bras, le sol glissant menace de me faire tomber. Mon pied se coince dans une racine, je perds l’équilibre et m’écroule lourdement. La douleur éclate dans mon genou et mon épaule. Je mords ma lèvre pour retenir un cri. Je me relève avec difficulté, une fine pellicule de boue couvrant mes mains. Une coupure saigne sur ma paume, mais je n’ai pas le luxe de m’apitoyer. Je dois m’éloigner, aller plus loin, ne pas regarder en arrière. Mais alors que je reprends ma course, un bruit sourd me fige sur place. Un grognement. Grave. Proche. Je me retourne lentement, mes yeux s’accrochant à l’obscurité. Il est là. Un loup immense, au pelage gris cendré, des yeux jaunes brillant comme deux lanternes maléfiques. Il me regarde avec une intensité qui me glace jusqu’aux os. Il s’avance d’un pas lent, chaque muscle tendu, prêt à bondir.
— Non… Non… — je murmure, reculant maladroitement.
Il grogne à nouveau, dévoilant des crocs aussi longs que des dagues. Mon corps entier se fige, incapable de bouger, incapable de respirer. Et puis, il attaque. Je sens ses crocs s’enfoncer dans mon épaule, une douleur brûlante me déchirant. Je hurle, essayant de me débattre, mais il est trop fort. Soudain, un rugissement éclate, profond et puissant, comme un tonnerre venu des entrailles de la terre. Un autre loup surgit de l’ombre, immense, noir comme la nuit, avec des yeux d’un bleu incandescent. Sérieux? Je vais m’évanouir. Il se jette sur le loup gris avec une force et une précision terrifiantes. Les deux bêtes roulent au sol, grognant, mordant, se battant avec une brutalité sauvage. Le loup noir prend le dessus, ses crocs se refermant sur la gorge de son adversaire. Un dernier gémissement, et le corps du loup gris s’effondre, inerte. Je suis paralysée, tremblante, la douleur dans mon épaule pulsant comme un feu. Le loup noir se tourne vers moi, ses yeux pleins d’une émotion que je ne peux nommer. Lentement, sous mes yeux ébahis, il commence à changer. Ses membres se raccourcissent, son pelage disparaît, et bientôt, Logan se tient devant moi, complétement nu, sa silhouette illuminée par la lumière de la lune.
— Cassy… Tu vas bien ? — Sa voix grave résonne, mêlée d’inquiétude.
Je n’arrive pas à parler. Ni à bouger. Mon regard glisse sur son visage, puis descend, lentement, sur son torse puissant, sculpté comme une foutue statue grecque. Je ne peux m’empêcher d’admirer chaque muscle tendu, chaque ligne dessinée avec une perfection presque insolente. Et puis… Oh. Mon cœur rate un battement. Mon cerveau, lui, bugue complètement. Il est nu. Entièrement. Une chaleur étrange monte en moi. Et je ne sais pas si c’est la perte de sang, le choc, ou un mauvais tour de mon subconscient, mais la seule chose qui me traverse l’esprit, c’est : Wow. J’avale ma salive, incapable de détacher les yeux de lui.
— Tu comptes me fixer encore longtemps ou tu veux une photo ? — Sa voix amusé et rauque me sort brusquement de ma contemplation.
J’étouffe un gémissement – pas de douleur, non, juste de pure exaspération mêlée à quelque chose de bien plus embarrassant. Un sourire en coin étire ses lèvres, un mélange de malice et de satisfaction évidente.
— Enfile un truc, bon sang !
Il rit doucement, un rire grave, vibrant, qui me fait autant frissonner que grincer des dents.
— C’est toi qui mates, Cassy. Pas moi.
Et merde. Mon seul espoir, à cet instant précis ? Que la terre s’ouvre sous mes pieds et m’engloutisse. Tout de suite.
— Tu es blessée. Il faut qu’on parte d’ici, d’autres peuvent venir. Je… Je suis désolée… J’aurais dû te protéger. J’ai cru bien faire en te laissant de l’espace, mais je me suis trompé.
Il me soulève dans ses bras comme si je ne pesais rien. La chaleur de son corps contre le mien m’apaise, même si la douleur à mon épaule est toujours vive. Je m’accroche à son cou, le souffle court, troublée par sa proximité.
— Pourquoi… Pourquoi je rêve de toi ? — Je murmure, presque pour moi-même.
— Tu rêves de moi?
Son regard intense capte le mien, et pendant un instant, le monde autour de nous disparaît. La tension entre nous est presque insoutenable. J’ai envie de l’embrasser, de comprendre ce qui m’attire autant chez lui. Qu’est-ce qui ne va pas chez moi! Je viens d’être attaqué par un loup et j’ai vu Logan se transformer sous mes yeux et je joue les midinettes. À peine franchissons-nous le seuil que tout le monde se précipite. Eddy m’adresse un sourire amusé.
— Pour une première soirée ici, tu fais fort, Cassy. Bienvenue dans la famille.
Tasha me serre dans ses bras, ses yeux pleins de douceur.
— Tu vas bien, ma belle ? Viens, on va te soigner.
— Faites venir Aria, ordonne Logan.
Il m’emmène dans ma chambre, me dépose délicatement sur le lit, et disparaît quelques instants pour revenir vêtu d’un simple pantalon fluide noir. Une femme entre, petite, aux cheveux gris, un sac médical à la main.
— Cassy, je suis Aria, le médecin de la meute. Laisse-moi voir ça.
Elle nettoie ma blessure avec douceur, mais je grimace sous la douleur.
— Ça va aller, ne t’inquiéte pas. Tes blessures sont superficiels mais tu devrais te reposer, avec ce que tu viens de découvrir tu dois être un peu déboussolée. Je repasserais te voir demain.
Alors qu’Aria vient de sortir, mon téléphone vibre. C’est Dimitri. Je décroche.
— Cassy ? Ça va ? J’ai essayé de te joindre toute la journée? Dave m’a dit que tu étais parti précipitament. Tu vas bien?
— Ça va, Dim. Je suis juste… en Californie… pour une affaire familiale. Ne t’inquiéte pas pour moi d’accord. Je dois raccrocher. Je t’embrasse.
En relevant les yeux, je croise le regard de Logan qui attend à l’embrasure de la porte.
— C’est ton petit ami ?
Sa voix est basse, presque menaçante.
— Quoi ? Non, c’est un collègue.
Il détourne le regard, un sourire sur les lèvres.
— Et toi? Tu as quelqu’un dans ta vie?
Je le fixe, le cœur battant. Je ne sais même pas pourquoi je lui demande cela! Il s’approche et murmure :
— Repose-toi. Nous avons tout le temps pour en discuter demain.
Il s’installe dans un fauteuil près de moi, croisant ses bras, son regard ne quittant pas le mien. La fatigue me gagne. Je ferme les yeux, rassurée par sa présence. Avant de sombrer dans le sommeil, une pensée me traverse : mon monde ne sera jamais plus le même.
Le jour déclinait sur Chartres Street. Une lumière dorée habillait les balcons en fer forgé, et l’air sentait le sucre chaud, le jazz et les regrets. Je m’étais installée seule à la terrasse d’un café discret, un de ceux que seuls les locaux connaissent, avec vue sur le monde sans y appartenir. Je venais souvent ici.C’est elle que j’ai vue en premier.Une petite fille, d’environ 6 ans, qui trottinait sur les pavés, rieuse, déguisée en pirate avec un bandeau rose. Elle s’est arrêtée net devant moi, comme si elle m’avait reconnue.Mais c’était impossible. Elle a penché la tête, intriguée.— T’es une fée ?J’ai souri, surprise.— Pourquoi tu dis ça ?— T’as des yeux qui brillent. — Peut-être que je suis une fée. Mais chut, c’est un secret. Que fais-tu toute seule?Elle a ri, puis elle a tendu la main vers ma joue.— Je ne suis pas seul je suis avec mon papa. Il t’aimerait bien.J’ai senti le sol se dérober sous mes pieds. Quand je l’ai entendu. Sa voix.— Ésmée viens ici. N’importune
Cassy Les jours ont passé. Lents, gris, sans lumière. Des jours qui n’avaient ni fin ni commencement, comme suspendus dans un temps qui n’était plus vraiment le mien. Depuis mon retour, j’évite Loghan. Je m’efface dans les couloirs, je détourne le regard, je fuis sa voix. Il me cherche parfois, son regard accroche le mien avec une douceur qui me transperce, mais il ne dit rien. Peut-être sent-il, dans mes silences, que quelque chose en moi est mort. Ou peut-être croit-il simplement que je me remets. Comme une humaine. Mais je ne suis plus humaine. Je passe mes nuits avec Vernius. Pas dans ses bras, non, mais dans cette proximité étrange, magnétique, organique. Comme si mon corps se souvenait qu’il m’a ramenée. Il me guide, me forme, m'apprend à dompter la soif, à percevoir l’aura des vivants, à contrôler mes pensées. Je le déteste pour ce qu’il a fait. Et pourtant, je ne peux plus m’éloigner de lui trop longtemps. Il est mon ancre, mon poison, mon reflet. Alors que j’admirais la lune
CassyJe marchais pieds nus sur une herbe douce, presque tiède, d’un vert que je n’avais jamais vu. L’air sentait la lumière, si léger que j’en avais oublié la pesanteur de mon corps. Ils étaient là.Mon père, son sourire tranquille, les mains ouvertes. Ma mère, belle comme une étoile, me tendant les bras. Henry, solide, bienveillant, la voix douce. Je me sentais entière, légère, libre. Aucune douleur. Juste la paix. J’ai voulu aller vers eux, mais un souffle, un grondement, est monté de sous mes pieds. Comme un orage. Tout s’est mis à trembler. J’ai tendu la main vers eux, suppliée qu’on me retienne. Henry a reculé, son regard soudain voilé.— Cassy, tu dois repartir.— Non !La terre s’est ouverte. Quelque chose m’a happée. Une force brutale, déchirante, m’a arrachée à cette lumière, à ce bonheur trop pur. Je me suis sentie chuter, aspirée par un gouffre noir, glacé, sans retour.Une brûlure, un incendie dans mes veines, un cri muet planté dans ma gorge. Mon corps refusa de rester m
CassyLa lune est ronde, prête à m’engloutir. Et moi, j’attends, comme une proie résignée. Kael est entré dans ma chambre sans frapper, ses pas lourds de certitudes. Dans ses bras, une robe noire, fine, brodée de dentelle, presque irréelle.— C’est pour toi, souffla-t-il, et il y avait dans sa voix une tendresse perverse, un amour maudit.J’ai accepté la robe. Par stratégie. Par nécessité. Des sorcières sont venues ensuite. Leurs mains avides de pouvoir ont coiffé mes cheveux, tracé sur mes paupières un fard sombre, ourlé mes lèvres de carmin. Je ressemblais à une mariée funéraire. À la poupée d’un monstre. Quand elles ont reculé, j’ai croisé mon reflet dans un miroir terni.Je ne me suis pas reconnue. Kael me tendit la main.— Viens. Il est temps.J’ai posé mes doigts dans les siens, et mon estomac s’est retourné. Sa peau était glacée, comme la mort elle-même. La salle résonnait de chants anciens, la dalle de marbre noir luisait d’un éclat humide, presque vivant. Les runes me semblai
CassyLe temps est devenu une chose étrange, ici. Les heures se déforment, s’étirent, se rétractent comme la respiration d’une bête endormie. Kael vient me voir chaque soir, avant que la lune ne grimpe trop haut. Il me parle, il me frôle, il me regarde comme s’il pouvait me dévorer et m’adorer dans le même geste. Et moi, je joue la proie docile.Je mange. Je dors. J’obéis.Mais en moi, la tempête grandit.Ils préparent le rituel. Les sorcières s’affairent dans la grande salle, gravant des runes dans le marbre, peignant mon futur cercueil avec des encres noires. Je les observe parfois à travers l’entrebâillement de la porte, fascinée malgré moi par cette chorégraphie macabre.La pleine lune approche. Deux nuits. Deux misérables nuits.Cette nuit-là, Kael est resté plus longtemps. Il a posé ses doigts sur ma nuque, les a laissés remonter le long de ma mâchoire, si lentement que j’ai cru m’embraser.— Tu te fais à ta prison ? a-t-il murmuré.J’ai soutenu son regard, sans trembler.— Je m
CassyJe l’ai suivi. Sans discuter, sans lutter, parce que tout mon plan exigeait cette soumission feinte. Kael ouvrait la marche, silhouette découpée dans l’obscurité comme une promesse de damnation. Et moi derrière, j’avançais, résignée, le pas lourd, mon cœur cognant la mesure d’une sentence à venir.La forêt avalait notre silence, comme si elle nous interdisait jusqu’au murmure. Seules les branches mortes craquaient sous mes pas, et parfois, dans la pénombre, j’avais l’impression d’entendre la voix d’Henry, un écho qui me suppliait de revenir en arrière. Trop tard.Son sanctuaire surgit au détour d’un sentier, griffé par le temps, monstrueux de puissance oubliée. À première vue, on aurait cru les ruines décharnées d’un vieux château, éventré par les siècles, ses pierres à demi englouties par le lierre et la moisissure. La forêt le rongeait comme un cancer. Mais à peine eus-je franchi l’arche fracturée qu’un voile sembla se lever. Mon souffle s’arrêta net. Devant moi s’étendait un