La tension était palpable, un fil invisible tendu entre Lorcan et les Traqueurs. Le silence, lourd et oppressant, était seulement troublé par le souffle rauque des hommes dissimulés sous leurs cagoules et le bruissement des feuilles agitées par le vent. Lorcan les observait, scrutant chaque détail de leur posture, de leur équipement, cherchant le moindre indice sur leur chef, leur stratégie.
Ils étaient une dizaine, peut-être douze, tous armés jusqu'aux dents. Des arbalètes aux carreaux argentés, des épées à la lame effilée, des poignards dissimulés sous leurs robes sombres. Ils n'étaient pas des novices, ça se voyait à leur façon de se tenir, à leur regard froid et déterminé. Ils étaient des professionnels, des chasseurs entraînés à traquer et à tuer des loups-garous.
Un homme s'avança, sa silhouette se détachant des autres. Il était plus grand, plus imposant, et son attitude respirait l'autorité. Il releva sa cagoule, révélant un visage marqué par les cicatrices et les rides, un visage durci par la haine et la vengeance. Ses yeux gris, d'une froideur glaçante, se fixèrent sur Lorcan.
"Lorcan", dit-il d'une voix rauque, éraillée par le temps et la colère. "Enfin, nous nous rencontrons."
Lorcan reconnut cet homme. Il s'agissait de Marius Valois, le chef de la Confrérie des Traqueurs de la région. Il l'avait croisé plusieurs fois par le passé, mais jamais de si près. Il savait que Valois était un ennemi redoutable, un tacticien brillant et un combattant impitoyable.
"Valois", répondit Lorcan d'une voix calme, cherchant à dissimuler la tension qui le rongeait. "Je me demandais quand vous finiriez par vous montrer."
"Nous vous traquons depuis des années, loup", ricana Valois. "Nous avons patiemment attendu notre heure. Et maintenant, elle est venue."
"Que voulez-vous ?" demanda Lorcan. "Vous savez que je ne laisserai pas ma meute se faire massacrer."
"Nous ne voulons pas de massacre", répondit Valois, son ton étonnamment posé. "Nous voulons la justice. Vous avez commis des crimes horribles, Lorcan. Vous avez versé le sang d'innocents. Il est temps de payer pour vos péchés."
Lorcan serra les poings. Il savait à quoi Valois faisait allusion. Il y a des années, lors d'une nuit de pleine lune particulièrement violente, il avait perdu le contrôle de sa bête. Il avait attaqué un village voisin, tuant plusieurs personnes. Il avait toujours vécu avec la culpabilité de cet acte, avec le poids de ces vies sur sa conscience.
"Je sais ce que j'ai fait", dit Lorcan, la voix chargée de remords. "Je regrette chaque vie que j'ai prise. Mais j'ai changé. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour protéger les humains."
"Vos paroles ne valent rien", rétorqua Valois, le visage déformé par la haine. "Vous êtes un monstre, Lorcan. Un prédateur sanguinaire. Et vous devez être éliminé."
Il fit un signe de la main et les Traqueurs se mirent en mouvement. Ils encerclèrent Lorcan, resserrant le cercle autour de lui. Il était pris au piège.
"Je ne veux pas me battre", dit Lorcan, espérant encore pouvoir raisonner Valois. "Mais si vous m'y forcez, je me défendrai."
"Il n'y a pas d'autre voie possible", répondit Valois, le regard implacable. "Préparez-vous à mourir, loup."
Les Traqueurs se jetèrent sur Lorcan, leurs lames étincelant au soleil. Il esquiva la première attaque avec une agilité surprenante, utilisant sa canne pour désarmer un des Traqueurs. Il enchaîna avec un coup de pied puissant, projetant un autre Traqueur à terre.
Mais ils étaient trop nombreux. Il se retrouva rapidement submergé par les attaques, les lames s'abattant sur lui de toutes parts. Il parait les coups avec sa canne, esquivant ceux qu'il pouvait, mais il savait qu'il ne pourrait pas tenir longtemps.
Il sentit une douleur lancinante dans son épaule. Une des lames l'avait touché, lui ouvrant une entaille profonde. Le sang coulait à flots, imbibant sa chemise.
Il grogna de douleur et de rage. Il sentait la bête qui sommeillait en lui se réveiller, le désir de tuer, de déchiqueter ses ennemis, le consumant de l'intérieur. Il lutta pour garder le contrôle, conscient que s'il laissait la bête prendre le dessus, il risquait de perdre son humanité.
Il recula, cherchant à gagner du temps, à reprendre son souffle. Il observa attentivement ses adversaires, cherchant une faille dans leur formation. Il savait qu'il devait trouver un moyen de s'échapper, de les attirer loin du territoire de sa meute.
Il aperçut une ouverture sur sa droite. Il se lança à corps perdu dans cette direction, bousculant deux Traqueurs sur son passage. Il courut à travers la forêt, les Traqueurs à ses trousses.
Il savait qu'il ne pourrait pas les semer longtemps. Ils étaient trop rapides, trop déterminés. Mais il devait gagner du temps, suffisamment de temps pour que sa meute puisse se mettre en sécurité.
Il entendit le hurlement d'un loup au loin. C'était Anya. Elle avait compris qu'il était en difficulté. Il sentit son cœur se serrer. Il ne voulait pas qu'elle se mette en danger pour lui.
Il accéléra le pas, courant à travers la forêt comme un animal traqué. Il savait que sa vie était en jeu, mais il se battait pour bien plus que sa propre survie. Il se battait pour l'avenir de sa meute, pour la survie de son peuple. Et il était prêt à tout sacrifier pour y parvenir.
La forêt avait changé.Depuis le réveil du dragon, les arbres semblaient… plus vivants.Leurs branches frémissaient à l’approche d’un cœur pur, mais se refermaient comme des griffes à l’odeur du sang corrompu.Lorcan avançait en silence, suivi de Kael et Lyra.Ils escortaient Elara, dont la démarche vacillante trahissait les brûlures internes laissées par le pacte.Leurs pas les menaient vers un lieu interdit, effacé des cartes par les anciens.Le Sanctuaire de Verdanis.— Tu es certain qu’il acceptera de nous écouter ? murmura Lyra.— Non. Mais il pleure encore.Kael fronça les sourcils.— Qui ?Lorcan s’arrêta.— Le dernier Gardien d’ivoire.— Il a vu le pacte être brisé il y a des siècles. Il n’a jamais pardonné. Ni aux dragons… ni aux humains.La clairière apparut d’un coup, creusée dans la roche comme une plaie ouverte dans le flanc de la montagne.Une rivière cristalline en surgissait, mais à sa source… coulait une seule larme.Épaisse. Blanche.Comme du lait brûlant tombé du ci
Le vent hurlait au sommet du bastion.Un vent sans odeur. Sans saison.Un vent qui ne venait d’aucune direction connue.Elara rouvrit les yeux, en sursaut.Elle était dans sa chambre. Mais quelque chose n’allait pas.Son souffle formait une buée d’argent dans l’air. Les murs vibraient à peine, comme si la pierre elle-même respirait.Et au centre de la pièce…Neros.Le garçon se tenait debout. Immobile. Pieds nus sur le sol froid.Il la regardait.— Tu n’aurais pas dû faire le pacte, dit-il d’une voix grave… trop grave.Presque… double.— Neros ? murmura-t-elle, en se redressant lentement.— Ce n’est pas toi qui me parles, n’est-ce pas ?Le garçon pencha la tête, et un sourire triste étira ses lèvres juvéniles.— Nous partageons désormais une brèche.— Ce que tu portes en toi… résonne en moi.— Et cette faille, Elara, elle est faite de chair.Elle voulut s’approcher. Mais un pas de plus, et la pièce se mit à fluctuer.Les pierres devinrent souples. Les ombres s’allongèrent comme des ma
Le ciel semblait plus bas que d’habitude.Comme si les nuages eux-mêmes retenaient leur souffle.Lorcan marchait en tête, les épaules tendues, le regard vissé à la ligne brumeuse des montagnes du Nord. À ses côtés, Elara serrait contre elle un ancien rouleau de peau tannée — le seul indice laissé par le Conseil sur l’existence d’un Gardien draconique, oublié de tous, sauf des mythes.— Tu es sûr de vouloir faire appel à lui ? murmura-t-elle en évitant une racine noueuse.— Non.— Mais c’est notre seul choix.Ils avaient laissé Neros aux soins de Mira, enfermés dans le cercle des Anciennes. Le jeune garçon dormait encore, un souffle lent, mais son esprit… son esprit était ailleurs.Et le Néant l’appelait.Pour refermer la brèche, il fallait une puissance que même les sorciers du Voile ne pouvaient contrôler.Un souffle d’origine.— Il dort au pied de la gorge de Fàrn. Entre les deux chutes. Là où l’eau ne gèle jamais.Kael l’avait murmuré à Lorcan, la veille, comme on partage une légen
La lune s’était retirée derrière un voile d’ombres.Même les chouettes avaient cessé leur chant.Dans la tanière, tout semblait dormir.Tout… sauf lui.Il s’appelait Neros, à peine quinze hivers, le plus jeune du cercle d’initiation.Un louveteau à la fourrure trop sombre pour son âge, aux yeux couleur d’orage. Silencieux. Effacé. Toujours à l’écart, même quand les autres jouaient ou s’affrontaient pour gagner leur place dans la hiérarchie.Cette nuit-là, Neros se tenait debout, pieds nus sur la pierre froide, face à l’autel des anciens.Et il parlait.Mais personne ne lui répondait.— Vous êtes là, je le sais.— Dans mon ventre.— Dans mes os.— Vous n’avez plus besoin de vous cacher…Il leva la main.Ses doigts saignaient, entaillés par ses propres ongles. Le sang coulait lentement, goutte après goutte, traçant un cercle sur la dalle.Une langue ancienne s’échappa de sa bouche.Inconnue. Inhumaine.Ce fut Kael qui sentit l’anomalie.Réveillé en sursaut par un frisson glacé, il suivi
Le corbeau s’écrasa contre le perron de pierre dans un fracas d’ailes et de sang.Anya fut la première à se pencher. Ce n’était pas un oiseau ordinaire. Son plumage n’était pas noir mais d’un gris fumé, comme brûlé par l’intérieur. Ses yeux… ou ce qu’il en restait… n’étaient que deux orbites vides, d’où s’échappait une brume épaisse et noire.Attaché à sa patte, un parchemin. Lorcan l’ouvrit sans un mot.Il n’y avait qu’une seule phrase, tracée dans une encre vivante qui semblait onduler sous ses yeux :« Le Conseil du Voile a perdu un de ses piliers. Le Néant a ouvert un œil. »Lorcan sentit un frisson lui remonter l’échine.La dernière fois qu’un membre du Conseil avait été tué, c’était plus de deux siècles auparavant, lors de la Fracture des Âmes, un événement si violent que les forêts avaient saigné et les rivières avaient changé de lit.Kael se pencha à son tour, fronçant les sourcils.— Qui ?— Le message ne le dit pas, mais ce symbole… ici.Il désigna une marque griffée en bas
Le vent s’était levé bien avant l’aube.Lorcan gravit les derniers mètres vers le cœur de la tanière, le pas lourd, les muscles tendus. Chaque racine sous ses pieds semblait vibrer d’une nouvelle gravité. Il portait sur lui une odeur subtile — pas celle du sang ou de la peur, mais celle d’un monde plus ancien, d’un serment que rien ne pourrait défaire.La meute s’était rassemblée dans le cercle central, comme si elle avait senti l’importance de son retour avant même qu’il ne franchisse le seuil.Anya s’avança la première, le souffle suspendu.— Tu es vivant.— Et… différent.Lorcan hocha lentement la tête. Son regard croisait les visages familiers : Kael, Mira, les jeunes encore marqués par les cicatrices des derniers affrontements.Puis il parla.— J’ai comparu devant le Conseil du Voile.— Ce n’était pas une légende. C’était réel. Et ancien.— Ils nous ont convoqués. J’ai répondu.— Et j’ai accepté leur charge.Un murmure parcourut la meute. Une onde sourde d’incompréhension et d’in