Le sang chaud ruisselait sur son torse, un rappel constant de sa vulnérabilité. Lorcan sentait ses forces l'abandonner à chaque foulée, mais l'adrénaline et la rage froide qui bouillonnaient en lui le maintenaient en mouvement. Il entendait les Traqueurs derrière lui, leurs pas lourds martelant le sol, leurs halètements rauques brisant le silence de la forêt. Ils étaient comme des chiens de chasse lancés sur une proie, implacables et assoiffés de sang.
Il sauta par-dessus une souche d'arbre, le genou vibrant sous l'impact. La douleur le percuta comme un coup de poing, mais il l'ignora. Il devait continuer, il devait les éloigner le plus possible de sa meute.
Sa respiration était courte et saccadée, chaque inspiration lui brûlant les poumons. La forêt défilait devant ses yeux comme un flou indistinct, les arbres se mélangeant en une masse sombre et menaçante. Il se sentait comme un animal traqué, acculé dans un coin, sans aucune issue.
Mais il n'était pas un animal ordinaire. Il était Lorcan, l'Alpha des Écailles de Lune. Il portait en lui la puissance d'un loup et la sagesse d'un homme. Et il refusait de se laisser abattre sans se battre.
Il ralentit légèrement, se cachant derrière un épais bosquet de houx. Il écouta attentivement, essayant de déterminer la position exacte de ses poursuivants. Il pouvait sentir leur odeur, une combinaison nauséabonde de sueur, de fer et de haine.
Ils étaient proches, très proches. Il entendit Valois donner des ordres, sa voix rauque résonnant à travers les arbres.
"Divisez-vous ! Encerclez-le ! Qu'il ne nous échappe pas !"
Lorcan serra les dents. Ils étaient intelligents, ces Traqueurs. Ils savaient comment le traquer, comment le piéger. Il devait trouver une solution, et vite.
Il referma les yeux, se concentrant sur ses sens. Il essaya de ressentir la forêt, de se connecter à elle, de devenir un avec elle. Il était un loup, après tout. La forêt était son territoire, son refuge. Il devait l'utiliser à son avantage.
Il sentit une légère brise lui caresser le visage. Elle venait du nord, apportant avec elle l'odeur de l'eau. Un ruisseau, ou peut-être une rivière.
C'était sa chance.
Il ouvrit les yeux et se lança à nouveau dans la course, se dirigeant vers le nord. Il courut à travers les arbres, sautant par-dessus les obstacles, esquivant les branches basses. Il courait avec la vitesse et l'agilité d'un loup, ses pieds effleurant à peine le sol.
Il entendit les Traqueurs crier de rage derrière lui. Ils avaient compris son intention. Ils essayaient de le rattraper, mais il était trop rapide pour eux.
Il atteignit le ruisseau, un mince filet d'eau serpentant à travers la forêt. Il sauta par-dessus, atterrissant de l'autre côté avec un léger bruit d'éclaboussure. Il continua à courir, suivant le cours du ruisseau.
Il savait que l'eau masquerait son odeur, rendant la tâche plus difficile pour les Traqueurs. Mais il savait aussi qu'il ne pouvait pas continuer à courir indéfiniment. Il devait trouver un endroit sûr, un endroit où il pourrait se soigner et reprendre ses forces.
Il aperçut une grotte à flanc de colline, dissimulée derrière une cascade. C'était l'endroit idéal.
Il se dirigea vers la grotte, se faufilant à travers les rochers et les buissons. Il entra dans la grotte, se laissant glisser contre la paroi rocheuse. Il était épuisé, à bout de forces.
Il s'assit sur le sol froid et humide, le dos appuyé contre la paroi. Il ferma les yeux, laissant la bête prendre le dessus. Il sentit ses os se briser et se reformer, sa peau se couvrir de fourrure, ses dents s'allonger et devenir acérées.
La transformation était douloureuse, mais il savait qu'elle était nécessaire. Sous sa forme de loup, il pourrait se soigner plus rapidement et mieux se défendre contre les Traqueurs.
Il ouvrit les yeux. Ses yeux étaient maintenant d'un jaune incandescent, perçants comme des braises. Il renifla l'air, sentant l'odeur des Traqueurs se rapprocher.
Ils étaient à moins de cent mètres.
Il se releva, prêt à se battre. Il n'avait plus peur. Il était un loup, un prédateur. Et il était prêt à défendre son territoire jusqu'à la mort.
Mais alors qu'il se préparait à affronter ses ennemis, il entendit une voix dans sa tête. Une voix douce et mélodieuse, qui lui était à la fois familière et étrange.
"Lorcan... Ne te bats pas... Fuis... Ils ne te veulent pas toi... Ils veulent autre chose..."
Il fronça les sourcils. Qui était cette voix ? Et que voulait-elle dire ?
Avant qu'il ne puisse répondre, il entendit des bruits de pas à l'entrée de la grotte. Les Traqueurs étaient là.
Il grogna et se prépara à attaquer, mais il hésita. Les paroles de la voix résonnaient dans sa tête. "Ils ne te veulent pas toi... Ils veulent autre chose..."
Que voulaient-ils, alors ? Et comment le savait-elle ?
Valois apparut à l'entrée de la grotte, son visage illuminé par la lumière de la lune. Il tenait une arbalète pointée sur Lorcan.
"Alors, Loup", dit Valois avec un sourire mauvais. "Prêt à mourir ?"
Lorcan le fixa dans les yeux. Il vit quelque chose dans son regard qu'il n'avait pas remarqué auparavant. Ce n'était pas seulement de la haine. Il y avait aussi de la peur.
De la peur de quoi ?
Et c'est alors que Lorcan comprit. Les Traqueurs ne le chassaient pas seulement pour se venger. Ils cherchaient quelque chose. Quelque chose qu'il avait, ou quelque chose qu'il savait.
Mais quoi ?
La question restait en suspens alors que Valois pressait la détente de l'arbalète. Le carreau argenté siffla à travers l'air, se dirigeant droit vers le cœur de Lorcan.
La forêt avait changé.Depuis le réveil du dragon, les arbres semblaient… plus vivants.Leurs branches frémissaient à l’approche d’un cœur pur, mais se refermaient comme des griffes à l’odeur du sang corrompu.Lorcan avançait en silence, suivi de Kael et Lyra.Ils escortaient Elara, dont la démarche vacillante trahissait les brûlures internes laissées par le pacte.Leurs pas les menaient vers un lieu interdit, effacé des cartes par les anciens.Le Sanctuaire de Verdanis.— Tu es certain qu’il acceptera de nous écouter ? murmura Lyra.— Non. Mais il pleure encore.Kael fronça les sourcils.— Qui ?Lorcan s’arrêta.— Le dernier Gardien d’ivoire.— Il a vu le pacte être brisé il y a des siècles. Il n’a jamais pardonné. Ni aux dragons… ni aux humains.La clairière apparut d’un coup, creusée dans la roche comme une plaie ouverte dans le flanc de la montagne.Une rivière cristalline en surgissait, mais à sa source… coulait une seule larme.Épaisse. Blanche.Comme du lait brûlant tombé du ci
Le vent hurlait au sommet du bastion.Un vent sans odeur. Sans saison.Un vent qui ne venait d’aucune direction connue.Elara rouvrit les yeux, en sursaut.Elle était dans sa chambre. Mais quelque chose n’allait pas.Son souffle formait une buée d’argent dans l’air. Les murs vibraient à peine, comme si la pierre elle-même respirait.Et au centre de la pièce…Neros.Le garçon se tenait debout. Immobile. Pieds nus sur le sol froid.Il la regardait.— Tu n’aurais pas dû faire le pacte, dit-il d’une voix grave… trop grave.Presque… double.— Neros ? murmura-t-elle, en se redressant lentement.— Ce n’est pas toi qui me parles, n’est-ce pas ?Le garçon pencha la tête, et un sourire triste étira ses lèvres juvéniles.— Nous partageons désormais une brèche.— Ce que tu portes en toi… résonne en moi.— Et cette faille, Elara, elle est faite de chair.Elle voulut s’approcher. Mais un pas de plus, et la pièce se mit à fluctuer.Les pierres devinrent souples. Les ombres s’allongèrent comme des ma
Le ciel semblait plus bas que d’habitude.Comme si les nuages eux-mêmes retenaient leur souffle.Lorcan marchait en tête, les épaules tendues, le regard vissé à la ligne brumeuse des montagnes du Nord. À ses côtés, Elara serrait contre elle un ancien rouleau de peau tannée — le seul indice laissé par le Conseil sur l’existence d’un Gardien draconique, oublié de tous, sauf des mythes.— Tu es sûr de vouloir faire appel à lui ? murmura-t-elle en évitant une racine noueuse.— Non.— Mais c’est notre seul choix.Ils avaient laissé Neros aux soins de Mira, enfermés dans le cercle des Anciennes. Le jeune garçon dormait encore, un souffle lent, mais son esprit… son esprit était ailleurs.Et le Néant l’appelait.Pour refermer la brèche, il fallait une puissance que même les sorciers du Voile ne pouvaient contrôler.Un souffle d’origine.— Il dort au pied de la gorge de Fàrn. Entre les deux chutes. Là où l’eau ne gèle jamais.Kael l’avait murmuré à Lorcan, la veille, comme on partage une légen
La lune s’était retirée derrière un voile d’ombres.Même les chouettes avaient cessé leur chant.Dans la tanière, tout semblait dormir.Tout… sauf lui.Il s’appelait Neros, à peine quinze hivers, le plus jeune du cercle d’initiation.Un louveteau à la fourrure trop sombre pour son âge, aux yeux couleur d’orage. Silencieux. Effacé. Toujours à l’écart, même quand les autres jouaient ou s’affrontaient pour gagner leur place dans la hiérarchie.Cette nuit-là, Neros se tenait debout, pieds nus sur la pierre froide, face à l’autel des anciens.Et il parlait.Mais personne ne lui répondait.— Vous êtes là, je le sais.— Dans mon ventre.— Dans mes os.— Vous n’avez plus besoin de vous cacher…Il leva la main.Ses doigts saignaient, entaillés par ses propres ongles. Le sang coulait lentement, goutte après goutte, traçant un cercle sur la dalle.Une langue ancienne s’échappa de sa bouche.Inconnue. Inhumaine.Ce fut Kael qui sentit l’anomalie.Réveillé en sursaut par un frisson glacé, il suivi
Le corbeau s’écrasa contre le perron de pierre dans un fracas d’ailes et de sang.Anya fut la première à se pencher. Ce n’était pas un oiseau ordinaire. Son plumage n’était pas noir mais d’un gris fumé, comme brûlé par l’intérieur. Ses yeux… ou ce qu’il en restait… n’étaient que deux orbites vides, d’où s’échappait une brume épaisse et noire.Attaché à sa patte, un parchemin. Lorcan l’ouvrit sans un mot.Il n’y avait qu’une seule phrase, tracée dans une encre vivante qui semblait onduler sous ses yeux :« Le Conseil du Voile a perdu un de ses piliers. Le Néant a ouvert un œil. »Lorcan sentit un frisson lui remonter l’échine.La dernière fois qu’un membre du Conseil avait été tué, c’était plus de deux siècles auparavant, lors de la Fracture des Âmes, un événement si violent que les forêts avaient saigné et les rivières avaient changé de lit.Kael se pencha à son tour, fronçant les sourcils.— Qui ?— Le message ne le dit pas, mais ce symbole… ici.Il désigna une marque griffée en bas
Le vent s’était levé bien avant l’aube.Lorcan gravit les derniers mètres vers le cœur de la tanière, le pas lourd, les muscles tendus. Chaque racine sous ses pieds semblait vibrer d’une nouvelle gravité. Il portait sur lui une odeur subtile — pas celle du sang ou de la peur, mais celle d’un monde plus ancien, d’un serment que rien ne pourrait défaire.La meute s’était rassemblée dans le cercle central, comme si elle avait senti l’importance de son retour avant même qu’il ne franchisse le seuil.Anya s’avança la première, le souffle suspendu.— Tu es vivant.— Et… différent.Lorcan hocha lentement la tête. Son regard croisait les visages familiers : Kael, Mira, les jeunes encore marqués par les cicatrices des derniers affrontements.Puis il parla.— J’ai comparu devant le Conseil du Voile.— Ce n’était pas une légende. C’était réel. Et ancien.— Ils nous ont convoqués. J’ai répondu.— Et j’ai accepté leur charge.Un murmure parcourut la meute. Une onde sourde d’incompréhension et d’in