La brume du matin s’attardait encore dans la clairière, enveloppant les arbres d’un voile spectral. L’air était lourd des effluves du combat, un mélange de terre retournée, de sueur et du fer du sang séché. Ewan sentait encore les frissons de sa transformation, l’écho du loup résonnant en lui alors que son corps retrouvait lentement sa forme humaine.
Nyx ne disait rien. Elle observait, immobile, perchée sur un rocher, ses yeux d’or fixés sur lui comme si elle cherchait à sonder l’impact de cette nuit sur son âme.
— Tu es plus fort que ce que tu croyais, murmura-t-elle finalement.
Ewan passa une main sur son visage, essuyant la sueur et les traces du combat. Ses muscles étaient encore tendus sous l’effet de l’adrénaline, et son souffle court.
— Je ne sais pas si c’est une force ou une malédiction.
Nyx sauta souplement à terre et s’approcha de lui, ses mouvements aussi fluides que ceux d’un fauve en chasse.
— Pourquoi crois-tu que ce doit être l’un ou l’autre ?
Ewan tourna la tête vers elle, cherchant une réponse dans ses propres doutes. Mais avant qu’il ne puisse parler, un bruit dans les fourrés les fit se raidir tous les deux.
Un battement d’ailes, léger comme une brise. Une présence.
Nyx pivota, son corps déjà en position de défense, ses pupilles se dilatant sous l’instinct primal qui l’habitait.
— Montrez-vous, dit-elle, sa voix tranchante comme une lame.
Le silence s’étira, oppressant. Puis une silhouette émergea des ombres.
Une femme.
Grande, drapée dans une cape sombre, elle avançait avec une grâce calculée, comme si elle glissait à travers l’espace. Son regard, d’un vert profond, s’attarda sur Ewan avec une intensité qui lui serra la poitrine.
— Il était temps, murmura-t-elle.
Un frisson remonta l’échine d’Ewan, un mélange de stupeur et d’angoisse.
— Qui es-tu ?
La femme esquissa un sourire, un éclat amusé dans les yeux.
— Tu as oublié ton propre sang, Ewan ?
Le monde sembla vaciller un instant. Parce que cette voix…
— Irina…
Le nom lui brûla la gorge.
Sa sœur.
Nyx observa l’échange sans un mot, mais Ewan sentit son attention se focaliser sur la nouvelle venue, son aura se refermant comme une ombre protectrice autour d’elle.
Irina avança d’un pas, le vent soulevant les pans de sa cape.
— Tu n’es pas facile à retrouver, petit frère.
Son ton était léger, mais il y avait une tension sous-jacente, un poids dans ses paroles.
Ewan sentit son cœur battre plus vite. Il ne l’avait pas vue depuis… des années. Depuis la nuit où tout avait basculé.
— Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda-t-il, la méfiance serrant sa poitrine.
Irina croisa les bras, jetant un coup d’œil à Nyx avant de revenir à lui.
— Kieran n’était qu’un avant-goût de ce qui t’attend.
Ewan sentit son estomac se nouer.
— Explique-toi.
Irina posa un regard grave sur lui, et pour la première fois, il crut discerner une ombre d’inquiétude dans ses traits.
— Ils savent que tu es vivant. Et ils viennent te chercher.
Un silence tomba entre eux. Nyx échangea un regard rapide avec Ewan.
— Qui… "ils" ?
Irina inspira lentement avant de lâcher, d’une voix lourde de sens :
— Les Anciens.
Ewan sentit le poids de ces mots s’abattre sur lui comme une sentence.
Nyx plissa légèrement les yeux.
— C’est impossible. Les Anciens ne se mêlent plus des affaires des meutes.
Irina la regarda enfin, et cette fois, son sourire s’effaça complètement.
— Et pourtant, ils ont envoyé un message.
Elle sortit un parchemin d’une poche dissimulée sous sa cape et le tendit à Ewan.
Il le prit, ses doigts soudain glacés.
À l’encre noire, une seule phrase y était inscrite.
"Le Loup Maudit doit plier le genou, ou disparaître."
Ewan releva les yeux vers sa sœur, l’estomac retourné.
— Ils me veulent mort.
Irina hocha lentement la tête.
— Ou soumis.
Nyx s’avança, son aura sombre s’intensifiant autour d’elle.
— Ils vont devoir affronter bien plus qu’un loup s’ils pensent t’arracher à ta liberté.
Un éclat d’émotion traversa le regard d’Irina, mais elle se reprit rapidement.
— Alors préparez-vous. Parce qu’ils ne reculeront devant rien.
Un silence pesant tomba à nouveau sur la clairière. Le vent souffla entre les arbres, soulevant la brume matinale, et le murmure des feuilles sembla porter des présages funestes.
— Depuis quand les Anciens te surveillent-ils ? demanda Ewan après un moment.
Irina pinça les lèvres.
— Depuis toujours, je suppose. Mais jusqu’ici, ils attendaient. Ils hésitaient. Certains voulaient t’exécuter immédiatement. D’autres pensaient que tu pouvais être… réhabilité.
Ewan eut un rire amer.
— Réhabilité ? Comme un chien qu’on dresse à obéir ?
— Exactement, acquiesça Irina. Mais leur patience a des limites.
Nyx croisa les bras, jaugeant Irina avec prudence.
— Pourquoi nous prévenir ? Si tu es de leur côté…
Irina détourna le regard un bref instant, comme si elle pesait ses mots.
— Je ne suis pas de leur côté. Mais je ne suis pas non plus de celui d’Ewan.
Son regard revint sur lui, et dans ses yeux verts, Ewan crut voir un éclat d’une douleur ancienne.
— Tu n’as pas été le seul à tout perdre, Ewan.
Le loup en lui grogna intérieurement.
— Que veux-tu dire ?
Irina hésita, puis secoua la tête.
— Ce n’est pas le moment. Ce que tu dois savoir, c’est qu’ils envoient des émissaires. Pas des guerriers ordinaires. Des chasseurs. Des êtres entraînés pour traquer et détruire ceux qui défient leur loi.
Nyx serra les poings.
— Alors ils trouveront plus que ce qu’ils cherchaient.
Irina eut un sourire en coin, triste et ironique.
— C’est bien ce qui m’inquiète.
Un frisson parcourut l’échine d’Ewan. Il savait que la bataille approchait. Et cette fois, ce n’était pas un simple affrontement entre meutes.
C’était une guerre contre un pouvoir ancien et implacable.
Il prit une inspiration profonde et serra le parchemin entre ses doigts.
— Très bien. Alors dis-moi tout ce que tu sais.
Irina le fixa un long moment, puis hocha la
tête.
La brume se dissipa lentement autour d’eux, mais une ombre nouvelle venait de s’abattre sur leur avenir.
Et cette fois, aucun d’eux ne pourrait y échapper.
Erwan, Nyx, Lyam, Nolen, KaelL’hiver s’accroche à la terre, aussi tenace que nous. Les jours s’étirent dans un silence tendu, chaque heure plus lourde que la précédente. On a attendu ce moment trop longtemps. Maintenant, il est là.Erwan— C’est ce soir.Ma voix brise le silence. Nyx relève la tête, ses traits figés par la détermination. Lyam hoche la tête. Il a récupéré des armes, des cartes. Tout est prêt.Nyx— On ne revient pas en arrière.Lyam— On n’est jamais revenus en arrière. On a juste mis le feu aux ponts, un par un.Nolen ne parle pas. Il sait. Il a compris. Ses petits poings serrés contre sa poitrine.Nolen— Reviens, maman. Reviens cette fois.Nyx s’accroupit, pose une main sur sa joue.Nyx— Je reviens. On va se construire cette maison, tu te souviens ? Avec un lit qui grince pas.Il hoche la tête, mais je vois ses yeux briller. C’est un adieu qu’on lui arrache sans oser le dire.On part à la nuit tombée. Le domaine de Kael est à deux jours de marche, mais Lyam connaî
Erwan, Nyx, Nolen, LyamLa nuit est glaciale, mais je ne sens plus rien. Mon bras autour de Nyx, mes forces vacillantes, et devant nous, Lyam ouvre la route. Nolen dort contre elle, le visage enfoui dans son cou comme s’il refusait de voir ce monde en ruines.Erwan— Combien de temps avant qu’ils nous retrouvent ?Lyam ne répond pas tout de suite. Ses yeux balayent l’horizon. La forêt dévore la route, les arbres se referment sur nous.Lyam— On a gagné du temps. Kael est mort. Mais tu sais comment ça marche… Un autre prendra sa place.Je serre les dents. Nyx me soutient sans un mot, sa main tremblante sur ma hanche. Elle m’a sauvé. Elle nous a tous sauvés.Nyx— On trouvera un endroit. Assez loin. Pour respirer. Pour penser.Sa voix est rauque, abîmée. Mais elle est là. Vivante. Et plus forte que jamais.On marche encore des heures. La douleur pulse dans ma jambe. Je tombe une fois, deux fois. Nyx refuse de me lâcher.Erwan— Tu devrais partir devant avec Nolen. Me laisser là si je te
Erwan, Nyx, LyamLe vent souffle en bourrasques, charriant des odeurs de terre humide et de bois brûlé. La nuit s’étale sur nous comme une ombre vivante. À l’horizon, la forteresse se dresse, massive, impénétrable.Nous sommes trois. Eux, une trentaine. Mais la peur ne fait plus partie de l’équation.Nyx— On entre par les tunnels. Il y a un passage sous la falaise, une ancienne galerie d’évacuation.Je la fixe.Erwan— Tu en es sûre ?Elle ne cille pas.Nyx— Kael l’a fait condamner, mais je sais comment passer. C’est notre seule chance d’arriver jusqu’à Nolen sans alerter tout le camp.Lyam serre son fusil, vérifie son chargeur.Lyam— Combien de temps avant l’aube ?Je jette un œil au ciel.Erwan— Quatre heures. On doit être rapides.Nyx passe devant. Elle connaît chaque pierre, chaque fissure de cette terre damnée. On descend en silence, courbés contre les ombres.Les tunnels sont étroits, humides. L’air y est lourd, chargé d’un relent de moisissure et de sang ancien.On progress
Erwan, Nyx, LyamLa nuit ne veut pas finir. Elle s’accroche à nous comme une malédiction. Pourtant, on ne bouge plus. Figés dans cette étreinte bancale, incapables de dire ce qui brûle encore nos tripes. La rage, la peur, l’espoir, tout se mélange. Et dans le silence, c’est Nyx qui finit par parler. Sa voix est rauque, étranglée, presque brisée.Nyx— Le premier… il s’appelait Kael. C’est lui qui m’a trouvée la première nuit. Il m’a tendu la main quand je crevais de froid et de faim… Et il m’a enchaînée avec.Elle se redresse, les yeux perdus dans les flammes.— Il dirige un réseau, là-bas, de l’autre côté des montagnes. Un empire bâti sur la peur, la chair et le sang des autres. Il m’a vendue, rachetée, brisée, et toujours, il me ramenait à lui. Parce que c’est ce qu’il fait. Il garde ce qu’il a brisé. Comme un trophée.Lyam serre les poings, son regard noir fixé sur elle.Lyam— Et tu veux qu’on commence par lui ?Nyx hoche la tête.Nyx— Je veux voir ses yeux quand il comprendra qu
Erwan— Viens.Je tends la main. Ma voix est rauque. Elle hésite, puis s’approche. Et quand ses doigts frôlent les miens, c’est un torrent qui me traverse. Toutes ces années à croire qu’elle était morte. Toutes ces nuits à la maudire et à la pleurer.Je l’attire brutalement contre moi. Mon front se pose contre le sien.— Tu m’as tué, Nyx. Tu m’as laissé mourir avec toi.Elle sanglote. Ses doigts s’agrippent à ma veste.— Je sais… je sais… Mais je suis là maintenant. Et je vous lâcherai plus.LyamIl nous regarde, les poings serrés. Puis, d’un geste brusque, il frappe la table.— Je sais même pas ce que je ressens. Y’a trop de rage, trop d’amour… Je veux te détester, mais j’y arrive pas. Je veux te prendre dans mes bras, mais j’suis incapable de bouger.Nyx le regarde avec cette douleur immense dans les yeux.— Je comprends. Mais laisse-moi te montrer. Laisse-moi rattraper ce que j’ai perdu.LyamIl craque. Ses épaules s’affaissent. Et dans un soupir, il laisse tomber la hache de guerr
Erwan, Lyam, NyxErwanLa nuit s’épaissit. Le silence est lourd, étouffant. Nyx est assise face à nous. Le feu projette des ombres sur son visage marqué. Ses yeux ne fuient pas. Elle attend.— Parle.Ma voix claque. Elle tressaille. Puis elle sourit, ce rictus qui me vrille le cœur.Nyx— Ils m’ont prise la nuit où tout a basculé. Quand vous avez cru que j’étais morte… je l’étais presque. Ils ont tiré sur moi, Erwan. Et pendant que tu hurlais mon nom, pendant que tu courais, j’étais là, couchée dans la boue, le sang dans la bouche. J’entendais encore ta voix. Et puis, plus rien. Le noir.Elle s’interrompt. Je serre les dents. Lyam ne bouge plus, figé.— Je me suis réveillée dans un lieu que vous ne pouvez pas imaginer. Des murs sans fenêtres. L’odeur de la mort partout. Le Conseil voulait que je parle. Que je livre vos secrets. Les miens. Tout ce que je savais de la rébellion, de nos projets, de toi, Erwan. Ils m’ont broyée. Jour après jour. Mois après mois.Elle lève les yeux.— Et t
ErwanDes années ont passé. Je ne sais plus combien. J’ai arrêté de compter.Le monde a continué de tourner, sans elle. Et moi, je me suis noyé dans cette absence, jour après jour, jusqu’à ne plus savoir où commençait ma douleur, où finissait mon corps.Mais il y a lui.Il est là, dans cette pièce, assis près de la fenêtre, le visage baigné de lumière. Il lui ressemble. Trop. Chaque jour un peu plus.Ses cheveux sombres. Ses yeux. Son silence. Cette manière d’observer le monde, sans rien dire, comme s’il savait déjà que personne ne tiendrait ses promesses.— Lyam.Il tourne la tête. Pas un sourire. Pas une plainte. Juste ce regard qui me traverse et me condamne.Il ne sait rien. Pas encore. On me l’a interdit. On m’a supplié d’attendre. De le laisser grandir sans le poids des morts.Mais aujourd’hui…Je m’approche. Mes mains tremblent. Je m’agenouille devant lui.— Tu sais qui était ta mère ?Il secoue la tête.Je prends une inspiration. Et je me brise en mille morceaux.— Elle s’appe
NyxJe sens mon corps s’effacer. Mon âme se détacher. Ce n’est pas douloureux. C’est pire. C’est doux. Comme si la mort était une caresse, une promesse.Je suis là, dans cette tour. Seule. Vaelor m’a tout expliqué. Le choix. Le prix. Le sacrifice.Il me regarde. Son sourire est triste.— Tu es certaine ?Je hoche la tête. C’est la seule façon.— L’enfant vivra…— Oui.— Et lui… ?Vaelor détourne les yeux.— Erwan t’oubliera. C’est le pacte. C’est le prix.Je ferme les yeux. Juste un instant. Je revois son visage. Ses mains. Sa voix quand il disait mon nom.— Alors, je suis prête.Je ne pleure pas. Je ne crie pas. C’est trop tard pour ça.Je laisse mon corps tomber à genoux. Le sol est froid. Mes doigts tremblent mais je les tends vers Vaelor.— Donne-moi ce qu’il reste. Donne-moi sa mémoire… pour une dernière fois.Vaelor hésite. Puis il s’approche. Ses mains effleurent mes tempes.Et soudain, tout me revient. Lui. Erwan. Sa colère, son amour, ses promesses. Nos nuits. Nos silences. C
ErwanLa nuit s’abat sur la vallée, lourde et suffocante. La tour de pierre noire s’élève, témoin silencieux d’un temps révolu, d’un monde où les hommes marchaient aux côtés des dieux et pactisaient avec la mort.Vaelor nous regarde. Ses yeux sont d’un gris d’acier, vides de toute humanité. Cet homme n’existe plus vraiment. Il n’est qu’un fragment de mémoire, un vestige de l’ancien monde, un gardien fatigué de porter ce fardeau.— Le sang a parlé, Erwan.Sa voix est rauque, usée par les siècles.— Le pacte n’a jamais été brisé. Tu n’as fait que retarder l’inévitable. L’enfant… n’est plus un simple héritier. Il est la clef. La porte. La fin et le commencement.Je serre Nyx contre moi. Elle ne parle plus. Elle fixe Vaelor comme on fixe un cauchemar éveillé. Ses doigts crispés sur mon bras sont glacés.— Dis-le, gronde-t-elle enfin. Dis-moi ce que je dois faire. Le prix… Quel est-il ?Vaelor esquisse un sourire triste.— Tu ne peux plus fuir, Nyx. Le prix, c’est lui.Il désigne mon ventr