Home / Romance / Les clauses du cœur / Chapitre 6— L’homme derrière le masque

Share

Chapitre 6— L’homme derrière le masque

Author: Darkness
last update Last Updated: 2025-07-21 00:10:14

Fleure

La pluie frappe les vitres comme un rappel obstiné.

Il est presque une heure du matin, et mon écran m’éclaire plus que toutes les lampes du bureau. Le silence est total. Seuls les bruissements de mes doigts sur le clavier osent encore troubler la nuit.

Je devrais dormir. Je devrais tout oublier, fermer les yeux, prétendre que cette proposition n’a jamais existé.

Mais il est partout.

Aaron Valesco.

Dans ma tête. Dans mes nerfs. Dans ma peau, presque.

Et ça, je ne le supporte pas.

Alors je fais ce que je sais faire de mieux : je cherche.

Je remonte ses traces, ses anciennes sociétés, ses débuts, ses ruptures de contrats, ses procès presque tous classés sans suite. Chaque article, chaque ligne dans la presse spécialisée. Derrière l’image publique de l’homme d’affaires brillant, charismatique et redouté… il y a des vides. Trop de zones d’ombre.

Beaucoup trop.

Certaines acquisitions semblent propres. Trop propres. Certaines sociétés ont disparu après leur absorption. D’autres ont vu leurs PDG disparaître des radars médiatiques. Silences bien payés ou menaces voilées ? Je ne peux pas encore le dire.

Mais je sens les fils.

Je sens les jeux d’influence, les investissements étrangement orientés. Les noms récurrents de ses avocats, des hommes qu’on paie pour effacer les traces avant même qu’on les remarque.

Je tombe sur une interview vieille de trois ans. Un passage attire mon attention :

« Les émotions ralentissent le contrôle, lui, libère. »

Je relis la phrase trois fois.

C’est lui. Froid. Chirurgical. Il ne veut pas épouser une femme. Il veut posséder une extension de lui-même. Une pièce dans sa machine parfaitement huilée. Un pion qui pense, mais qui ne le trahit pas.

Et il croit que ce pion, c’est moi.

Je me lève, vais jusqu’à la cuisine minuscule du bureau, me verse un café noir que je ne boirai pas. Mon reflet dans la vitre est pâle, marqué. Les cernes sous mes yeux racontent mieux que moi le prix de cette guerre silencieuse.

Et pourtant… je ne recule pas.

Parce qu’il y a autre chose.

Parmi les noms, les articles, les détails, une femme revient. Une certaine Lucia Morante. Avocate brillante. Proche de lui il y a sept ans. Une photo volée les montre à la sortie d’un gala. Sa main dans la sienne. Regards brûlants.

Mais un an plus tard… plus rien.

Lucia a quitté le barreau. A disparu. Silencieusement.

Pas de scandale, pas de crise. Juste le vide.

Et Valesco ? Toujours debout, toujours plus fort.

Qu’est-il arrivé à Lucia ?

Je note son nom, l’adresse de son dernier cabinet. Si elle est encore quelque part, je la trouverai.

Je veux savoir ce que ce contrat a coûté à celle qui m’a précédée.

Et surtout, pourquoi moi.

Pourquoi il m’a choisie. Moi. Pas une autre. Pas une plus docile. Pas une plus malléable.

Il y a une raison.

Et je vais la découvrir.

Je retourne m’asseoir, relis une fois de plus ses clauses. Une précision m’échappe encore. Comme un murmure entre les lignes.

Je relève la tête.

Aaron Valesco veut me piéger.

Mais il a sous-estimé ma mémoire. Ma rage. Ma lucidité.

Et demain…

Demain, c’est moi qui le convoque.

J’ai réservé la salle du fond du restaurant, celle qu’on garde pour les réunions privées, les dîners d’affaires que l’on ne veut pas ébruiter.

Lumière tamisée. Bois sombre. Verres fins. L’endroit parfait pour une guerre froide.

Aaron arrive à 19h02.

Je l’attendais.

Costume noir, cravate à peine desserrée, l’élégance en costume de guerre. Il entre comme s’il possédait le monde et je lève lentement les yeux vers lui, assise, droite, immobile.

Il me voit.

Et il comprend.

Ce soir, je ne suis pas la jeune femme qui s’est enfuie de son bureau en tremblant.

Ce soir, je suis l’adversaire.

Il s’assoit, sans un mot. Son parfum trouble l’air. Son regard me détaille.

— Fleure.

— Aaron.

Je le tutoie, volontairement. Briser les codes. Abattre les distances. Le déstabiliser. Juste un peu.

Il arque un sourcil, presque amusé.

— Tu m’as convoqué. Je t’écoute.

Je dépose lentement une feuille sur la table. Ce n’est pas le contrat. C’est ma liste. Mes conditions.

— Si jamais je devais envisager ton contrat, ce ne serait pas à tes conditions. Ce serait aux miennes.

Il penche la tête, curieux, presque félin.

— Intéressant.

— Voici ce que je veux : indépendance financière totale. Aucune ingérence dans ma société. Zéro obligation de cohabitation. Et surtout… liberté de mouvement, d’expression et de parole.

Il lit, ligne après ligne.

Pas un muscle ne bouge.

Puis il repose la feuille, la fait glisser entre ses doigts comme un jeu.

— Tu me testes.

— Non. Je prends les devants.

Il sourit. Froid. Lent.

— Tu crois pouvoir mener cette danse ?

— Tu m’as dit vouloir une partenaire. Pas une marionnette. Je ne suis pas là pour m’incliner.

Un silence. Dense. Coupant.

Je m’appuie légèrement contre le dossier de la chaise.

— Dis-moi pourquoi moi, Aaron.

Il ne répond pas tout de suite.

Son regard s’attarde sur mes lèvres. Ma gorge. Mon cou.

— Parce que tu as ce que les autres n’ont pas. Tu refuses de plier. Et pourtant, tu brûles de l’intérieur. Tu crois que je ne l’ai pas vu ? Tu crois que je ne l’ai pas senti ?

Un frisson. Putain. Pas maintenant.

Je garde le contrôle.

— Et toi, tu veux juste contrôler ce feu. Le posséder. L’enfermer.

— Non, Fleure. Ce n'est pas le cas .

Sa voix est grave. Lente. Elle me glisse sur la peau comme une lame tiède.

Je me lève. Il me suit du regard, mais ne bouge pas.

— Ce contrat n’est pas un piège. Mais je ne signerai rien tant que je n’aurai pas compris ce que tu caches. Ce que tu attends vraiment. Et ce que tu redoutes.

Il se lève à son tour. Plus près. Trop près.

Son souffle frôle ma tempe.

— Je ne redoute rien. Sauf toi.

Je le fixe. Il me dépasse d’une tête, mais ce soir, je n’ai pas peur.

— Alors prouve-le.

Je tourne les talons, quitte la pièce sans me retourner.

Je le sens me suivre des yeux jusqu’à la porte.

Et dans le reflet de la vitre, son sourire.

Un vrai.

Un dangereux.

La partie vient de changer de camp.

Et je suis prête.

Continue to read this book for free
Scan code to download App

Latest chapter

  • Les clauses du cœur    Chapitre 8 — L’illusion du vernis

    FleureLe tapis rouge, contrairement à ce qu’on imagine, ne pardonne rien. Il exige la perfection, mais traque la moindre fissure. Ce n’est pas une entrée, c’est une inspection. Une épreuve. Un scanner de chair et de vernis. Et ce soir, je suis l’élément central de l’observation.Dès que nos talons effleurent le marbre de l’entrée, les flashs s’abattent sur nous comme une pluie d’aiguilles. Mon bras est passé sous le sien, ma posture millimétrée, mon regard dirigé droit devant, figé dans un mélange d’assurance maîtrisée et de tension rentrée. Le satin de ma robe me colle à la peau comme une seconde peau étrangère. Je n’ai pas froid. Je suis en alerte.Aaron, lui, semble dans son élément. Il ne marche pas, il règne. Il ne sourit pas, il impose. Chaque geste est un signal. Chaque silence, un message. Il dégage une autorité tellement ancrée qu’elle fait taire les bavardages à son passage. Et moi, collée à son bras, je suis devenue l’interrogation silencieuse qui plane derrière chaque reg

  • Les clauses du cœur    Chapitre 7 — Là où l'engrenage s'enclenche

    FleureIl est 4h07 du matin quand j’envoie le message.Un simple texte, composé de deux mots, sans ponctuation ni emphase, parce que je n’ai plus besoin de faire semblant d’hésiter. J'accepte ta proposition .Pas un mot de plus. Pas de salutation. Pas de justification.Mais en réalité, cette décision ne s’est pas prise à cet instant précis. Elle s’est infiltrée, insidieuse, au fil des jours, des nuits blanches, des relevés bancaires ouverts à l’aube, des rendez-vous manqués avec mon comptable, des alertes de retard de paiement envoyées par mon cabinet d’expertise et des rappels administratifs que j’effaçais sans les lire.Ma société est dans le rouge.Pas seulement fragile : exposée. Déchirée par une accumulation de dépenses imprévues, d’investissements nécessaires mais prématurés, de contrats interrompus sans justification par des clients que quelqu'un a probablement approchés avant moi.Je n’ai pas de preuves.Mais j’ai les symptômes.Et lui, la signature.Je suis restée droite, f

  • Les clauses du cœur    Chapitre 6— L’homme derrière le masque

    FleureLa pluie frappe les vitres comme un rappel obstiné.Il est presque une heure du matin, et mon écran m’éclaire plus que toutes les lampes du bureau. Le silence est total. Seuls les bruissements de mes doigts sur le clavier osent encore troubler la nuit.Je devrais dormir. Je devrais tout oublier, fermer les yeux, prétendre que cette proposition n’a jamais existé.Mais il est partout.Aaron Valesco.Dans ma tête. Dans mes nerfs. Dans ma peau, presque.Et ça, je ne le supporte pas.Alors je fais ce que je sais faire de mieux : je cherche.Je remonte ses traces, ses anciennes sociétés, ses débuts, ses ruptures de contrats, ses procès presque tous classés sans suite. Chaque article, chaque ligne dans la presse spécialisée. Derrière l’image publique de l’homme d’affaires brillant, charismatique et redouté… il y a des vides. Trop de zones d’ombre.Beaucoup trop.Certaines acquisitions semblent propres. Trop propres. Certaines sociétés ont disparu après leur absorption. D’autres ont vu

  • Les clauses du cœur    Chapitre 5 — Les murs se referment

    FleureLe matin commence par un silence inhabituel.Pas celui que l’on choisit, celui qui apaise.Non. Celui qui précède une tempête.Je suis arrivée tôt au bureau. J’ai enchaîné deux cafés, relu mes notes pour la réunion avec les investisseurs de jeudi. Tout pour me donner l’illusion que je maîtrise encore quelque chose.Mais à 9h02, mon téléphone sonne.Numéro inconnu.Je décroche, méfiante.— Mademoiselle Monet ? Ici la Banque Castéra. Nous vous appelons au sujet de votre ligne de crédit professionnelle. Une régularisation immédiate est désormais exigée.Je me fige.— Pardon ? J’ai un échéancier validé avec votre service, nous avons encore .— L’échéancier a été suspendu, Madame. L’évaluation interne a révélé un risque aggravé. Vous disposez de quarante-huit heures pour effectuer le paiement. Après quoi, la dette passera au contentieux.Un blanc. Le monde s’étrangle autour de moi.— Mais… ce n’est pas ce qui était prévu.— Les conditions ont changé. Merci de votre compréhension.Bi

  • Les clauses du cœur    Chapitre 4 — Là où rien ne comble le vide

    AaronJe suis déjà au bureau avant le lever du soleil.La ville est encore endormie, prise dans ce demi-silence qui précède la guerre. Les premiers mails affluent, mais je les laisse en suspens. Ce matin, rien d’ordinaire ne mérite mon attention.Aujourd’hui, je tire le premier fil.Je fixe l’écran, la lumière bleutée baignant mon visage de sa lueur artificielle. La silhouette de Fleure apparaît, capturée dans un cliché de surveillance, pris en sortant de mes locaux . Elle marche vite. Le dos droit. Les poings fermés.Fuir. Toujours fuir.Mais moi, je ne cours jamais après personne.Je tends des pièges. Je les observe tomber dedans.Je compose un numéro. Il ne sonne qu’une fois.— Monsieur Valesco.— Elle a une dette chez vous, je crois.— Fleure Monet ? Oui. Dossier en cours de recouvrement. Les pénalités ont commencé à s’accumuler. Vous voulez que ...— Je veux que vous durcissiez les conditions. Discrètement. Qu’on la rappelle aujourd’hui. Qu’on mette la pression. Mais sans mention

  • Les clauses du cœur    Chapitre 3 — L’échéance

    FleureJe n’ai presque pas dormi de la nuit.J’ai tourné, viré, compté les heures comme on compte des bombes prêtes à exploser. Le visage d’Aaron Valesco hante chaque recoin de mon esprit, son regard, sa voix, ses mots, tout ce qu’il promet… et tout ce qu’il sous-entend.Je croyais avoir vu le pire.Mais le pire, ce n’est pas un contrat tordu. Le pire, c’est ce matin.La lettre m’attend sur mon bureau.Simple. Blanche. Impeccable.Le genre d’enveloppe qui ne porte jamais de bonnes nouvelles.Je reconnais le logo de la banque. Mon cœur se contracte avant même que je l’ouvre. Mais je le fais. Lentement. Comme si j’ouvrais une blessure que je connais déjà trop bien. Madame Monet,Suite à nos multiples relances restées sans réponse, nous vous informons que la période de tolérance concernant les échéances de remboursement est désormais échue.À défaut de régularisation sous sept jours, la banque engagera une procédure de saisie de vos actifs professionnels.Je reste figée.Sept jours.Une

More Chapters
Explore and read good novels for free
Free access to a vast number of good novels on GoodNovel app. Download the books you like and read anywhere & anytime.
Read books for free on the app
SCAN CODE TO READ ON APP
DMCA.com Protection Status