Cassandra
Le bruit de la ville me frappe comme une gifle. Sirènes au loin, klaxons impatients, conversations volantes qui montent et retombent sur les trottoirs gris. Après la forêt, la cabane, les silences hachés de nos jours de fuite, cette cacophonie me donne le vertige. Je n’ai plus l’habitude.
Les gens marchent vite. Trop vite. Comme si courir les empêchait de tomber. Ils ne regardent pas autour d’eux. Ils foncent. Têtes baissées. Visages fermés. Chacun enfermé dans une course invisible.
Je serre le col de mon manteau contre mon cou, même s’il ne fait pas froid. C’est autre chose. Une vieille habitude. Se cacher. Se tasser. Ne pas être vue. Ne pas être là. Le monde continue comme si je n’existais pas. Et quelque part, ça me soulage.
Noah marc
CASSANDRALe soir s’est abattu sur la ville comme un rideau de velours, étouffant les bruits du jour, avalant la clameur de la circulation sous un voile d’ombres épaisses. Dans mon bureau, je ne laisse aucune lumière allumée. Seuls les reflets mouvants des néons de la rue dansent sur les vitres, comme des spectres silencieux. Ezra ne m’a pas reparlé depuis notre échange brutal du matin.Il me fuit.Ou peut-être qu’il observe, comme tous les autres, prêt à juger le moindre de mes faux pas.Je devrais être au-dessus de ça. Je devrais ignorer ce malaise qui me serre la gorge comme une main invisible. Mais ce soir, tout est trop silencieux. Trop immobile. Je sens mes certitudes s’effriter, comme si une partie de mon empire m’échappait.Un bruit sec résonne derrière la porte.Un claquement, volontaire.Mon cœur fait un bond.— On peut entrer sans frapper maintenant ? dis-je, la voix plus glaciale que je ne le voulais.La porte s’ouvre.Et il est là , Caleb.Son nom claque dans ma tête comm
CASSANDRALa nuit me fuit.Je n’arrive plus à dormir.Chaque fois que je ferme les yeux, j’ai l’impression que le sol se dérobe sous mes pieds, que l’air manque dans mes poumons. Je me réveille en sursaut, les draps en sueur, le cœur tambourinant comme un marteau contre mes côtes. Et, toujours, ce même nom dans ma tête : Isadora.Elle est là, même quand elle n’est pas là. Une ombre collée à mes talons, une respiration juste derrière moi, silencieuse mais présente.Je me redresse dans mon lit king-size, attrape la télécommande et allume les lumières. Le blanc froid des lampes LED éclaire ma chambre aux murs immaculés. Tout semble en ordre, parfait, lisse. Mais je sais que c’est un mensonge. Le monde ne reste jamais immobile très longtemps.Je suis encore PDG.Encore.Mais pour combien de temps ?Je me lève, enfile un peignoir de soie noire et traverse le salon immense qui donne sur la ville. La vue panoramique, habituellement une fierté, me donne ce soir une sensation d’enfermement. Le
ISADORALa nuit est mon alliée.Toujours.Le jour est un théâtre trop cru, trop saturé de sourires forcés, de politesses hypocrites et de phrases aux parfums de poison. Mais la nuit… ah, la nuit ne ment pas. Elle montre les failles. Les peurs. Les désirs qu’on cache sous des masques. On ne triche pas dans l’obscurité, pas quand on sait l’écouter.Je traverse le couloir désert du siège, celui qui mène aux bureaux fermés du Conseil exécutif. Mes talons résonnent doucement sur le sol en marbre poli. Le bâtiment dort ou feint de dormir. Les caméras me suivent, mais je sais quels angles éviter, quelles zones d’ombre avalent les mouvements. Ici, tout est surveillé. Mais personne ne me confrontera. Pas encore.Cassandra croit que c’est elle qu’ils regardent. Elle qu’ils jugent. Elle ne comprend pas que le décor est déjà en train de changer et qu’elle ne tient plus le premier rôle.Je n’ai même pas besoin de la renverser. Elle s’effondre seule, rongée par sa propre paranoïa. Chaque silence q
EZRALa nuit s’installe comme une main glaciale sur le palais.Chaque pierre semble retenir son souffle, comme si les murs eux-mêmes avaient peur d’entendre ce qui va se dire.Il y a des heures où le silence devient une arme plus affûtée que n’importe quelle lame.J’ai appris à m’en méfier.La salle du Conseil est vide, mais elle pue encore les luttes de la journée.Les dossiers empilés dégagent une odeur de parchemin froissé, les bougies consumées laissent dans l’air une senteur âcre de cire brûlée.La table massive, veinée de cicatrices laissées par des années de débats et de trahisons, garde encore la mémoire des regards croisés, des promesses fausses, des mensonges énoncés comme des vérités.Je reste debout, les mains derrière le dos.À attendre.Non, pas attendre.Veiller.Le grincement d’une porte.Un souffle presque imperceptible.Puis ses pas.Isadora.Elle arrive comme une ombre qu’on a invoquée.Ses pas sont lents, calculés, silencieux. Pourtant, je les entends, comme on ent
CASSANDRAIl y a des jours où le silence crie plus fort que n’importe quelle tempête.Ce matin-là, le palais entier respire une fausse quiétude. Trop de calme. Trop de silence. Le genre de silence qui n’apaise pas mais oppresse. Il flotte dans l’air comme une menace invisible, une nappe de brouillard mental qui colle à la peau et alourdit les pensées.Je traverse les couloirs comme une étrangère dans un lieu qui m’a pourtant vue grandir. Chaque pierre me connaît. Chaque tapis a foulé mes pas des milliers de fois. Et pourtant, aujourd’hui, ils semblent me repousser, refuser mon autorité comme on détourne les yeux d’une reine déchue.Les serviteurs évitent mon regard. Ou le soutiennent trop longtemps. Les deux me dérangent.Quelque chose a changé.Je le sens dans les gestes lents de la garde. Dans les pauses silencieuses des conversations qui s’interrompent dès que je passe une porte. Dans les lettres que je reçois de moins en moins. Dans les regards, surtout. Les regards.Ce ne sont pl
EZRAJe fixe la pièce à travers la vitre teintée du bureau. L’éclairage est tamisé, les contours des meubles se perdent dans l’ombre. De l’autre côté, les silhouettes se meuvent, se croisent sans un mot, indifférentes à la tempête silencieuse qui se prépare.Je suis spectateur et acteur à la fois, prisonnier de cette cage d’ombres où chaque regard, chaque souffle, chaque mouvement compte.Isadora a changé. Je le sens dans ses pauses, dans ses silences. Elle joue, oui, mais sur un échiquier différent du mien. Ses gestes sont précis, trop étudiés. Son sourire, plus une arme qu’un appel. Une danse maîtrisée pour masquer ce qui se trame derrière ses yeux sombres. Ces yeux-là, je les connais, et pourtant, chaque fois, ils m’échappent.Lors de notre dernière réunion, elle a glissé un détail, comme un fil tendu au-dessus du vide. Une question anodine sur la « gestion des dissidents ». Une pique subtile à l’intention de Cassandra, bien sûr. Elle a parlé sans parler, suggéré sans révéler. Je l