CASSANDRAIl y a des jours où le silence crie plus fort que n’importe quelle tempête.Ce matin-là, le palais entier respire une fausse quiétude. Trop de calme. Trop de silence. Le genre de silence qui n’apaise pas mais oppresse. Il flotte dans l’air comme une menace invisible, une nappe de brouillard mental qui colle à la peau et alourdit les pensées.Je traverse les couloirs comme une étrangère dans un lieu qui m’a pourtant vue grandir. Chaque pierre me connaît. Chaque tapis a foulé mes pas des milliers de fois. Et pourtant, aujourd’hui, ils semblent me repousser, refuser mon autorité comme on détourne les yeux d’une reine déchue.Les serviteurs évitent mon regard. Ou le soutiennent trop longtemps. Les deux me dérangent.Quelque chose a changé.Je le sens dans les gestes lents de la garde. Dans les pauses silencieuses des conversations qui s’interrompent dès que je passe une porte. Dans les lettres que je reçois de moins en moins. Dans les regards, surtout. Les regards.Ce ne sont pl
EZRAJe fixe la pièce à travers la vitre teintée du bureau. L’éclairage est tamisé, les contours des meubles se perdent dans l’ombre. De l’autre côté, les silhouettes se meuvent, se croisent sans un mot, indifférentes à la tempête silencieuse qui se prépare.Je suis spectateur et acteur à la fois, prisonnier de cette cage d’ombres où chaque regard, chaque souffle, chaque mouvement compte.Isadora a changé. Je le sens dans ses pauses, dans ses silences. Elle joue, oui, mais sur un échiquier différent du mien. Ses gestes sont précis, trop étudiés. Son sourire, plus une arme qu’un appel. Une danse maîtrisée pour masquer ce qui se trame derrière ses yeux sombres. Ces yeux-là, je les connais, et pourtant, chaque fois, ils m’échappent.Lors de notre dernière réunion, elle a glissé un détail, comme un fil tendu au-dessus du vide. Une question anodine sur la « gestion des dissidents ». Une pique subtile à l’intention de Cassandra, bien sûr. Elle a parlé sans parler, suggéré sans révéler. Je l
CASSANDRALa note manuscrite ne devrait pas être là.Posée sur mon bureau, entre deux dossiers que je n’ai pas encore ouverts. L’enveloppe ne m’appartient pas. Le papier est plus rugueux que ceux que nous utilisons ici. L’odeur... un mélange de tabac froid et de café rassis. Et l’écriture tremblante mais reconnaissable.Lorenzo.Je n’ai pas entendu son nom depuis sept ans. Il s’est évaporé de ma vie sans éclat, comme une porte qu’on referme doucement pour ne réveiller personne.Mais moi, je n’ai jamais oublié. « On m’a contacté. Ils veulent que je parle. Tu sais de quoi. Sois prudente. »Aucun nom. Aucune date. Aucune précision. Et pourtant tout est là.Mon cœur a une seconde d’hésitation, puis se remet à battre plus vite. Pas par peur, pas vraiment. Plutôt comme une mécanique bien rodée qui se prépare à une nouvelle salve.Je m’assieds. L’air me semble plus lourd soudain. Je relis trois fois, lentement, en cherchant l’angle mort, la rature révélatrice. Un mensonge. Une imprécision.
EZRAJe déteste perdre.Et ce tribunal, cette mascarade, vient de me mettre face à une défaite inattendue.Cassandra.Cassandra, cette silhouette discrète, toujours en retrait, s’est dressée comme une falaise dans le tumulte.Je la croyais effacée, dépassée par les enjeux.Mais c’est moi qui ai mal jugé.C’est moi qui ai oublié qu’un cœur peut devenir forteresse quand il n’a plus rien à perdre.Je fais tourner lentement mon verre de whisky, les yeux fixés sur les lumières de la ville qui s’étirent jusqu’à l’horizon comme un réseau veineux prêt à injecter le chaos.Ils ont sous-estimé l’attachement. Sous-estimé la force du lien humain dans ce jeu de pouvoir.Moi aussi.Mais ça ne se reproduira pas.Je n’ai pas l’intention de perdre Ilan. Ni ce qu’il représente.Il n’est pas seulement un adolescent héritier.Il est l’icône d’un futur modèle de gouvernance. Plus malléable que son père. Plus vulnérable.S’il m’échappe, la moitié du Conseil glissera entre mes doigts.Les fonds aussi. Et le
CASSANDRAIl dort encore.Je l’observe depuis le seuil, les bras croisés, le cœur lourd.Ilan. Dix-huit ans, et déjà le poids d’un empire sur les épaules. Des épaules trop fines, trop tendues pour un fardeau pareil.Ses traits sont tirés, même dans le sommeil. Un sommeil sans paix. Je le vois aux tremblements légers, aux sursauts.Il lutte. Même dans ses rêves.Je m’approche. Ajuste la couverture sur lui. Puis je me redresse, droite, le regard dur.Ils ne me le prendront pas.Pas tant que je suis là.Je suis sa tutrice légale depuis la mort de sa mère. Un choix que beaucoup n’ont jamais compris. Ni Ezra. Ni Mélina. Ni Cédric.Mais moi, je n’ai jamais oublié ce que je lui ai promis. Ce que je lui dois.Et aujourd’hui, ils viennent pour lui.Dans le salon, mon téléphone vibre. Un numéro connu. Je réponds sans mot, seulement un souffle.— Cassandra, dit la voix grave d’Ezra. On n’a plus beaucoup de temps.— Je sais.— Ils vont tenter de te faire sauter. D’attaquer ta légitimité. Ils ont
ILANLe jour s’est levé, sans éclat, sans chaleur.Je me tiens devant la baie vitrée, immobile, les épaules tendues comme une corde prête à rompre. La ville s’étire devant moi, gris acier, cruelle dans son indifférence. Personne ne sait ce qui se joue ici. Ce qu’on veut m’arracher.Je serre la tasse entre mes mains tremblantes, mais le café a refroidi. Comme moi. Comme tout ce qui m'entoure.Ils avancent leurs pions. Je le sens. Je le vois. Même si personne ne parle. Même si les regards se détournent. Quelque chose s'effondre. Et ce quelque chose, c'est moi.— Pourquoi maintenant ? Pourquoi eux ?Ma voix est un murmure, perdu dans la pièce vide.Mon téléphone vibre. Encore. Je n’ai pas envie de lire. Pas envie de voir ce que la presse dit, ce que les actionnaires pensent. Pourtant je déverrouille l’écran.« Crise de gouvernance : un empire sans capitaine ? »Le titre claque comme une gifle.Ils ont commencé. Les rumeurs. Les fuites. La campagne de sape. Ils me veulent faible. Illégiti