Cassandra
Assis en face de moi, son regard sombre me transperce en silence. Il ne dit rien, mais je sens son malaise, sa colère contenue. Ce que j’ai vu dans ses yeux cet après-midi n’était pas de l’indifférence.
— Cassandra.
La voix de Victor me ramène à la réalité. Je me redresse, posant ma fourchette.
— Oui ?
— Je suppose que mon fils t’a expliqué l’importance de votre union.
Je sens Adrien me fixer. Il attend ma réponse.
— Bien sûr.
— Bien. Parce qu’ici, nous ne tolérons pas l’hésitation. Tu es une Morel, maintenant. Tu devras agir en conséquence.
Sa voix est froide, tranchante. Ce n’est pas une mise en garde, c’est un ultimatum.
Ezra lâche son verre un peu trop brusquement. Tous les regards se tournent vers lui.
— Peut-être que Cassandra devrait avoir le choix.
Silence.
Adrien se tend, Victor le fusille du regard. La tension est palpable.
— Je ne savais pas que tu avais ton mot à dire, Ezra.
La voix de Victor est glaciale. Ezra soutient son regard sans flancher.
— Je dis seulement qu’un mariage forcé n’apporte rien de bon.
Mon cœur s’emballe. Il ose. Il défie. Et il le fait pour moi.
— Ce n’est pas forcé.
Adrien brise le silence. Sa voix est calme, mais je perçois l’orage sous la surface.
— Cassandra sait ce qu’elle fait.
Ezra me regarde, attendant une réponse. Il veut que je parle, que je dise la vérité. Mais si je le fais, si j’ose dire que ce mariage n’est qu’un mensonge, les conséquences seront terribles. Alors je choisis le silence.
Ezra se lève brusquement.
— J’ai perdu l’appétit.
Il quitte la pièce sans un regard en arrière.
Adrien repose lentement son verre, puis tourne la tête vers moi.
— Tu vois ce que tu provoques ?
Il sourit, mais ses yeux disent autre chose.
Le jeu continue. Et je suis au centre de l’échiquier.
Le silence après le départ d’Ezra pèse sur la salle à manger comme une ombre menaçante. Tous reprennent leur repas comme si rien ne s’était passé. Sauf Adrien. Lui, il me fixe toujours, un sourire infime aux lèvres, un sourire qui n’a rien de chaleureux.
— Tu n’as pas répondu.
Sa voix est basse, presque un murmure, mais je ressens tout le poids de ses attentes.
Je serre ma fourchette.
— À quoi bon ?
Un éclat passe dans ses yeux. Un avertissement ? Un amusement ? Avec Adrien, je ne sais jamais.
Victor Morel termine son verre de vin d’un geste mesuré avant de poser ses coudes sur la table. Son regard m’évalue, froid et tranchant.
— Il est inutile de remettre en question cette union. Ce mariage aura lieu, que tu le veuilles ou non.
Mon dos se raidit. Je déteste cette façon qu’ils ont de parler de moi comme si je n’étais qu’une marchandise.
— Je ne suis pas une transaction.
Un silence s’abat sur la pièce. Puis Victor rit. Un rire grave, dénué de toute chaleur.
— Ma chère Cassandra, tu as grandi dans ce monde. Tu sais que tout n’est que transaction.
Mes doigts tremblent sur la nappe. Il a raison. Je suis née dans une cage, et aujourd’hui, on referme la porte à double tour.
Noah aurait raison de dire que je dois fuir. Mais où irais-je ?
La soirée se termine sans un mot de plus. Adrien reste silencieux à mes côtés, et lorsque nous quittons la table, je sens encore son regard peser sur moi.
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Les couloirs du manoir sont déserts. J’avance lentement, mes pas résonnent sur le marbre froid. L’air est chargé de tension.
Puis je le vois.
Ezra est adossé à une colonne, les bras croisés. Il m’attend.
Mon cœur manque un battement.
— Tu devrais être dans ta chambre.
— Et toi, tu devrais éviter de provoquer ton père.
Un sourire amer effleure ses lèvres. Il se redresse et s’approche, sa silhouette imposante masquée par l’ombre du couloir.
— Pourquoi tu ne leur dis pas la vérité ?
Je fronce les sourcils.
— Quelle vérité ?
Il s’arrête juste devant moi, son regard sombre ancré au mien.
— Que tu ne veux pas épouser Adrien. Que tu préférerais mourir plutôt que de porter son nom.
Un frisson parcourt mon échine. Comment peut-il voir aussi clair en moi ?
— Ce que je veux n’a pas d’importance.
— Tout a de l’importance, Cassandra.
Sa main frôle la mienne, une seconde d’hésitation, puis il recule.
— Si tu veux une échappatoire, trouve-moi.
Puis il disparaît dans l’ombre, me laissant seule avec un battement de cœur trop rapide et une certitude effrayante : Ezra Morel pourrait bien être ma seule issue.
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Je ne dors pas cette nuit-là. Chaque pensée, chaque regard échangé au dîner me hante. L’offre d’Ezra tourne en boucle dans mon esprit.
Mais à l’aube, une décision est prise à ma place.
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Je suis réveillée par des coups secs contre la porte. Avant que je ne puisse répondre, celle-ci s’ouvre brusquement, laissant apparaître Adrien.
Il est vêtu d’un costume impeccable, mais son regard est dur, tranchant.
— Habille-toi.
— Pourquoi ?
Il ne répond pas, se contente de jeter un tailleur sur le lit.
— On a un rendez-vous.
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Trente minutes plus tard, nous sommes dans une voiture aux vitres teintées, filant à travers la ville.
— Où allons-nous ?
Adrien ne détourne pas le regard de la route.
— Chez le maire.
Je me fige.
— Pourquoi ?
Il inspire lentement, comme s’il cherchait ses mots.
— On avance le mariage.
Le choc me coupe le souffle.
— Quoi ?!
Il serre les doigts autour du volant.
— J’en ai assez des doutes, des hésitations. Je ne veux pas de problèmes. Alors on va signer les papiers aujourd’hui.
L’air se vide de mes poumons.
— Tu ne peux pas faire ça.
Il tourne enfin la tête vers moi.
— Tu crois que je demande la permission ?
Sa voix est calme, mais son regard est un avertissement.
— Si tu veux me détester, fais-le. Mais tu seras ma femme.
La panique grimpe en moi. Non. Pas comme ça.
Je dois faire quelque chose. Maintenant.
Et dans mon esprit, une seule idée germe. Une idée folle, dangereuse.
Trouver Ezra. Avant qu’il ne soit trop tard.
CassandraOn court.Je n’entends plus rien d’autre que le battement de mon cœur et le souffle de Noah, juste derrière moi. Nos pas résonnent dans les ruelles vides comme des tambours de guerre. On court comme si le monde s’écroulait derrière nous.Et c’est peut-être le cas.Le froid m’arrache la peau. L’air est tranchant. L’adrénaline me brûle les veines. Il attrape ma main sans me demander. Sa poigne est ferme, chaude, pressée. On tourne à gauche, à droite, sans réfléchir. Nos corps savent ce que nos esprits refusent d’admettre.On fuit. On survit.Il me tire dans un immeuble à moitié désaffecté. Murs effrités. Fenêtres brisées. Odeur d’humidité et de rouille. Il claque la porte. Verrouille. Je m’effondre contre le mur, haletante. Mon manteau est ouvert. Mes jambes nues tremblent. Ma gorge pique encore de la poussière de poudre. Le goût métallique de la panique colle à ma langue.Il reste debout un instant. Épuisé. Il passe la main dans ses cheveux, essuie la sueur de son front. Et j
CassandraJe me détache de Noah.Mes mains tremblent à peine.Je respire.Et je fais face.Je regarde Caleb. Puis Ezra. Puis Adrien.— Vous voulez vous battre pour moi ?Alors regardez-moi bien.Ma voix claque dans la rue. Elle raye l’air comme une vérité nue.— Je ne suis pas un trophée. Je ne suis pas un objet. Je suis le feu que vous essayez tous d’enfermer.Et le feu ne s’enferme pas.Je m’avance.Nue sous mon manteau.Droite. Fière.Et pour la première fois, ils se taisent.Même Adrien.Même Caleb.Même Ezra.— Vous voulez me garder ?Alors brûlez avec moi.EzraElle est magnifique.Démente. Infernale.Indomptable.Et je suis foutu.CassandraLe silence a une odeur. Celle du sang qui ne coule pas encore. De la poudre qu’on n’a pas encore allumée. Du cœur qui bat trop fort dans la poitrine.Je les regarde. Tous les trois. Caleb. Adrien. Ezra. Des noms comme des chaînes autour de mes poignets. Mais aujourd’hui, c’est moi qui serre les liens. C’est moi qui tiens les armes.— Vous m’
La ville n’a pas changé. Pas vraiment. Elle porte toujours les mêmes reflets d’acier sur ses façades, les mêmes échos de pas précipités sur le bitume, les mêmes odeurs mêlées d’essence, de luxe et de mensonges. Mais pour moi, tout est différent.Parce que désormais, je sais ce que j’ai à perdre.Et ce que je suis prête à brûler pour le garder.CassandraJe descends les escaliers du vieil immeuble en silence, le cuir de mes bottes étouffant les grincements du bois usé. L’eau ruisselle encore le long de mes tempes, mes cheveux humides collent à ma nuque. Mes pensées, elles, sont sèches. Coupantes.Le cœur alourdi.Noah marche juste derrière moi, à une distance parfaite. Pas trop proche pour me presser, pas trop loin pour me perdre. Il est calme. Beaucoup trop calme. Mais je le connais. Ce silence, chez lui, c’est une arme. Une qui se tend comme un arc. Il sent que ça arrive.Je le sens aussi.Ce n’est plus une course contre nos désirs. Ni même une fuite.C’est une guerre.Et les premier
Le matin s’insinue lentement dans la chambre, tel un soupir tiède sur une peau encore frémissante de la nuit. Une lumière pâle, dorée, touche le bord du drap froissé. Le monde, là-dehors, s’éveille à peine. Mais ici, entre ces murs, un autre monde respire encore. Plus lent. Plus vrai.CassandraJe me réveille dans la chaleur de ses bras, ma joue posée contre sa peau. Il dort encore, mais je sens son souffle régulier sur ma nuque, sa main large toujours posée sur ma hanche comme une ancre silencieuse. Ce contact, si simple, me bouleverse. Je n’ai jamais su ce que signifiait vraiment l’abandon, pas jusqu’à cette nuit.Je me tourne, très lentement, et mes yeux croisent les siens.— Tu ne dors pas.NoahSa voix est douce, éraillée par le sommeil. Un murmure qui me traverse comme un frisson. Je la regarde, son visage encore marqué par la fatigue, mais éclairé d’une lumière que je n’ai vue chez personne d’autre. Pas même dans les instants de victoire. Pas même dans les moments où je pensais
CassandraLe silence entre nous pèse encore, lourd et dense comme un ciel chargé d’orage. Pourtant, chaque souffle échangé dans cette pièce étroite est une étincelle fragile prête à embraser le moindre doute, le moindre frisson d’incertitude.Je me redresse lentement, le regard accroché au sien, à la fois effrayée et affamée de ce que nous venons de partager. Je sens que tout a changé, que cette nuit a gravé une ligne indélébile entre avant et après. Mais je ne sais pas encore si cette marque sera une cicatrice ou une promesse. L’espace entre nos corps semble s’être rétréci, réduit à l’essentiel, aux battements qui s’accordent dans le silence. J’aimerais pouvoir figer ce moment, le graver dans le temps, avant que le poids du monde ne vienne s’écraser sur nous.— Noah, dis-je d’une voix tremblante, mais pleine d’espoir, comment on fait maintenant ? Comment on tient quand tout menace de nous briser ? Comment on garde la lumière quand tout autour s’effondre ?Il m’observe, comme s’il che
CassandraJe ferme la porte à clé. Lentement. Le clic résonne dans l’appartement comme une détonation douce, une frontière invisible entre le dehors et ce que nous sommes ici. L’air semble s’épaissir autour de moi, chargé de cette tension que je refuse d’affronter en pleine lumière. Noah est là, appuyé contre le mur, les bras croisés, son regard posé sur moi avec une gravité nouvelle. Ce soir, tout brûle plus bas. Pas les mots. Pas la colère. Autre chose.Je reste figée un instant, hésitante, comme si franchir cet espace était un défi. Je sens ses yeux qui brûlent sur ma peau, et ce poids me fait vaciller. Mais je reprends pied, déterminée. Mes gestes sont mesurés, précis. Chaque pas me rapproche de lui, et pourtant, je redoute ce que cette proximité va réveiller.Il ne bouge pas, mais je sens sa tension dans l’air, ce fil d’électricité fragile qui vibre entre nous, prêt à s’embraser. Une part de moi voudrait fuir encore, se réfugier dans le silence, la solitude, ou n’importe quoi d’a