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Chapitre 9

Author: Alyssa J
Damien a filé directement vers l'hôpital : c'était le jour de la sortie de Sofia.

La veille, elle avait pleuré à travers leur lien mental en disant qu'elle voulait revoir les photos de leur enfance ; alors il avait fait l'aller-retour au manoir pour récupérer le lourd album de cuir.

Dans le couloir menant à sa chambre, il a croisé un mâle inconnu d'une autre meute. Une fragrance de l'Herbe à Feuilles d'Argent flottait encore sur lui, la senteur favorite de Sofia, celle qui l'enveloppait toujours.

Il venait de sortir de sa chambre ? Un ami qu'elle se serait fait ailleurs ?

Damien s'est tendu presque imperceptiblement, traversé par une ombre de doute ; mais il l'a repoussée aussitôt, trop pressé pour s'y attarder.

« Damien ! » Sofia a affiché un sourire radieux en le voyant. Elle l'a attiré près du lit, heureuse et fébrile, et ils se sont mis à feuilleter ensemble l'album, réveillant des années entières de souvenirs.

« Regarde ! C'est après notre première transformation réussie ! Tu ne contrôlais tellement rien que tu m'as déchiré ma robe ! »

Il a souri, un sourire un peu raide mais sincère. La chaleur des images a chassé pour un temps la nervosité qui lui collait à la peau depuis son arrivée.

À l'heure du déjeuner, les parents de Sofia, deux anciens Gamma, sont arrivés pour la reconduire.

En voyant Damien, ils se sont inclinés légèrement : « Merci d'avoir veillé sur Sofia pendant ces jours difficiles. »

Damien a répondu avec le salut formel : « Sa blessure… j'en porte aussi la responsabilité. La protéger allait de soi. »

« Je t'ai dit que ce n'était pas ta faute », a protesté Sofia en frottant sa main contre la sienne, geste familier et presque enfantin, « hier, j'ai tout expliqué ! C'étaient juste ces maudits pièges d'argent. Ils étaient trop bien dissimulés. »

Luc, son père, a hoché la tête : « Depuis des années, vous vous êtes occupé d'elle mieux que quiconque. Nous vous en sommes redevables. »

Encouragée, Sofia a tenté encore de se rapprocher de Damien, mais sa mère lui a retenu doucement le bras.

« Vous êtes adultes, maintenant. Et Damien a une compagne », a déclaré Cécile, d'une voix où la douceur n'atténuait en rien la fermeté, « Sofia ne peut plus rester accrochée à vous ainsi. Nous lui parlerons. Elle ne dérangera plus votre vie. »

Le souffle de Damien s'est suspendu, et ses muscles se sont crispés malgré lui.

Le silence est devenu plus lourd dans la chambre.

Sofia a fait semblant de ne rien entendre, cherchant refuge dans ses gestes habituels : « Maman… Damien et moi avons grandi ensemble ! Il m'a promis d'être toujours là pour moi ! »

Et, bravache, elle a glissé son bras autour de celui de Damien : « Il a même dit qu'il me ramènerait aujourd'hui ! »

Mais Damien a retiré son bras, avec une douceur presque douloureuse.

« Oui, je l'avais promis », a-t-il dit, « mais David vient de m'avertir : il y a des mouvements suspects près de la frontière. Puisque tes parents sont là, je ne t'accompagnerai pas. »

Damien allait s'éloigner quand Cécile l'a arrêté, lui tendant l'album.

« Damien… » Sa voix s'était adoucie, « Sofia était trop jeune, trop ignorante. Elle n'a pas su chérir ce qui comptait. »

Face au regard contrit de cette femme qui l'avait vu grandir, il a secoué la tête : « Madame… ce qui appartient au passé doit y rester. Je n'en veux pas à Sofia. Vous n'avez rien à vous reprocher. »

Il a pris l'album. Du bout des doigts, il a suivi les reliefs du cuir, comme pour apprivoiser les souvenirs qui dormaient dessous : « Je… l'ai laissé derrière moi depuis longtemps. »

Cécile a soupiré, le visage traversé d'une ombre douloureuse : « C'est Sofia qui n'était pas digne de vous. On dit que votre compagne, Sylvia, est une femme courageuse. Qu'elle vous a soutenu dans vos cycles d'instabilité, qu'elle vous a protégé d'une flèche d'argent. Une Luna qui mérite qu'on lui offre tout. »

Ses mots étaient sincères, presque tendres.

Damien le savait : son histoire avec Sofia s'était achevée depuis le jour où il avait choisi d'unir sa vie à une autre.

Durant trois ans, il avait essayé d'éteindre l'ancien feu pour en nourrir un nouveau, avec moi, avec mes gestes discrets, ma patience, ma présence.

Mais on ne déracine pas si aisément un attachement né dans l'enfance.

Alors quand Sofia était revenue, fragile, insistante, il avait cédé un peu.

Pas par espoir, mais par habitude.

Il s'était dit qu'ils pouvaient au moins rester amis. C'était avec cette idée-là qu'il l'avait laissée s'approcher, encore et encore.

Et oui, chaque fois qu'elle pleurait en murmurant qu'elle l'aimait toujours, quelque chose en lui vacillait : un frémissement bref, comme une ride qui trouble un instant la surface d'un lac avant de disparaître.

Mais l'instant d'après, il se souvenait de moi. De mes mains tremblantes lorsqu'il était empoisonné à l'argent, de ma silhouette courbée sous la douleur des nuits de Lune Rouge, de la lettre lue près du feu, celle où brûlait ma tendresse silencieuse, maladroite et intacte…

Il revoyait aussi mon visage levé vers lui dans la neige, mon geste discret et ma voix emportée par le vent.

Et soudain, tout s'alignait. Tout prenait un sens qu'il avait refusé de regarder pendant trop longtemps.

Une peur brutale, aiguë, a fendu sa poitrine. La bête en lui s'est réveillée d'un coup, grondant d'impatience, de manque, de panique. Elle ne voulait qu'une chose : retrouver sa Luna.

Il s'est incliné profondément devant les parents de Sofia : « Merci… pour vos paroles. Je sais que j'ai commis bien des erreurs. »

Puis, serrant l'album comme une bouée, il a quitté la chambre presque en courant.

Le moteur a rugi d'impatience, épousant le cri qui lui déchirait les entrailles : qu'il revienne à l'instant, qu'il présente des excuses pour sa négligence, et qu'il dévoile enfin le fond de sa pensée !

Il n'est pas allé vers la frontière, comme il l'avait annoncé quelques minutes plus tôt. Il a pris la route inverse, droit vers le manoir familial des Blondeau, là où vivaient les anciens du clan, là où il avait grandi.

À peine avait-il franchi le seuil de la salle principale, construite en bois massif, que sa mère, Léa, l'a appelé pour le rejoindre dans le bureau. Là, les rideaux étaient hermétiquement tirés et l'air était imprégné de l'odeur d'encens de pin.

« Quand tu as scellé ton destin avec Sylvia, je l'avoue, je pensais qu'elle n'était qu'une fille sans rang, abandonnée par les humains et recueillie par une Omega. Je ne la croyais pas digne d'un Alpha comme toi. »

La voix de Léa restait ferme, mais une douceur sincère s'y glissait : « Mais en trois ans, je l'ai vue prendre une flèche d'argent pour te protéger, veiller sur toi durant tes phases d'instabilité, gérer les affaires de notre meute avec une précision qui ferait taire même les plus exigeants des anciens. J'ai changé d'avis depuis longtemps. »

Damien a gardé le regard fixé au sol. Sa main a glissé sur le cuir rêche de l'album, machinalement.

Chaque frottement réveillait un souvenir de moi : mes nuits blanches à éponger la sueur de ses fièvres argentées, mes doigts qui recousaient les offrandes rituelles...

Une douleur sourde lui a traversé le cœur.

« Tu n'es plus un enfant », a poursuivi Léa, tambourinant doucement sur le bureau, « je ne répéterai pas les leçons que tu connais déjà. Tu as choisi une compagne digne de toi. Il est temps de bâtir une vraie vie avec elle. »

Elle a pris un rouleau de cuir depuis le bureau, l'un des textes les plus sacrés du clan.

« Le lien de couple n'est pas un jeu. Une fois formé, il est aussi permanent qu'un territoire marqué. Il doit être protégé, honoré, défendu. Toi et Sylvia n'avez pas grandi ensemble ; vous devez parler davantage, réparer les malentendus avant qu'ils ne pourrissent. Tu comprends ? »

Damien a relevé la tête, les yeux assombris de regret : « Maman… je comprends. J'ai laissé Sofia m'embrouiller l'esprit. J'ai négligé Sylvia, je… »

« L'important, c'est que tu le reconnaisses », l'a Léa interrompu d'un ton tranchant, puis a ouvert un coffret en bois.

Elle en a sorti une paire de bracelets ouvragés portant l'emblème des loups : des pièces anciennes, transmises de Luna en Luna.

« Ceux-ci appartiennent à la Luna de la Tempête Rude. Ils venaient de ta grand-mère. Il est temps de les donner à Sylvia. Après-demain, pour la cérémonie en hommage à ton père, ramène-la ici. Elle est déjà reconnue comme notre Luna. »

Damien a pris le bijou ; le froid du métal a fait frémir ses doigts. Et, sans prévenir, un souvenir a éclaté en lui : la nuit de notre union, trois ans plus tôt.

Ce jour-là, à cause de l'absence de Sofia, les visages des Anciens s'étaient figés, et les invités avaient chuchoté entre eux. Lui se tenait debout sur l'estrade, se sentant abandonné de toute sa meute.

Et puis ?

C'était moi qui m'étais avancée.

J'avais traversé la foule et m'étais tenue à ses côtés, le regard ferme, sans une once d'hésitation.

Lorsque notre union s'était scellée, il ne connaissait même pas mon nom. Pourtant, il avait retrouvé dans mes yeux un courage qu'il croyait perdu. À cet instant, il s'était juré en silence de me traiter avec bonté toute sa vie, moi, celle qui, au moment où il touchait le fond, lui avait tendu la main…

Doucement, Damien a glissé le bracelet dans le compartiment de sa voiture.

Avant de refermer, il a aperçu un dossier aux bords légèrement cornés. Il n'avait aucun souvenir de l'y avoir laissé.

Il a tendu la main pour le prendre… mais son communicateur a commencé à vibrer.

« Damien ? Mes parents viennent de partir. Quelques amis m'ont organisé une petite fête pour ma sortie de l'hôpital », la voix de Sofia était légère, presque enjôleuse, « tu fais quoi ? Tu veux passer ? »

Cette fois, Damien a refusé sans la moindre hésitation : « Je dois régler des affaires de la meute. Je ne viendrai pas. »

L'ambiance, de l'autre côté, a chuté aussitôt. Elle allait protester, insister peut-être, mais il a coupé court en prétextant une réunion urgente avec la garde. Puis il a mis fin à l'appel.

Il a refermé le compartiment, a démarré et a pris la route de notre maison. Mais la bâtisse, habituellement pleine de vie, baignait dans un silence étrange.

En jetant un œil autour de lui, il a remarqué aussitôt les absences : les petits trophées de chasse qui traînaient depuis des mois sur la table basse, la confiture de baies de Flamme-Bleue sur la table de la salle à manger, le pot de fleurs de Lune sur le rebord de la fenêtre…

Il ne s'était jamais vraiment attardé sur ces détails. Mais aujourd'hui, quelque chose sonnait faux. Il a appelé Alexandre et lui a demandé directement : « Pourquoi manque-t-il tant d'objets dans la maison ? »

Ce vieil intendant a baissé respectueusement la tête : « Luna les a retirées, Alpha. »

Puis, relevant les yeux vers Damien, il a hésité avant d'ajouter : « Mon Alpha, vous et Luna… »
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