EDENJe ne dors que d’un œil.Peut-être que je ne dors pas du tout. Je flotte entre deux eaux, suspendue à son souffle, à la chaleur de son torse contre mon dos, à ce silence que même la nuit n’ose troubler.C’est étrange, cette paix. Cette accalmie entre deux tempêtes. Elle ne m’appartient pas vraiment, mais elle m’habite.Jusqu’à ce que je sente.Le changement.Un frisson le traverse, imperceptible mais clair. Ses doigts, d’abord endormis sur ma taille, glissent, effleurent, cherchent.Puis ils se posent. Fermement. Possessivement.Sur ma peau nue.Et tout recommence.Il ne dit rien. Pas d’abord. Son corps parle pour lui. Son désir pulse contre mes reins, dur, brûlant, impatient. Son souffle s’alourdit à mon oreille, m’enveloppe.— Eden, murmure-t-il.C’est rauque, presque rauque de besoin.Mon prénom devient une lame, une plainte, une supplique.— Tu dors ?Je ne réponds pas. Je n’ai pas besoin. Mon dos se cambre, mon souffle se suspend, mes cuisses s’ouvrent sans réfléchir. Et lui
EDENJe ne sais pas comment on est arrivés là.Peut-être qu’on a couru. Peut-être qu’on a titubé, ivres d’adrénaline, encore englués dans le goût métallique de la mort. Peut-être qu’on n’a pas dit un mot que le silence s’est occupé de tout, qu’il a tenu nos corps debout.Maintenant, tout est figé. Le monde s’est resserré dans une pièce nue. Une planque. Un lit défait. Une lumière orange au plafond qui pulse doucement, comme un cœur fatigué.Je suis là. Trempée. Crade. Mon dos me brûle encore là où il a frappé la colonne. Mes jambes tremblent, et pas à cause du froid.Aleksandr referme la porte d’un geste sec.Le clac du verrou sonne comme un coup de marteau. Un glas.Puis il se retourne.Son regard. Un gouffre incandescent. Il est encore là-bas, dans le hangar. Il a encore le goût du sang sur la langue, la peur dans les tripes. Mais il me voit. Et je sais ce que ça veut dire. Ce qu’il va faire. Ce qu’il veut.Moi.— Eden… murmure-t-il.Il suffit de ça. Mon nom. Murmuré comme une prièr
EDENLe métal crisse sous nos pas. Les entrepôts d’Arman sont silencieux. Trop silencieux. Ce genre de silence qui tord les tripes. Le genre de silence qui attend l’éclat d’une balle pour se déchirer, pour faire place au chaos.Mon cœur cogne, cogne, cogne. Il tape contre ma poitrine comme s’il voulait s’échapper. Aleksandr marche devant moi, tendu comme un arc bandé à la limite de la rupture. Il ne regarde pas autour de lui. Il avance. Il sait où il va. Et il sait ce qu’il vient chercher : du sang.Des pas. À droite. L’écho d’un frottement, le froissement d’un tissu. Aleksandr lève la main. Instantanément, je m’arrête. Respiration coupée. Instinct pur.Et alors, tout explose.Les coups de feu jaillissent comme des rafales de tonnerre. Aleksandr me plaque contre une colonne de béton, son corps en rempart.— À couvert ! hurle-t-il.Le béton me mord le dos. Je sens le métal froid de mon arme dans mes paumes moites. Je n’ai jamais tiré. Pas vraiment. Pas sur un homme. Mais ce soir, je su
ALEKSANDRL’air est saturé de pluie et de métal. L’odeur de la rouille, du sang séché, des murs suintants, tout se mélange dans un chaos qui ressemble à l’intérieur de mon crâne.Arman.Ce nom tourne en boucle dans ma tête comme une lame qu’on aiguise.Eden est là, debout, trempée, le visage marqué par la fièvre de tout ce qui vient de se passer. Ses yeux brillent. Elle est à la fois ma blessure et mon remède.Je glisse le couteau dans ma ceinture. Le froid de l’acier contre ma hanche me rappelle que tout va se jouer dans les prochaines minutes.— On bouge, je murmure.Elle acquiesce, sans une hésitation. Plus de peur. Plus de doute.Elle est prête à brûler le monde avec moi.Nous sortons du local. Le grondement des sirènes est plus proche maintenant, presque au-dessus de nous. Je fais signe à Eden de rester contre le mur, dans l’ombre, pendant que je scanne la rue. Une voiture banalisée est garée à trente mètres, moteur coupé, phares éteints. Je devine la présence des hommes d’Arman.
EDENSon souffle.Sa chaleur.Ses bras.Tout explose et se recompose en moi quand Aleksandr me serre contre lui. J’entends son cœur cogner, comme une pulsation sauvage, un rythme primitif qui chasse la peur et m’électrise. La pluie dégouline de mes cheveux, ma peau est glacée, mais ses mains brûlent.Il me tient comme un naufragé accroché à son dernier morceau de vie. Ses doigts, rugueux, s’accrochent à ma veste trempée, glissent contre mon dos. Il me plaque contre lui comme s’il pouvait m’ancrer là, m’empêcher de m’effondrer.Je relève les yeux vers lui. Ses prunelles sont deux flammes. Une braise rougeoyante qui consume tout, jusqu’à mes souvenirs.Je ne parle pas. Je n’ai pas de mots. Alors je l’embrasse.C’est brutal , féroce. Un baiser qui dévore, qui mord presque. Mes lèvres cherchent les siennes comme si j’étais en manque d’air. Aleksandr grogne, un son guttural, animal, comme s’il s’était trop longtemps retenu. Ses mains descendent, se posent sur mes hanches, me saisissent ave
EDENJe cours.Les pavés claquent sous mes semelles gorgées d’eau.Mes cheveux collent à mes tempes.La sueur et la pluie se confondent sur ma peau.Je ne sais plus depuis combien de temps je fuis.Cinq minutes ? Dix ? Une éternité ?La ville se déforme. Elle n’est plus qu’un souffle rauque dans mes oreilles.Un cauchemar aux angles morts.Les lampadaires deviennent des projecteurs d’angoisse.Les ombres me traquent. Les murs se resserrent.Je coupe à travers une ruelle.Je glisse sur une flaque huileuse.Je tombe.Mon genou heurte la pierre. La douleur monte, acide.Mais je me relève.Toujours.Mon corps veut s’effondrer. Mon instinct, lui, hurle : avance.Le grillage m’arrache la paume.Le métal mord, le sang coule, tiède.Mais je saute.Je tombe.Je roule.Et je repars.Droit vers les égouts.Vers le ventre noir de cette ville pourrie.Je force la bouche métallique.Elle résiste comme si elle savait.Comme si elle voulait me garder à la surface, offerte.Mais je m’en fous.Je frapp