LénaJe ne dors pas.Même après lui.Même après la chaleur, le silence, les soupirs mêlés et la certitude d’avoir franchi une frontière sans retour.Je ne dors pas.Parce que son souffle dans mon cou est trop calme.Parce que mon cœur, lui, bat encore à contre-temps.Parce que je sens, au fond de moi, que quelque chose approche.Quelque chose d’immense. D’inévitable. D’irréversible.Je fixe le plafond.La lumière grise du matin filtre à peine à travers les rideaux lourds.Le monde semble suspendu. Comme si l’univers retenait son souffle.Comme si lui aussi savait.Je pense à tout ce que j’ai perdu.À tout ce que je suis en train de devenir.Je pense à Adrian, à Alejandro, à moi, quelque part entre les deux, coupée en deux parts inconciliables.Je me lève. Pieds nus sur le marbre froid.Je m’habille lentement, comme si chaque geste pouvait me protéger de ce que je pressens.Je tire sur ma chemise. J’attache mes cheveux. J’efface les traces. Mais à quoi bon ?Ce qu’il a imprimé en moi n
LénaJe suis restée dans ses bras longtemps après.Le souffle en miettes.La peau marquée.L’âme secouée.Ses doigts s’étaient refermés autour de mes poignets avec une telle précision que même maintenant, en silence, je les ressens encore.Comme des chaînes de velours.Comme un serment.Alejandro ne parle pas.Mais je le sens.Je le connais trop, maintenant.Il n’a pas calmé la tempête.Il l’a contenue.Et elle gronde encore sous sa peau.Ses muscles sont tendus contre moi.Son torse se soulève lentement.Il respire comme un homme qui lutte contre lui-même.Et moi, je reste là.Nue.Brisée.Vivante.— Tu vas encore me punir demain ? je souffle, la voix rauque.Un murmure. Un défi. Une supplique.— Non.Pause.— Demain, je vais te rappeler pourquoi tu ne peux pas partir.Ses mots me frappent plus fort que ses gestes.Parce qu’il ne ment jamais quand il parle ainsi.Parce que je sais qu’il a raison.Parce que c’est là, entre nous.Cette chose féroce, dévorante, qu’on appelle l’amour qua
AlejandroJe n’ai rien dit.Je ne l’ai pas arrêtée.Je l’ai laissée redescendre les marches, le port altier, la nuque droite, comme si rien n’avait existé.Mais je l’ai vue.Son regard.Sa brûlure.Ce vertige au bord des lèvres quand elle parlait à cet homme qui ne mérite même pas de prononcer son nom.Je ne suis pas un imbécile.Ni un martyr.Je suis patient.Mais pas aveugle.Et ce soir, elle a franchi une limite.Silencieuse.Tranchante.Dévastatrice.Alors je l’attends.Dans notre chambre.Là où elle sait qu’elle devra faire face.Là où je la veux.Entière. Nue. Sans masque.Quand elle entre, je ne bouge pas.Je suis debout, face à la fenêtre.Le nœud de ma cravate défait.La mâchoire tendue.Je n’ai pas besoin de me retourner pour savoir que son souffle est court.Que son cœur bat plus vite.Elle sait.Elle sait que le silence, chez moi, est un prélude à la tempête.— Ferme la porte, dis-je.Elle hésite.Je sens le tremblement, à peine perceptible, dans sa respiration.Elle le fa
LénaLe bal suit son cours.Les violons pleurent des notes trop polies.Les sourires sont taillés dans le marbre.Et moi, je suffoque derrière mon masque.Je suis l’élégance. La retenue. La femme qu’on regarde avec admiration, sans jamais vraiment la voir.Les conversations s’enchaînent.On me complimente.On me jauge.On m’étiquette.Je souris comme on brandit une arme.Mon rire est une parure.Ma robe noire, une déclaration de guerre muette.Alejandro est là, toujours. À une distance parfaite, comme un souverain qui protège sa reine sans l’enfermer.Il ne m’enferme pas.Il m’élève.Et pourtant… je suis ailleurs.Il me connaît.Il sait que j’ai besoin d’espace pour respirer.Mais il ne sait pas ce que je cherche à fuir.Il ne devine pas les ombres dans ma cage thoracique.Je m’approche du balcon.Je laisse le vent fouiller mes cheveux, gifler mes joues.J’aurais voulu fumer. Hurler. Disparaître.Devenir autre chose qu’un fantôme élégant qui flotte entre les éclats de cristal et les f
AdrianJe l’ai vue bien avant qu’elle n’entre.Je l’ai sentie, plutôt.Comme une brûlure dans la gorge.Une lame dans le ventre.Une mémoire qu’on ne peut pas effacer.Léna.Elle traverse la salle comme un incendie contenu.Et Alejandro… Alejandro ne bouge pas.Il l’attend, bras tendu, regard fixe, comme s’il savait qu’elle viendrait. Comme s’il avait parié sa vie sur ce moment.Et elle est venue.Je serre les dents.Mon bras enlace la taille d’Amalia, douce, fragile, irréprochable.Ma femme.La petite sœur d’Alejandro.Un nom trop lourd. Un lien trop pur pour la saleté que je porte encore en moi.Elle sent mon corps se raidir.Elle penche la tête vers moi, voix douce :— Tu vas bien ?Je mens.— Oui.Mais mon cœur hurle.Car ce soir, Léna n’est plus un fantôme.Elle est là.Présente.Magnifique.Dangereuse.Et elle ne me regarde même pas.---LénaJe le sens dès que j’entre.Pas Alejandro.L’autre.Adrian.Je ne l’ai pas cherché du regard. Je m’y suis refusée.Mais il est là, accroch
AlejandroJe déteste les réceptions.Je déteste les verres qui s’entrechoquent, les sourires faux, les promesses murmurées entre deux coupes de champagne.Je déteste les jeux de pouvoir déguisés en civilité, les regards qui jaugent, les mains qui se tendent pour mieux poignarder.Je déteste les costumes trop bien taillés, les rires forcés, les cigares qui empestent l’arrogance.Je déteste les femmes peintes comme des trophées, les hommes qui parlent trop fort pour cacher leurs faiblesses.Je déteste cette mise en scène grotesque qu’on appelle diplomatie dans mon monde.Mais ce soir…Je les tolère.Parce qu’elle est là.Et que tout ce cirque n’a qu’un but : l’encercler sans la blesser.La montrer sans l’offrir.La hisser au sommet sans qu’on ose l’atteindre.Faire comprendre à tous qu’elle m’appartient — même si je ne la tiens plus.Même si je n’ai plus aucun contrôle.Même si un seul de ses regards pourrait me crucifier sur place.Je suis immobile au centre de la pièce.Statuaire. Gla
AlejandroLa pluie tambourine contre les vitres, régulière, presque apaisante.Elle dort. Enfin.Recroquevillée sur le canapé, ses cheveux en bataille, sa respiration irrégulière.Et moi, je reste là. Assis en face d’elle. Immobile.La boîte est toujours sur la table, posée comme une bombe. Fermée. Silencieuse.Je n’ai pas bougé depuis qu’elle s’est endormie.Je n’ose pas.Derrière moi, la maison vit. Ou plutôt, elle respire à travers les autres. Les hommes postés dans le couloir, armés, discrets mais bien présents. Je les ai fait venir après l'incident.Pas parce qu’elle est en danger.Mais parce qu’elle l’est.Pour elle-même. Pour moi.Je leur ai dit de ne pas la lâcher.Pas une seconde.Elle est libre, oui.Mais dans une cage que j’ai forgée de mes propres mains.Je l’ai enfermée dans mes bras, dans mes mots, dans ma peur de la perdre.Et je ne sais plus comment la libérer sans qu’elle s’échappe pour toujours.Je me lève doucement. Je vais jusqu’à la baie vitrée.Le domaine s’étend
LenaJe marche vite.Trop vite.Comme si fuir à pied pouvait effacer ce qu’il m’a dit.Ce qu’il m’a fait.Ce qu’il veut.Les couloirs de la demeure sont longs. Trop longs.Ils résonnent de mes pas précipités.J’ignore les regards des gardes.Ils ne me parlent pas.Mais ils me suivent.Toujours deux, à bonne distance.Pas pour me protéger.Pour m’empêcher de disparaître.Je traverse le hall.Je passe la grille de fer.Il ne fait même pas mine de m’arrêter.Il sait que je reviens. Il sait que je ne vais jamais bien loin.Il a mis les murs autour de moi. Et maintenant, c’est en moi qu’il s’est enfermé.La pluie me cueille dès la première seconde dehors.Froide. Cinglante.Mais je m’en fous.Je veux sortir de sa peau.De sa voix.De sa tête.De ce piège qu’il appelle amour.Le garde me rattrape.Un mot dans l’oreillette. Il ne me touche pas. Mais il est là.Toujours à quelques pas.Il ne dit rien. Il n’a pas besoin.Je presse le pas.Le trottoir est loin.Ici, tout est isolé.On ne vit pa
AlejandroElle marche dans l’appartement comme un souffle contrarié.Ses gestes sont vifs, presque brusques.Sa nuque est tendue, ses épaules figées.Elle évite mon regard comme on évite le feu.Mais je la connais.Et je sais ce qu’elle pense.Ce qu’elle redoute.Elle a dormi contre moi.Elle s’est réveillée nue, la peau encore collée à la mienne.Et maintenant, elle se rhabille à la hâte comme si mon corps lui collait à l’âme.Elle cherche son sac.Ses doigts tremblent à peine, mais je le vois.Elle remet son jean sans le fermer. Enfile un pull trop large.Et ses cheveux tombent devant son visage comme un rempart.Je me lève, lentement.Nu, sans honte, sans gêne.Elle m’aperçoit du coin de l’œil et fait un pas en arrière, presque imperceptible.Comme si ma peau était toxique. Comme si mes yeux la brûlaient.— Je t’emmène.Ma voix est calme. Trop calme.— Non. Je peux y aller seule.Elle répond vite. Trop vite.Elle croit que je vais l’enfermer. Que je vais l’empêcher.Elle a peur.Je