ISABELLAJe marche pieds nus dans les galeries silencieuses.Le sol est tiède sous mes pas. Un souffle sourd y circule, comme un sang oublié, battant sous les pierres.Le silence… pas tout à fait. Il pulse. Il respire.Comme si le sanctuaire lui-même m’indiquait une direction. Une trajectoire. Inéluctable.Je ne sais pas pourquoi je suis descendue.Je n’ai pas réfléchi.Je dormais. Et soudain, ce souffle.Ce frémissement sous la peau, comme une main invisible posée contre mon cœur.Un battement. Une tension.Ni douleur, ni peur.Une nécessité.Je m’enfonce dans les couloirs.Les murs sont couverts de glyphes que je ne reconnais pas, mais que je comprends.Les torches s’allument à mon passage. Pas par magie.Par volonté.Sa volonté.Je le sens. Différent.Dense. Viscéral. Comme une matière vivante, épaisse, rouge, brillante comme le magma et calme comme une étoile en dormance.Il m’appelle.Pas avec des mots. Mais avec un désir brut. Un besoin sans forme.Et je comprends : ce n’est pas
CAËLIl y a… quelque chose dans mon crâne.Une vibration ténue, constante. Comme un souffle qui ne vient pas de moi.Un rythme étrange qui parasite mes pensées. Qui s’installe dans les creux. Qui me mange de l’intérieur.Je ne dors presque plus.Et quand je dors, je tombe.Pas dans des rêves.Mais dans des gouffres.Des visions brisées. Des éclats de feu et de sang. Des murmures d’enfants dans des langues oubliées. Des yeux dorés qui me fixent depuis les ruines du monde.Et toujours, cette voix.Pas forte.Douce.Enfantine.Mais si… ancienne.Elle m’appelle par mon nom, avec une familiarité qui me fait mal. Caël…Tu n’es pas prêt.Je me réveille en sursaut. Encore. Encore. Encore.Ma gorge est sèche. Mon dos trempé de sueur. Le feu dans l’âtre n’a pas bougé, et pourtant la pièce est glaciale.Quelque chose est passé ici. Je le sens encore sur ma peau.Je me lève, chancelant.Isabella est là, dans la pièce voisine.Je la sens aussi. Son feu est stable, rayonnant, comme une étoile viva
CAËLJe la sens avant même de franchir le seuil.Un frisson qui traverse mes os.Un grondement sourd sous la peau.Le feu. Ce feu. Ce feu-là.Il n’est pas naturel. Il est ancien, sauvage, divin peut-être. Ou maudit. Je ne sais plus.Je monte les marches du sanctuaire en silence. Lentement. Chaque marche pèse comme un serment. Mon cœur bat si fort qu’il m’étouffe.Et quand j’ouvre la porte… je la vois.Isabella.Debout. Nue. Offerte au matin.Ses cheveux tombent en cascade sur ses épaules nues, et sa peau semble capturer la lumière. Mais ce n’est pas ça qui me frappe.C’est ce qui pulse en elle.Ce halo. Cette clarté vibrante. Cette aura de pouvoir brut.Elle est en feu, sans brûler.Elle est le feu.Mes lèvres s’ouvrent. Aucun mot ne sort.Elle se retourne lentement. Son regard m’atteint de plein fouet. Ses yeux… ce ne sont plus les yeux d’une humaine. Pas même d’une élue.Ce sont les yeux de celle qui a vu l’origine du monde.Et sur son bas-ventre…Une marque.Un cercle doré, vivant,
ISABELLAJe me réveille en sursaut.Ma gorge est sèche, mes jambes douloureuses.Le feu.Il est partout. Dans mes rêves. Dans ma peau. Dans mes entrailles.Je le sens ramper sous mon ventre, serpent silencieux qui réclame plus que de l’attention.Un appel.Une tension.Je passe mes mains sur mon corps nu. Mes doigts tremblent. Mes pensées sont un brouillard incandescent. Je ne sais plus à qui appartient cette brûlure en moi. À Caël, à Solren… ou à quelque chose de plus ancien.Je me lève, chancelante.Le miroir me renvoie une image étrange.Mes yeux semblent plus sombres. Mes hanches, plus marquées. Mes lèvres… entrouvertes comme si je murmurais sans le savoir.Je descends. Pieds nus. Encore.Toujours ce besoin de traverser la nuit pour rejoindre ce que je suis vraiment.Mais cette fois, ce n’est ni Caël que je cherche…Ni Solren.Je cherche la vérité.Et elle me trouve.Dans la salle des flammes, où brûle un brasero sacré depuis des siècles, je tombe à genoux.Le feu s’élève soudain.
ISABELLALe jour filtre à peine par les vitraux quand j’ouvre les yeux.Les draps sont tièdes. L’empreinte de Solren s’estompe déjà sur ma peau, mais elle brûle toujours dans ma poitrine.Je me lève. Nue. Silencieuse.Je laisse derrière moi un sanctuaire de cendres et de souffle.Je remonte les escaliers sans bruit, le cœur disloqué entre deux hommes, deux vérités.Dans ma chambre, Caël n’a pas bougé.Il est là. Allongé sur le flanc, les paupières mi-closes.Il sait.Je le sens dans la tension de sa mâchoire. Dans l’immobilité parfaite de ses bras. Il ne dit rien. Il ne m’accueille pas. Il ne me juge pas.Mais il entend. Il devine. Il encaisse.Je me glisse dans le lit sans parler. Il ne me touche pas. Ne me tourne pas le dos non plus.Nous sommes là. Deux âmes suspendues.Et au creux du silence, quelque chose se fissure.Le conseil est convoqué dans l’heure.Je ne suis pas surprise. Les ombres n’attendent jamais que l’amour passe. Le monde avance, cruel, précis, indifférent.Quand j’e
Isabella Il ferme les yeux.Ses bras me serrent.Pas pour me retenir.Pour me garder.Mais je ne dors pas.Pas vraiment.Je veille, silencieuse, contre lui. Sa peau chaude sous mes doigts. Sa main lourde posée sur ma hanche comme une promesse. Tout en lui est force contenue, apaisée pour la première fois.Et pourtant, quelque chose en moi reste éveillé.Fébrile.Tendu.Non pas insatisfaite.Mais inachevée.Parce que Caël a eu la part d’homme.Mais un autre attend.Un autre me devine sans jamais me demander.Et cette nuit ne peut finir sans l’ombre qu’il incarne.Je me lève doucement. Je glisse hors du lit comme on sort d’un rêve.Caël ne se réveille pas.Ou peut-être fait-il semblant.Il sait. Il a compris.Et il ne dit rien.Je traverse le couloir aux torches rouges, robe légère sur mes épaules, pieds nus sur le marbre tiède.Je descends.Vers l’aile des ombres.Vers Solren.Il ne dort jamais vraiment.Je frappe. Une fois.La porte s’ouvre.Il est là. Torse nu, assis sur le rebord