Chapitre 2 : Le Maître du Château

Aeris 

L’entrée du château est si vaste que je me sens minuscule, comme une fourmi perdue dans un monde qui n’est pas le mien. Les torches fixées aux murs projettent une lueur vacillante sur les pierres sombres, et l’air est plus frais qu’à l’extérieur, chargé d’une odeur que je n’arrive pas à définir, étrange et métallique. Chaque pas que je fais, chaque écho dans le hall, me rappelle ma condition de prisonnière, que ce soit dans mon corps ou dans mon esprit.

Je suis les cavaliers qui m’ont escortée jusqu’ici, leurs pas résonnant aussi fort que les miens, alors que nous entrons dans le hall principal. L’escalier de marbre qui se dresse devant moi semble mener directement vers l’infini, sa beauté glaciale ne parvenant pas à effacer la lourdeur de l’endroit. Chaque marche, chaque coin de ce château semble lourd de secrets et de présence. Mais c’est lui qui m’intimide, celui qui m’observe sans ciller, sans faire un geste.

Il ne bouge pas. Il reste là, dans l’ombre, son regard posé sur moi. Sa silhouette est imposante, sa présence écrasante, et malgré la distance qui nous sépare, je sens sa domination.

— Tu sembles calme.

Sa voix, grave, traverse l’espace entre nous. Elle est presque douce, mais je sais que ce n’est qu’une façade. Chaque mot qu’il prononce semble porté par une force qui dépasse les mots eux-mêmes.

Je serre les poings.

— La peur ne changerait rien, je réponds, ma voix plus assurée que je ne me sens.

Un sourire subtil effleure ses lèvres, comme s’il trouvait amusement dans ma réplique. Un frisson court sur ma peau, mais je tiens bon.

— Tu es différente des autres.

Je ne sais pas si c’est un compliment ou une menace déguisée en observation. Mais je n’ai pas le temps de chercher une réponse, car sans un mot de plus, il se détourne et commence à monter les escaliers.

— Suis-moi.

Je me fige un instant, mes yeux glissant vers les cavaliers derrière moi. Aucun d’eux ne bouge. Ils sont là pour obéir, pour m’amener ici, rien de plus. Personne ne semble prêt à m’offrir une quelconque forme de protection.

Je prends une profonde inspiration. Il n’y a rien d’autre à faire. Il faut avancer. Je monte les marches à sa suite, chaque pas résonnant dans le silence oppressant qui nous entoure.

Les couloirs du château sont interminables, sinueux, remplis de chandeliers dont les flammes dansent faiblement, à peine assez pour éclairer l’obscurité qui nous entoure. L’ambiance ici est étrange, presque surnaturelle. Chaque mur semble receler des secrets, chaque ombre, une présence invisible.

— Depuis combien de temps vis-tu ici ? Je me risque enfin à poser une question.

Il continue d’avancer sans se retourner, ne semblant pas pressé de répondre.

— Un certain temps.

Je fronce les sourcils.

— Ce n’est pas une réponse.

— C’en est une. Il ne se soucie pas de ma question. Son ton reste calme, presque détaché. Il ne cherche pas à en dire plus.

Nous continuons à marcher dans ce dédale silencieux, jusqu’à ce que nous arrivions devant une porte massive, en bois sculpté. Il l’ouvre sans effort, comme si la porte n’était qu’une simple formalité, puis se retire pour me laisser entrer.

Je m’attends à une petite cellule, à une pièce lugubre, mais ce n’est pas ce que je trouve.

La pièce est grande, presque chaleureuse, étonnamment accueillante pour un château aussi froid. Un grand lit à baldaquin occupe le centre, ses draps immaculés se mêlant à l’ombre des fenêtres hautes qui donnent sur la vallée enneigée. Une cheminée crépite doucement, diffusant une chaleur réconfortante dans l’air frais du château.

— Tu dormiras ici. Sa voix, toujours calme, m’arrête dans mon élan.

Je me tourne vers lui, suspicieuse. Il me regarde, croisant les bras.

— Et après ?

Il semble réfléchir un instant, mais je sais qu’il ne répondra pas à mes attentes.

— Tu poses beaucoup de questions.

Je me sens piégée, mais je n’accepte pas cette réponse, pas encore.

— Vous venez de m’arracher à ma vie, j’ai le droit d’avoir des réponses.

Un sourire fugace se forme sur ses lèvres, mais il ne répond pas.

— Repose-toi, Aeris. Nous parlerons demain.

Sans attendre ma réponse, il ferme la porte derrière lui avec une légèreté déconcertante.

Je reste là, figée, le regard fixé sur le bois sculpté. Le silence s’installe, lourd, total. Les flammes de la cheminée crépitent doucement, mais c’est tout.

Je n’y suis plus. Je ne suis plus au village. Je suis seule, enfermée dans ce château dont je ne connais rien.

Pourtant, contre toute attente, ce premier soir ne ressemble pas à un cauchemar.

Ce n’est pas la peur qui me garde éveillée.

C’est l’étrange certitude que ma vie vient de basculer. Que ce tournant, je ne peux pas le maîtriser.

Je m’éveille lentement, bercée par la chaleur réconfortante du feu de cheminée. Pendant un instant, je suis noyée dans une douceur presque irréelle, oubliant où je me trouve. Le tissu soyeux des draps contre ma peau, l’odeur subtile du bois brûlé, le silence apaisant qui règne dans la pièce… Rien ici ne ressemble à ma vie passée. Ce n’est pas ma chambre.

Puis, la réalité me rattrape.

Le château. Le seigneur des lieux. Ma nouvelle existence.

Je laisse mes yeux s’ouvrir lentement, absorbant la lumière tamisée du matin qui pénètre par la fenêtre. La pièce est aussi grande que ma maison entière, décorée de manière tellement raffinée que cela en devient presque étouffant.