Share

Chapitre 4 Un vrai cauchemar

Author: José Carli
last update Last Updated: 2021-06-29 15:20:47
Cette nuit-là, bouleversée par l’histoire terrifiante de William Presbee, la petite fille ne put trouver le sommeil. Elle gigota dans son lit, tentant de chasser de son esprit les scènes angoissantes que son imagination avait peintes au fil du récit. La carte du monde colorée sur le mur, qui l’avait tant de fois aidée à canaliser son attention et à adoucir son cœur, ne lui fut d’aucun secours.

Elle se souvint que Julien lui conseillait souvent, quand elle peinait à s’endormir, de nourrir ses pensées de toutes les jolies choses qu’elle avait vécues récemment, et de toutes celles qu’elle aimerait vivre bientôt. Elle ferma donc les yeux pour aller fouiller dans le coffre inépuisable de ses souvenirs heureux.

Elle visualisa le joli jardin derrière l’hôtel de ville, et son kiosque où Manon et elle aimaient admirer les danseurs de Tango qui se retrouvaient le dimanche après-midi.

Puis, elle repensa à ce jour où elles étaient allées toutes les deux faire les boutiques à Lille. Elles s’étaient extasiées devant une jolie robe saphir, ainsi qu’une paire de souliers neige et grenat. Elle se remémora enfin le jour où Julien avait, par accident, envoyé une de ses chaussures mal lacées dans le canal en tapant franchement, et avec une certaine élégance, dans un petit caillou. Manon et elle avaient ri sans pouvoir s’arrêter en regagnant la voiture, pendant qu’il les suivait à cloche-pied en bougonnant.

Mais il y avait, par-dessus tout, un lieu magique aux yeux de la fillette. Le plus bel endroit du monde. Les parents de Julien avaient un petit appartement sur la place du centre d’Audresselles, à quelques pas de la plage. La famille avait l’habitude d’y trouver très régulièrement refuge pour le week-end. Au printemps, la route nationale qui traversait la campagne vallonnée avait des allures d’océan blond. Au sommet des vagues, on n’apercevait pour toutes voiles, que quelques toitures de fermes.

L’été, la plage de galets brillait de mille feux. L’hiver, elle était plus belle encore. La mer et le ciel blanc se confondaient pour former un dôme crème majestueux. Les petits bateaux de pêche au loin semblaient flotter dans les nuages. Soline fut envahie par un long frisson de réconfort en repassant, une à une, ces images imprimées dans son esprit.

Soudain, un sentiment étrange détourna son attention. Elle fut troublée par la sensation que quelqu’un la surveillait. Elle releva la tête, enfila ses lunettes, et inspecta tout autour de son lit. Elle crut apercevoir une ombre immobile à proximité, près de la malle à jouets. Terrifiée, elle rabaissa immédiatement les paupières. Et son angoisse monta d’un cran quand elle distingua dans le silence de la nuit, une sorte de vibration, comme une respiration lente et profonde provenant des environs de la fenêtre qui donnait sur le jardin. Sa gorge se noua. Ses jambes se firent dures comme de l’acier. Bien vite, elle ne parvint plus à bouger le moindre muscle. Elle eut même l’impression d’étouffer. Elle resta immobile, la couverture tirée sur son visage, et y passa plusieurs minutes, dissimulée sous la couette, grelottant irrépressiblement de la tête à la pointe des pieds.

Après un long moment d’angoisse, quand elle remarqua que les vrombissements avaient cessé, elle patienta quelques secondes encore, puis se résolut à baisser lentement le drap pour vérifier que la chose avait bien disparu. Elle passa les yeux par-dessus et inspecta chaque centimètre carré aux alentours.

Plus rien ! Elle retrouva son calme, et tenta de se raisonner. Elle se dit qu’un chat avait dû passer sur le rebord de la fenêtre et s’arrêter un instant avant de reprendre sa ronde. Son ronronnement avait probablement été amplifié par la vibration de la vitre. Elle sentit la tension redescendre peu à peu et reprit le cours de sa balade nocturne intérieure, en attendant que le sommeil renversât son esprit. Mais l’apaisement fut de courte durée.

Dans un coin de la chambre, elle remarqua une lueur. La lumière de la lune, qui s’échappait par les minces interstices entre les lames des volets, s’était posée sur une forme, qui grandit progressivement. Elle entraperçut d’abord le plat d’un front, puis la pointe d’un nez, puis une paire de joues creuses et ridées, et enfin un visage entier, froid et sinistre. Ce qu’elle pensait être un fantôme fit un pas en avant, laissant apparaître la silhouette d’une vieille femme très maigre, si grande qu’elle semblait toucher le plafond. Ses bras filiformes pendaient le long de son corps squelettique. Ses cheveux blancs recouvraient en partie la peau grise de sa figure. Un gilet verdâtre, fripé, s’écroulant sur ses épaules efflanquées, couvrait une robe usée.

L’expression de son visage était figée, glaçante. Un simple trait aiguisé dessinait sa bouche. Ses petits yeux sombres ne quittaient pas la fillette. Elle l’observait comme un lion guette sa proie, prête à bondir pour l’attraper. Son halètement reprit de plus belle, pour se transformer lentement en une sorte de grognement sourd, émanant du fond de sa gorge. La créature paraissait monter tout droit des enfers.

Soline, se sentant prise au piège, décida de jouer le tout pour le tout, prit son courage à deux mains, serra les poings aussi fort qu’elle put. D’un geste, elle jeta draps et couvertures à terre puis s’enfuit. Elle traversa le palier sans respirer et poussa brutalement la porte de la chambre de ses parents. Manon leva immédiatement la tête et, voyant la mine décomposée de la petite fille, murmura :

— Que se passe-t-il, ma belle ?

— J’ai vu… J’ai… J’ai vu une... un… un fantôme, là... dans… dans ma chambre.

Soline ne parvenait pas à s’exprimer clairement. Une peur dévorante brouillait son esprit. Dans sa tête, les mots déferlaient en torrent, et s’entrechoquaient à l’intérieur de sa bouche, avant même qu’elle n’ait le temps de l’ouvrir. Sa maman lui saisit la main et la tira vers elle délicatement.

— Ce n’est rien, ma chérie. Tu as fait un cauchemar. Ne t’en fais pas. Viens près de moi.

Elle ouvrit les draps, puis poussa doucement Julien vers le fond du lit, et invita Soline à s’allonger à ses côtés. Elle la serra contre elle. La fillette se laissa peu à peu envelopper par la chaleur rassurante du corps de sa maman, et finit par se calmer.

Elle se raisonna en songeant qu’elle avait sans doute dû tomber de sommeil sans s’en apercevoir, et que tout ce qui avait suivi n’était que le scénario d’un mauvais rêve. Elle s’endormit paisiblement.

Continue to read this book for free
Scan code to download App

Latest chapter

  • Soline et le Monde des Rêves Abandonnés   Épilogue + Remerciements

    Quand Namakuta s’éveilla ce matin-là, un parfum de fête planait sur la cité. Une cérémonie d’adoubement devait s’ouvrir au crépuscule. Une tension joyeuse électrisait tous les habitants.Quelques mois plus tôt déjà, le peuple avait célébré en grande pompe le retour triomphal de Meyru. Il avait accompli la prophétie du dieu Oruna Pita. Il avait vaincu le monstre du fleuve noir et ramené sur leur terre les voyageurs égarés. Puis il était revenu à Namakuta et avait pris place sur son trône.Meyru avait désigné son plus proche conseiller. Il avait choisi Nuetam, qui était le seul homme du village à parler sa langue. Nuetam était ainsi devenu le très proche confident du souverain. Il lui enseignait sa langue, les traditions ancestrales, l’organisation hiérarchique de la cité, ses enjeux politiques.Meyru avait également décidé, à la surprise générale, de faire de Amenaka, qui n’était qu’un simple guerrier, le grand capitaine de l’armée. Amena

  • Soline et le Monde des Rêves Abandonnés   Chapitre 27 Le fleuve noir

    Du sommet d’une colline, les enfants découvrirent émerveillés la vallée qui s’étendait, sublime en contrebas, pomme et argent. Dans le lointain, une ébauche de la rive du fleuve dessinait l’horizon de son trait relâché. Soline serra les poings, éblouie par les splendeurs de la nature qui scintillait devant elle. Elle prit à cet instant sa première inspiration de réconfort et de soulagement depuis le départ de William.Le vallon débouchait sur une plaine rocailleuse. Tout un champ de petits rochers blancs recouvrait le sol. De chaque interstice s’échappaient de petites fleurs aux pétales et pistils noirs. Une odeur de menthe et de jasmin planait dans la brise fraîche du matin.Louis-Jean pressa le pas pour rejoindre Pierre qui, depuis la veille, s’était fait discret et fuyant, comme déconcerté lui-même par la bravoure dont il avait fait preuve.—Eh bien, je dois dire que vous m’avez drôlement étonné hier soir. Quel courage!

  • Soline et le Monde des Rêves Abandonnés   Chapitre 26 Le pic de Jararaca

    Alors que les enfants et William évoluaient péniblement au cœur d’une cathédrale de végétation éclatante et sauvage, une seule question incandescente agitait les esprits et accaparait toutes les conversations: lequel d’entre eux pouvait bien être le fameux Meyru, le souverain des Namakutaï? Deux hypothèses parmi les plus probables s’imposaient naturellement. Tuaki et Anna correspondaient parfaitement, chacun à sa manière, à la description qu’en avait livrée l’interprète. L’un et l’autre avaient partisans et détracteurs. Mais personne n’était capable de dire avec certitude lequel était indiscutablement le futur souverain du peuple indigène.La sagesse et le savoir étaient les atouts principaux du prince du désert, tandis que la force, le courage, et l’audace dont devait faire preuve un véritable meneur d’hommes étaient les caractéristiques qui pouvaient le mieux définir la jeune rebelle.Tous, cependant, s’accordaient sur un point. Il n’y aurait

  • Soline et le Monde des Rêves Abandonnés   Chapitre 25 Namakuta

    Soline resta assise un long moment au sol, le dos appuyé contre le mur du fond de l’unique pièce du logis, à contempler les bribes colorées de nature et de lumière qui parvenaient à s'immiscer par un petit hublot faisant office de seule fenêtre. À l’extérieur, des insectes volants chantonnaient leur ariette ouvrière.Au fond d’elle-même, la jeune fille n’avait pas perdu l’espoir de convaincre William de retourner vivre dans le monde réel. Elle fulminait à l’idée d’être enfermée là, à quelques jours seulement de la prochaine pleine lune.Elle sursauta en voyant apparaître deux boules qui obstruèrent brusquement la vue. Deux petites têtes d’enfants curieux examinèrent l’intérieur avec une grande avidité et un enthousiasme exacerbé. Leurs yeux d’agate scintillaient dans la pénombre. Le spectacle avait pour eux la saveur du mystère et de la transgression.Ils restèrent à ricaner leur joie clandestine jusqu’à ce qu’un adulte les chassât d’un ton

  • Soline et le Monde des Rêves Abandonnés   Chapitre 24 La montagne envoûtée

    Une averse assaillit le toit de la cabane de Piwi. À l’intérieur les compagnons se pressaient les uns contre les autres au plus grand désagrément de Louis-Jean, peu rompu à une cohabitation si familière et envahissante.Soline passa une bonne partie de la soirée à contempler la mine accablée de l’ermite, qui depuis leur retour était resté aphone. Cela en disait tant sur l’ampleur de sa déception. La fillette réalisa combien le souvenir d’Andy, la certitude de sa présence quelque part sur le continent, avait dû l’habiter pendant toutes ces années et lui donner la force de se battre jour après jour. Après tant de temps consacré à chercher son ami et à entretenir l’espoir d’être réunis, la violence avec laquelle il avait été éconduit–sans émoi ni ménagement, au soir même de leurs retrouvailles–lui avait incontestablement perforé le cœur. Sa vie entière avait perdu son sens.Anna prit la parole. Elle affirma qu’il n’y avait pas à perdre

  • Soline et le Monde des Rêves Abandonnés   Chapitre 23 Piwi

    —Soline, réveille-toi. Piwi est parti!La silhouette vaporeuse de Catherine se tenait accroupie juste au-dessus d’elle, les mains délicatement posées sur les épaules. La petite fille enfila ses lunettes et se redressa. Le nuage dans ses yeux s’effaça peu à peu. Le feu n’était plus qu’un amas de charbon étiolé. Un voile de grisaille déparait la clairière. La brise matinale charriait un air sec et froid.Anna et Tuaki rassemblaient les provisions et préparaient la levée du camp. L’amertume et l’anxiété n’avaient pas quitté la figure de Pierre. Il scrutait l’horizon. On devinait sans peine combien il devait espérer secrètement que Mc Dowell ne respectât pas sa parole et leur fît faux bond.Barbara s’approcha de son amie, l’aida à ajuster son écharpe, la réchauffa d’une étreinte fougueuse. Elle plongea une main dans la poche de sa robe et lui tendit une pomme, après l’avoir frottée vigoureusement. Soline la remercia d’un sourire anky

More Chapters
Explore and read good novels for free
Free access to a vast number of good novels on GoodNovel app. Download the books you like and read anywhere & anytime.
Read books for free on the app
SCAN CODE TO READ ON APP
DMCA.com Protection Status