Le matin est trop calme.
Luna sent que quelque chose cloche avant même d’ouvrir les yeux. Pas un bruit. Pas un rire étouffé. Pas de café brûlant qui l’attend sur la table. Pas de Drakos torse nu avec ses sarcasmes matinaux. Juste un silence qui colle à la peau comme un pressentiment. Quand elle descend, elle trouve Drakos habillé. Cravate, chemise noire ajustée, regard fermé. Alerte rouge. — « Tu vas à un enterrement ? » lâche-t-elle en guise de bonjour. Il ne sourit pas. — « Le Conseil veut te voir. Maintenant. » Luna cligne des yeux. Encore à moitié endormie. — « Le Conseil… comme dans “ceux qui peuvent m’exécuter” ou “ceux qui veulent m’offrir un café” ? » — « Plutôt les premiers. » Super. Elle attrape son manteau. Et son courage. Parce que visiblement, elle va devoir affronter une bande de vieux alphas en costume qui décident du sort des gens comme on coche une case. Et Luna a toujours détesté les cases. ⸻ Ils arrivent dans une salle immense, au cœur du territoire neutre, au nord de la Forêt Noire. Une bâtisse froide en pierre blanche, protégée par des sorts anciens. Les murs vibrent doucement, comme si la magie y respirait. Luna se sent minuscule. Le Conseil est déjà installé : huit membres, tous plus guindés les uns que les autres. Des regards froids. Des postures rigides. Des visages graves, sauf un type aux yeux dorés qui la fixe comme s’il savait quelque chose qu’elle ignore. Charmant. Un homme au centre prend la parole. Sa voix est tranchante comme une lame. — « Luna Hale. Marquée par la Lune. Hôte du Médaillon ancien. Possiblement instable. » — « Bonjour à vous aussi, hein. » Le silence claque. Un autre membre du Conseil – une femme aux cheveux blancs comme la neige – murmure en la fixant : — « Son aura est plus puissante que prévu. » Un troisième grince des dents. — « Trop puissante. Il faut l’examiner. » Drakos se raidit. Il s’apprête à parler, mais Luna lève une main. — « Excusez-moi, mais je suis juste là pour discuter, pas pour me faire disséquer comme un steak magique. » Le Conseiller aux yeux dorés se lève lentement. Il porte un costume trois pièces tellement lisse qu’il semble lustré à l’huile de loup. — « Je suis l’Alpha Kael. Je suis responsable de l’évaluation des menaces. » — « Donc tu décides si je suis une menace ou juste une emmerdeuse de qualité supérieure ? » — « Exactement. » Il s’approche. Trop près. Il tend la main vers elle. — « Puis-je ? » — « Non. » Elle le fixe, glaciale. Mais il l’attrape par le poignet. Une douleur aiguë éclate dans son bras. Luna sent quelque chose ramper sous sa peau, une magie invasive, un sort de lecture psychique. Mauvaise idée. Très. Mauvaise. Idée. Un éclair lunaire jaillit de sa paume. Kael est projeté en arrière, traversant une table de pierre. Les autres membres du Conseil bondissent. — « Elle attaque ! » — « Non, elle se défend ! » hurle Drakos. Mais c’est trop tard. La tension explose. Deux gardes apparaissent. L’un brandit une dague d’argent. L’autre tente de la neutraliser avec un sort paralysant. Luna, à moitié sonnée par sa propre décharge d’énergie, se met en position. Trop lente. Pas assez entraînée. Mais suffisamment en colère. Drakos surgit devant elle, pare les deux attaques. Son aura crépite. Son regard est celui d’un Alpha enragé. — « Touchez-la encore… et je vous arrache les mains. » Kael, debout malgré tout, sourit en s’essuyant la bouche ensanglantée. — « Intéressant. Très intéressant. » Il s’approche à nouveau, plus calmement. — « Elle a déclenché un pouvoir ancestral sans même le vouloir. L’instinct. La rage. La défense. La Lune l’habite. » Luna tremble. Pas de peur. D’adrénaline. De colère. D’incompréhension. Kael tend la main à nouveau… cette fois à distance. — « Tu es plus que ce qu’on imaginait. » — « Et toi, t’es moins flippant que je pensais. Mais seulement quand t’es en sang. » Un sourire narquois effleure ses lèvres. Il aime ça. Le chaos. Le pouvoir. Les gens instables. Luna le déteste déjà. ⸻ Quand ils quittent la salle, Luna sent ses jambes flancher. — « J’ai explosé un mec du Conseil. Je suis morte, hein ? » — « Pas encore. » Drakos ne sourit pas. Pas même un soupçon. Elle s’arrête. Le regarde. — « Tu devrais être fier de moi. J’ai survécu à une réunion politique. Et j’ai découvert que mon pouvoir peut exploser des meubles anciens. C’est un bon jour. » — « Ils vont te surveiller, Luna. Te tester. Te pousser. Et certains vont vouloir t’éliminer avant que tu ne comprennes ce que tu es vraiment. » — « Tu fais partie d’eux ? » Il s’arrête à son tour. — « Je suis ici pour te protéger. » — « C’est pas une réponse. » Le silence entre eux est plus lourd qu’un sort de pierre. Drakos finit par dire, presque à regret : — « Ils te voient comme une arme. Une source de pouvoir incontrôlable. S’ils ne peuvent pas te contrôler, ils te détruiront. » — « Et toi ? Tu veux me contrôler ? » Il penche légèrement la tête, la voix rauque : — « Je veux que tu survives. Même si ça veut dire me tenir entre toi et eux. » Elle le fixe. Son cœur cogne. Son ventre se serre. — « Alors pourquoi tu gardes cette distance avec moi ? » Il détourne les yeux. Puis lâche, presque douloureusement : — « Parce que je suis leur chien en laisse. Et si je franchis la ligne, ils me rappellent à l’ordre. » Luna a envie de hurler. Mais elle sourit. Moqueuse. — « Un loup muselé. Sexy. Triste. Dangereux. Tu vas finir en couverture de roman pour adolescentes. » Il la regarde. Cette fois, il sourit. Vraiment. Un petit rire, discret. Et précieux. ⸻ La nuit tombe. Luna s’installe dans la chambre que le Conseil lui a assignée. Froid. Propre. Sans âme. Elle ne dort pas. Elle pense. Au médaillon qui pulse doucement sur sa peau. À cette énergie étrange qui l’a traversée dans la salle. À Kael, qui semblait déjà trop savoir. À Drakos, qui veut la sauver sans la toucher. Et à cette sensation sourde, au fond d’elle : elle est plus qu’une louve. Elle est un appel. Une mémoire vivante. Une clé. Elle ouvre la fenêtre. La lune est pleine, ronde, immense. Elle ferme les yeux. Et entend une voix. Une voix ancienne. Venue du fond des âges. — « L’héritière est réveillée. » Elle se fige. Puis se retourne. Et voit, dans l’ombre de la pièce, une silhouette. Féminine. Imposante. Entourée de brume. Des yeux brillants d’argent. Un sourire énigmatique. — « Tu ne peux plus reculer, Luna Hale. Le Trône oublié t’attend. »La salle du trône est vide, pour une fois. Le Conseil a été congédié. Les gardes se tiennent loin, silencieux, respectueux. Luna est assise sur le grand fauteuil de pierre, non par orgueil, mais par nécessité. Elle ne se cache plus derrière des doutes. Elle est l’héritière. La souveraine. La flamme et l’acier.Mais ce soir, la couronne est posée à côté d’elle. Pas sur sa tête.Elle observe ses mains. Elles ne tremblent plus.Un bruit feutré derrière elle.— « Tu portes le silence comme une reine. »La voix de Drakos est basse, rauque, pleine d’un calme prédateur. Il s’avance lentement, dans l’ombre, avant que la lumière n’accroche son regard doré.Luna ne se retourne pas. Elle sourit doucement.— « Tu me surveilles. »— « Je te veille. »Il s’approche. Elle sent son odeur — cuir, feu, terre humide. Ses instincts grondent doucement sous sa peau.— « Depuis combien de temps es-tu là ? »— « Assez pour voir que tu n’as plus besoin de moi. »Elle lève enfin les yeux vers lui. Son regard e
Le Conseil est silencieux.Pas ce silence poli ou contraint qui plane lors des décisions tendues. Non. Celui-ci est chargé. Électrique. Prêt à exploser. Luna se tient droite au centre de la salle, drapée dans une longue cape d’un noir profond, les cheveux relevés, le regard froid.Kael est à sa droite, l’air fermé.Drakos est à sa gauche, bras croisés, immobile comme une statue de guerre.Et face à eux, un Conseil fracturé. Divisé. Hésitant.— « Vous avez entendu la voix de la meute. Elle m’a choisie. Le pacte est brisé. L’héritière a pris sa place. »Les anciens échangent des regards nerveux. Mais l’un d’eux, Varion, se lève enfin. Ancien bêta d’une meute disparue, toujours trop silencieux… jusqu’à aujourd’hui.— « Et si le sang de cette meute n’était pas digne ? »— « Tu remets en cause la lignée des Reines de la Lune ? » crache Kael, les yeux brillants de colère.Varion sourit, lentement.— « Je dis que tout sang peut mentir. Et que tout pouvoir trop vite acquis sent la pourriture.
Le Conseil était réuni.Une dernière fois.Mais cette fois, ce n’était pas eux qui régnaient.La grande salle circulaire, toujours baignée de l’ombre froide de l’autorité, vibrait désormais d’une toute autre énergie. Un frisson courait le long des colonnes de pierre, comme si les fondations elles-mêmes retenaient leur souffle.Luna entra.Elle ne marchait plus.Elle avançait comme une tempête silencieuse.Son pas était assuré. Son regard, tranchant. Sa tenue, sombre et royale, laissait deviner la force qu’elle ne dissimulait plus. À ses côtés, Drakos, l’allure martiale, veillait tel un loup prêt à mordre. Et un peu derrière, plus calme mais pas moins intense, Kael, l’œil attentif, le sourire en coin, comme un général qui observait une reine conquérir un territoire.Les anciens du Conseil se redressèrent. Par habitude. Par réflexe. Ou par crainte.— « Vous m’avez convoquée », déclara Luna, sa voix claire, calme. « Mais vous avez tort. C’est moi qui vous appelle désormais. »Un murmure
La lune projetait ses reflets argentés à travers les hautes fenêtres, dessinant sur le sol des ombres mouvantes, comme autant de spectres dansant au rythme du vent nocturne. Luna était debout, immobile, au centre de la pièce circulaire, les bras légèrement croisés, le regard dur. Elle ne tremblait plus. Elle n’avait plus peur.Depuis son retour du territoire neutre, après son épreuve avec Kael, une nouvelle force coulait dans ses veines — froide, tranchante, pleine de promesses, mais aussi d’un poids immense. Elle sentait le poids de l’héritage, de la guerre, mais aussi la puissance qui sommeillait en elle, prête à s’éveiller.La porte s’ouvrit brusquement. Drakos entra, silhouette massive, visage fermé, yeux brûlant d’une colère contenue et d’une inquiétude profonde.— « Tu es là, enfin. » Sa voix était rauque, chargée d’émotion.Luna ne répondit pas tout de suite. Elle l’observa, savourant ce moment : c’était elle qui tenait la cadence, maintenant.— « Tu voulais me parler ? » deman
L’aube se levait à peine que déjà la cité semblait retenue dans une sorte de souffle suspendu. Luna, encore alourdie par les visions et les révélations du voyage, sentait son esprit tourbillonner. Chaque parcelle de sa peau vibrait, comme électrifiée, tandis que ses pensées se bousculaient, tiraillées entre la méfiance et un besoin profond de comprendre.Kael l’attendait dans la cour du Conseil, adossé contre un mur, les bras croisés. Son regard, cette fois, n’avait plus rien de l’ombre floue des jours passés. Il brillait d’une certitude implacable, comme un prédateur sûr de sa proie.— Tu es prête ? demanda-t-il, sans autre forme de politesse.Elle haussa les épaules, essayant de camoufler son trouble.— Prête à quoi, au juste ? Ce test, cette épreuve… c’est quoi le but réel, Kael ?Il esquissa un sourire en coin, celui qui avait toujours su l’irriter autant qu’il la fascinait.— Le but, c’est que tu te confrontes à toi-même. Et à ce que tu es vraiment capable d’être. Pas seulement l
La silhouette dans la chambre ne bouge pas.Elle se tient là, droite, les bras croisés, enveloppée d’une brume surnaturelle. Son regard d’argent semble sonder jusqu’à l’âme de Luna. La jeune louve reste figée, la respiration suspendue, chaque fibre de son être criant l’alerte.— « Qui êtes-vous ? » demande-t-elle, la voix plus assurée qu’elle ne se sent.La silhouette avance d’un pas. Ses traits émergent enfin. Une femme. Belle. Sauvage. Inhumaine. Sa peau semble faite de lune et de vent. Son aura fait vibrer l’air.— « Une écho du passé. Une part de toi. »— « C’est… censé être rassurant ? Parce que ça l’est pas. »La femme esquisse un sourire amusé.— « Je suis celle que tu seras, si tu ne faiblis pas. Si tu acceptes. »— « Accepter quoi ? »— « Ton héritage. Ton trône. Ta guerre. »Un frisson traverse Luna.— « Vous êtes un esprit. Une mémoire ? »— « Je suis l’ancienne. Celle qui a scellé le pacte. Et celle qui peut t’aider à le briser. »La brume se dissipe. La chambre redevient