Je fixe la reine, abasourdie. Moi, une Gémone ? Mais ce royaume est encore plus dingue que je l’imaginais ! Candélaria est en train de me faire comprendre que tous leurs espoirs reposent sur moi, la fille qui est née sur Terre, qui ne connaît absolument aucune technique de combat, qui est essoufflée rien qu’en montant des escaliers, et qui tourne de l’œil à la première goutte de sang ! Je suis censée me battre et exterminer un être démoniaque ? Je ne suis pas une machine à tuer ! Ils ne peuvent pas m’utiliser comme ils le veulent et quand ça leur chante ! Moi qui tenais absolument à connaître la vérité, désormais, je ferais volontiers marche arrière. Je ne veux plus rien savoir ! Je veux tout oublier !—Si tu as des questions, ma chère, c’est le moment de les poser, me conseille la reine. Je me doute que tu dois être bouleversée.Bouleversée ? J’ai bien envie de lui dire que le mot est faible. J’ignore même comment je fais pour encaisser tout ça sans rien dire. Je s
Nous quittons enfin le Majestueux. Rester des mois enfermés dans ce château, il y a de quoi devenir fou. Si Evalina n’était pas arrivée ici pour chambouler nos habitudes, il n’y aurait jamais eu de sortie aujourd’hui. Mais je préférerais mourir plutôt que de l’avouer à voix haute. Depuis que nous avons quitté le Jardin Abyssal afin de rejoindre les autres à l’entrée du Majestueux, la Gémone se comporte d’une façon très étrange. Son regard ne cesse de fureter partout. Ses sourcils se froncent, laissant apparaître un léger pli au niveau du front. Je crève d’envie de savoir à quoi elle pense. Il me suffirait de braquer mon regard sur elle et de me concentrer suffisamment pour pouvoir entendre l’écho de ses pensées. Mais je me suis promis de me contenir. Je dois arrêter de le faire à chaque fois que j’en ai envie. Je détesterais qu’on me fasse la même chose. Je lui ai fait croire que je n’essaierai même pas de me retenir, mais c’était uniquement pour la voir s’énerver.Cette fille p
Je hurle de terreur. Je ne suis retenue que par les bras. Mes jambes se balancent dans le vide. Ces léldriques de malheur et leurs pinces me font un mal de chien ! Je devrais m’estimer heureuse qu’ils ne se décident pas à me lâcher en plein vol, mais ma destination me pétrifie d’angoisse. L’Imposant. J’espère seulement que la Démone va tenir sa promesse. Qu’elle relâche Tessia, saine et sauve. Histoire que mon sacrifice ne soit pas vain. Je me doutais que tout ne se passerait pas comme prévu. J’ai essayé de prévenir les Surnaturels lorsque j’ai aperçu ses monstres ailés au loin. J’ai essayé de crier pour capter leur attention, seulement, Edden et Angie étaient bien trop occupés à se battre. Quant aux autres, ils vérifiaient la zone. Le problème, c’est qu’aucun n’a pensé à vérifier juste au-dessus de nos têtes. Qu’est-ce qui a pris à Edden et Angie de s’adonner à cette bagarre ridicule ? Je pensais que les Surnaturels étaient soudés, et non qu’il puisse y avoir de telles tensions au sei
—Mélodie, attends-moi !Des éclats de rire s’échappent de la bouche de ma meilleure amie et viennent se répercuter dans la salle de classe vide. Nous avons pu nous faufiler discrètement à l’intérieur du collège, sans qu’aucun surveillant ne nous voie. Ça n’a pas été facile. On se serait crus agents du FBI à la poursuite d’un dangereux criminel. À chaque bruit suspect, Mélodie et moi nous planquions derrière n’importe quoi susceptible de nous cacher. Et à chaque fois, je ne pouvais m’empêcher de rire. Mélodie était la seule de nous deux à prendre notre mission très à cœur. Elle mettait une main sur ma bouche quand elle voyait que j’étais au bord de la crise de rire, puis elle vérifiait que la voie était libre. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvées là, dans la classe de notre professeur de français. C’est notre première heure de cours le lundi matin. D’habitude, nous ne pouvons nous rendre au collège qu’à partir de huit heures trente. Avant cet horaire, le bâtiment est
—Je vous avais demandé de ne pas lui faire de mal, s’exclame une voix féminine.Je cherche des yeux le physique de cette voix, mais à part les trénones et moi, je ne discerne personne. Je plisse les yeux pour y voir plus clair. Cette pièce a beau être spacieuse, elle n’en est pas moins très sombre. Mais la luminosité se fait soudain plus vive. Un nébor vient de brancher l’un de ces fils à une prise située un peu plus loin. Je peux désormais discerner avec plus de précision ce qui se dresse en face de moi. C’est un immense rideau rouge, fait de velours. Il couvre la distance du sol jusqu’au plafond, et de part et d’autre des extrémités de la salle. Cette pièce me fait penser à une scène de théâtre. Un rond lumineux y est réfléchi. Un projecteur doit certainement se trouver au fond de la salle. Et derrière le rideau, je ne tarde pas à distinguer une forme humaine. La mise en scène est identique à celle des spectacles de danse que ma meilleure amie et moi adorions aller voir.
Je suis balancée dans ma cellule comme un vulgaire bout de chiffon. Les barreaux se referment derrière moi dans un fracas assourdissant, tandis que les nébors s’éloignent au loin. Mon nez se fronce de dégoût à l’odeur familière de pourriture qui règne à l’Isolement. Mes larmes coulent le long de mes joues. Je me recroqueville et enfouis ma tête entre mes genoux. Des sanglots étouffés se répercutent à travers la cellule. Mes pensées fusent à mille à l’heure, tout se bouscule. Les derniers souvenirs que j’ai de Roxana remontent alors à la surface. Comme la fois où nous nous étions poursuivies dans la classe avec nos doigts pleins de pâte à tartiner. Ou bien celle où l’on avait dansé comme des folles à ma soirée d’anniversaire. Ou encore, lorsqu’elle m’avait offert son cadeau au parc, juste avant que ma vie ne tourne au drame improbable. Je porte une main autour de mon cou et serre le collier entre mes doigts. Cette petite note de musique, une clé de sol, sertie de quelques pierres de sap
—Evalina !Cette voix... elle m’est étrangement familière. Si familière qu’elle me contraint à desserrer mon emprise. Ma victime peut à nouveau respirer. Ce n’est pas normal. Je ne devrais pas la laisser vivre. Je fronce les sourcils de frustration et reprends où j’en étais pour en finir, quand une seconde voix, plus grave, se fait entendre à travers le hall.—Ne fais pas ça !Ne fais pas quoi ? Je veux juste achever ma proie, mais quelque chose au fond de moi me pousse à abandonner. Je la repose au sol et elle s’écroule dans un bruit sourd. J’entends d’ici son sifflement irrégulier, signe qu’elle est toujours en vie. Pourquoi l’ai-je relâchée, alors que mon instinct m’intime de la tuer ? Mes yeux recommencent à me brûler. C’est alors que des bras m’enserrent la taille et me tirent en arrière. Je bute contre quelque chose de dur, mais de doux à la fois. Un corps. Quelqu’un me maintient dans ses bras pour m’empêcher d’atteindre mon but ultime. L’extase f
La mort peut être douce. Elle peut être brutale. Ou encore attendue. Elle peut décimer une personne en l’espace de quelques secondes. Elle atteint son entourage en faisant des ravages, bien pires que le cœur de la victime qui s’arrête. Elle peut amener à la dépression. Elle peut amener à la folie. Elle peut survenir après une maladie. La mort peut soulager. Elle peut horrifier. Elle peut être lente. Elle peut être rapide. Comme le corps, qui se tient juste sous mes yeux. Sans vie, et atrocement froid. Même l’odeur caractéristique de la mort semble avoir pris possession des lieux. Je continue à croire que ce n’est pas possible. Une vie ne peut pas s’arrêter comme ça. Zéphyr a été étranglé sous mes yeux. Mais Angie ? Il ne peut pas mourir ainsi. Il est plus fort que ça. Mes mains tiennent toujours sa tête froide, mon front collé au sien. Je ferme les yeux, essayant vainement de lui faire parvenir ma force. Je ne sais pas comment, mais j’essaie… Je sais que tu peux le faire, il te suffit