LUNA
- Non !! Lâchez-moi ! s'écria-t-elle, sa voix tremblante d'angoisse, tandis qu'elle se débattait avec toutes ses forces. Père ! Père, réveillez-vous ! L'hystérie s'empara d'elle, telle une tempête déchaînée, alors qu'elle portait un coup de genou à l'entrejambe de Rufus. Dans un élan désespéré, elle se déroba à son emprise et se précipita vers le corps inerte de son géniteur, gisant là, comme une ombre du passé. - Père !!! Réveillez-vous ! Père ! implora-t-elle, sa voix résonnant comme un cri de désespoir dans l'air lourd de tension. Sa mère, toujours maintenue captive dans les bras d'Alaric, pleura à chaudes larmes, ses sanglots résonnant comme des échos de souffrance. Elle secouait la tête de gauche à droite, comme si elle pouvait chasser le malheur qui pesait sur eux. - Luna ! s'écria-t-elle, le désespoir dans la voix, mais sa tentative de réconfort fut interrompue lorsque Rufus, d'un geste brutal, saisit les cheveux de la jeune fille et la ramena vers lui. - Petite sotte, tu devrais être heureuse d'avoir été choisie par les dieux, meugla-t-il, un sourire cruel aux lèvres, en la balançant par-dessus son épaule comme un fardeau. Les mots résonnaient, pleins de mépris et de dédain. Luna, horrifiée et désespérée, s'écria, frappant avec frénésie le dos de Rufus dans une tentative désespérée de se libérer. Ses poings, bien que pleins de rage, ne faisaient que glisser sur sa peau dure et impassible. N'étant pas ébranlé le moins du monde par ses coups, celui-ci l'emporta avec lui à l'extérieur de la demeure. L'air était chargé d'une atmosphère oppressante, et l'on pouvait déjà entendre, au loin, les tambours résonner sur la grande place du village, un prélude à un événement funeste. La peur de Luna se décupla, s'enroulant autour de son cœur comme un serpent venimeux, tandis qu'elle réalisait l'horreur qui l'attendait. Les ombres s'allongeaient, et la nuit semblait se refermer sur elle comme un voile sombre, emportant avec elle les derniers vestiges d'espoir. Au-dessus, le ciel se teintait d'un rouge inquiétant, alors qu'une éclipse lunaire se préparait à envelopper la lune d'une aura mystérieuse. Les étoiles, habituellement brillantes, étaient masquées par des nuages menaçants, et un frisson parcourait l'air, chargé d'une tension palpable. Sans préambule, Rufus la jeta au sol lorsque le groupe atteignit la grande place du village. Luna se redressa, le cœur battant, et se trouva au centre d'un cercle formé par les anciens. Les tambours résonnaient autour d'elle, battant un rythme lourd et sinistre, tandis que les visages des villageois, aux traits marqués par le temps et l'expérience, l'observaient avec des yeux effrayants, vides de compassion. - Regardez-la, murmura une vieille femme, sa voix rauque se mêlant au bruit des tambours. Elle est l'élue, celle que les dieux ont choisie. Désorientée et apeurée, Luna scrutait les visages impassibles des anciens, se demandant comment ils pouvaient s'adonner à cette coutume sans le moindre remords. Ses pensées tourbillonnaient dans son esprit, et elle se mit à balbutier : - Pourquoi me faites-vous cela ? Qu'ai-je fait pour mériter un tel sort ? Un ancien, à la barbe blanche comme la neige, s'avança lentement. Ses yeux, d'un bleu glacial, fixaient Luna avec une intensité dérangeante. - Silence, jeune fille, répondit-il d'une voix profonde et grave. Les dieux exigent un sacrifice, et c'est toi qui as été désignée. C'est un honneur, même si tu ne peux le comprendre. - Un honneur ? s'écria-t-elle, désespérée. Vous parlez de sacrifice, mais cela ne ressemble qu'à une monstruosité ! La foule murmura, des murmures de désapprobation s'élevant parmi les anciens. Mais avant qu'elle ne puisse poursuivre, la vieille sage du village s'avança dans le cercle, portant un petit bol en bois qui contenait le sang d'un agneau. Le liquide rouge, sombre et épais, brillait faiblement à la lumière des torches qui entouraient la place. - Comme avant tout sacrifice, je dois purifier l'élue, annonça-t-elle d'une voix solennelle. Que les dieux nous guident dans ce rite ! Elle plongea ses deux doigts dans le bol, immaculant ses mains de sang. Les gouttes s'écoulèrent lentement, formant un contraste macabre avec sa peau ridée. Puis, avec une précision rituelle, elle s'approcha de Luna, son regard empreint de détermination. - Lève la tête, enfant du destin, ordonna-t-elle. Ne crains rien, car ce que nous faisons ici est nécessaire pour la prospérité de notre village. Luna, le cœur lourd, se força à obéir. La vieille sage dessina un symbole complexe sur son front, une rune ancienne qui scintillait d'une lueur mystérieuse. Chaque mouvement de la sage était empreint de gravité, et Luna ressentit une chaleur étrange se répandre sur sa peau. - Que ce symbole te protège, murmura la sage, presque comme une prière. Que les dieux t'accueillent dans leur lumière. - Je ne veux pas ! s'écria Luna, sa voix brisée par l'émotion. Je ne veux pas être leur sacrifice ! Mais ses mots se perdaient dans le tumulte des tambours, qui résonnaient de plus en plus fort, comme un cœur battant au rythme de la peur et du désespoir. La foule semblait hypnotisée, leurs regards rivés sur elle, et Luna se sentit piégée dans une toile d'araignée tissée par les traditions et les croyances ancestrales. Sans prévenir, la vieille sage, drapée dans sa robe de lin usé, noua ses poignets, les attachant avec force. Son visage, marqué par les années et les épreuves, était empreint d'une gravité qui glaçait le sang de Luna. - Debout, mon enfant, ordonna-t-elle d'une voix ferme, mais douce. Le moment est venu. Les yeux embués de larmes, Luna se redressa, le cœur lourd. Elle pouvait sentir le regard de sa mère, perdu dans la foule, rempli d'inquiétude et de désespoir. - Maman ! cria-t-elle, sa voix brisée par l'émotion. Ne me laisse pas ici ! Mais la sage la fit taire d'un geste de la main, et Luna entendit alors les voix des anciens s'élever en chœur. Ils chantaient une mélodie ancienne, une chanson qui accompagnait le sacrifice, leurs voix résonnant comme un écho des temps révolus. Leurs visages étaient impassibles, marqués par des années de traditions immuables. - Suivez-moi, ordonna l'un des anciens, un homme à la stature imposante et à la voix profonde. Le chemin vers la forêt nous attend. Luna, le cœur battant, réalisa qu'ils prenaient tous la direction qui menait à la forêt obscure, où l'arbre de vie se tenait, majestueux et redouté. Elle savait ce qui l'attendait : elle allait être attachée à cet arbre, abandonnée là, une offrande pour une créature légendaire qui hantait les ombres de la forêt. - Non, je ne peux pas ! s'écria-t-elle, la panique montant en elle. Vous ne pouvez pas faire cela ! Son cri se perdit dans le tumulte des tambours qui martelaient le sol, et la foule avançait sans se retourner. Elle se débattit, mais les liens autour de ses poignets étaient serrés, et les anciens tiraient sur la corde qui la retenait pour la faire avancer. - Luna, calme-toi, murmura une voix familière. C'était sa mère, qui, bien que retenue par Alaric, avait réussi à s'approcher. - Maman, aide-moi ! supplia-t-elle, les larmes coulant sur ses joues. - Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, ma chérie, répondit sa mère, la voix tremblante. Mais tu dois être forte. Les ancêtres veillent sur nous. Son cœur battait dans un rythme désordonné dans sa poitrine alors qu'elle avançait, avouant ses pleurs, en les suppliant, mais tout le monde semblait se ficher de sa détresse. Les tambours résonnaient comme un appel à la bravoure, et malgré la peur qui l'étreignait, elle se força à avancer. Rapidement, ils s'enfonçaient dans la forêt obscure, là où plusieurs personnes avaient été sacrifiées au fil des ans. Les flammes des longues torches éclairaient leur chemin, projetant des ombres dansantes sur les troncs des arbres noueux. Leurs silhouettes se mouvaient comme des spectres, et Luna pouvait sentir le souffle frais de la nuit sur sa peau. - Regardez, murmura une jeune femme, son visage blême. L'arbre de vie est devant nous. Luna leva les yeux et aperçut, au loin, l'arbre colossal, ses branches tordues s'étendant comme des bras désespérés vers le ciel. Son écorce était noire, marquée par des cicatrices anciennes, et une aura sinistre l'entourait. - Là où les âmes se rejoignent, murmura la sage en avançant, l'arbre attend son offrande. Luna se sentit submergée par la terreur. Elle savait qu'elle allait devenir une proie, une victime pour une créature mythique qui, selon les légendes, se nourrissait de la peur et du désespoir. Les corbeaux croassaient au-dessus d'eux, leurs cris résonnant comme des présages funestes. - Ne les écoutez pas, dit l'ancien qui marchait en tête, sa voix grave résonnant dans la nuit. Ce sont des messagers des dieux. Ils annoncent notre rite. - Des dieux ? s'indigna Luna, la colère bouillonnant en elle. Pourquoi devrais-je être leur sacrifice ? Qu'ai-je fait pour mériter cela ? Mais ses mots se perdaient dans le tumulte, et la foule continuait d'avancer, indifférente à sa souffrance. Alors qu'ils atteignaient l'arbre, Luna sentit une force irrésistible l'attirer vers lui, comme si l'arbre lui-même voulait l'engloutir. - Attachez-la, ordonna la sage, et les anciens s'exécutèrent, ligotant ses poignets autour du tronc rugueux. Luna ferma les yeux, retenant ses larmes. Elle savait que la fin était proche, mais au fond d'elle, une petite flamme de révolte brûlait toujours. Elle ne se laisserait pas abattre sans se battre. - Je ne suis pas une offrande, murmura-t-elle pour elle-même, sa voix tremblante. Je suis Luna, et je ne céderai pas à la peur. Alors que la lune rouge émergeait des nuages, projetant une lumière sinistre sur la scène, Luna leva les yeux vers le ciel, espérant que les étoiles, témoins de son désespoir, lui viendraient en aide.LUNA NEUF ANS PLUS TARD.Le soleil incendiait l'horizon, teintant le ciel de pourpre et d'or, comme si les dieux eux-mêmes avaient allumé un bûcher en l'honneur des disparus. Les ombres s'allongeaient, épousant les courbes du tertre où reposait Ace, désormais enfermé dans le silence éternel. La pierre tombale, rugueuse sous les doigts de ceux qui osaient la toucher, portait son nom gravé en lettres profondes, comme des cicatrices dans la roche. À côté, une seconde stèle, plus petite mais tout aussi solennelle, veillait sur le dernier sommeil de sa compagne. Deux âmes unies dans la vie, désormais couchées côte à côte pour l'éternité.Luna sentit la chaleur du soir s'attarder sur sa peau, mais rien ne pouvait dissiper le froid qui lui serrait le cœur. Sa main, tremblante, se referma autour de celle d'Askel, cherchant dans cette étreinte un fragile réconfort. Les doigts de son fils étaient tièdes, vivants, et pourtant, elle y percevait déjà la même force calme qui avait caractérisé ceux
LUNAQUELQUES JOURS PLUS TARD.Qu'est-ce que l'amour ?Qu'est-ce que véritablement aimer ?Devant son miroir aux reflets tremblants, éclairé par la lueur dansante des chandelles, Luna se perdit une fois encore dans cette question éternelle. Depuis l'aube de ses souvenirs, elle s'était interrogée, cherchant en vain une réponse dans les livres poussiéreux, dans les murmures des anciens, dans les battements capricieux de son propre cœur. Mais jamais la vérité ne s'était offerte à elle—jusqu'à ce soir.Une larme, lourde comme une goutte de rosée sur une rose fanée, glissa le long de sa joue d'albâtre, traçant un chemin argenté sur sa peau aussi pâle que la lune qu'elle contemplait à travers la fenêtre. Ses doigts effilés, légèrement tremblants, effleurèrent cette trace humide comme pour en vérifier l'existence.L'amour est un traître, comprit-elle enfin.Il s'insinue dans l'âme comme un voleur dans la nuit, s'empare des sens sans permission, et lie le cœur à un autre, qu'on le veuille ou
SIGVARD Le lourd portail de chêne clouté grinça sinistrement en s'ouvrant devant eux, dévoilant la cour intérieure du château transformée en camp retranché. Sigvard franchit le seuil, la nuque raide sous la menace d'une dizaine de lames frémissantes pointées vers lui. Sous la lumière pâle du soleil hivernal, une centaine de guerriers vêtus de tuniques blanches frappées de larmes écarlates se tenaient en rangs serrés - la redoutable Confrérie des Lames Blanches.Ses propres hommes, enchaînés comme du bétail, gisaient contre les murailles, leurs armures maculées de sang et de boue gelée. Parmi eux, des femmes et des enfants tremblants étouffaient leurs sanglots, terrassés par la peur. L'odeur âcre de la sueur, du fer rouillé et de la neige fondue emplissait l'air glacé.Soren - en réalité Luna - fit avancer son cheval d'un pas mesuré, l'épée toujours posée contre la gorge de Sigvard. Sa voix, habilement modifiée pour imiter celle du guerrier, claqua comme un coup de fouet :- Voici vot
SIGVARD Attrapant une dernière fois la main fine de Luna – qui n'était autre que Soren métamorphosée – Sigvard colla leur front un bref instant avant de s'écarter brusquement, comme brûlé. À ses yeux, ce n'était point sa bien-aimée qui se tenait là, mais bien le facétieux Soren, dissimulé sous son apparence. L'homme – ou plutôt, elle désormais – juché sur la monture noire de Sigvard, étouffa un dernier spasme de rire, ses épaules frémissant sous les plis de la cape de voyage. D'une voix faussement mélodieuse, il lança, enflant les syllabes avec une grâce trop étudiée : - Par les cornes d'Ymir, cessez donc cette mine funèbre, mon seigneur ! Certes, je porte les traits de votre dame, mais mon esprit demeure aussi railleur qu'un corbeau en ribote. Il pencha la tête, imitant à s'y méprendre l'attitude pudique de Luna, avant d'ajouter, malicieusement : Toutefois, si votre cœur s'égare... je ne vous en tiendrai point grief. Un grondement sourd s'échappa de la gorge de Sigvard. Autour
SIGVARD - De toute évidence, nous sommes tombés dans un guet-apens...La voix calme et mesurée de Soren rompit le silence oppressant de la cabane. La Confrérie des Lames Blanches n'est plus en ces terres. Nous avons entrepris ce voyage en vain, et perdu de bons hommes pour une ombre de légende.Une autre voix, plus frêle, s'éleva dans la pénombre :- Celui qui vous a menés ici ne vous a point menti... du moins, pas entièrement. Une vieille femme, le dos courbé par les années, émergea de l'ombre du foyer. En des temps oubliés, avant même que mes cheveux ne blanchissent, leur ordre siégeait en ces montagnes. Mais cela fait plus de vingt hivers qu'ils ont quitté ces pierres.Un frisson parcourut l'assemblée.Sigvard, les traits durcis par une colère froide, resserra son emprise sur le corps de sa bien-aimée :- Un piège longuement ourdi... murmura-t-il. Ils savaient. Ils nous ont attirés loin du château pour frapper en notre absence. À cette heure, je ne serais point surpris d'apprendre
SIGVARD À genoux sur le sol de pierre, Sigvard se penchait sur le corps frêle de sa bien-aimée, ses larges mains tremblantes encerclant son visage comme pour le protéger des griffes de la mort. La lueur vacillante du feu projetait des ombres mouvantes sur les traits tirés de Luna, son teint jadis si vif maintenant pâle comme la lune qu'elle portait en nom. Ses yeux bleus, autrefois pleins de vie, étaient clos, ses cils sombres posés sur ses joues comme des ailes d'oiseau blessé. D'un geste aussi doux que le frôlement d'une plume, il essuya la sueur perlant sur son front, effaçant d'un pouce calleux les stries de souffrance qui creusaient son visage. - Luna... murmura-t-il, d'une voix si rauque qu'elle semblait déchirée de l'intérieur. Il pressa sa paume contre la sienne, entrelaçant leurs doigts avec une ferveur désespérée. Le lien des âmes sœurs s'éveilla entre eux, brûlant comme un fer rouge dans ses veines. Il sentit aussitôt la douleur de sa blessure lui transpercer le flan