Raphaël
L’odeur de la peinture fraîche emplit l’atelier, se mêlant aux effluves du bois et des toiles empilées dans un désordre savamment orchestré. Le pinceau danse entre mes doigts, traçant des lignes brutes sur la toile devant moi. L’image est encore floue, un mélange d’ombres et de couleurs qui refusent de prendre forme.
Je grogne, frustré, et jette mon pinceau dans un coin. Il atterrit avec un bruit sourd contre le plancher usé.
— Toujours aussi violent avec ton art.
Sa voix.
Je ferme brièvement les yeux avant de me retourner.
Cassandra est là, adossée contre la porte de l’atelier, un léger sourire sur les lèvres. Son regard scrute mon œuvre inachevée avant de se poser sur moi. Son tailleur sombre tranche avec l’aura bohème du lieu, mais elle n’en paraît pas moins à sa place.
Elle est comme une œuvre d’art elle-même : chaque détail étudié, chaque mouvement calculé. Mais ce qui me frappe toujours, c’est ce feu sous la surface, cette étincelle que peu de gens savent voir.
— Je croyais que tu avais oublié l’adresse.
Elle esquisse un sourire avant d’avancer lentement.
— Je n’oublie jamais ce qui compte, Raphaël.
Ses mots résonnent plus qu’ils ne devraient.
Je m’appuie contre la table, croisant les bras.
— Alors, qu’est-ce qui t’amène ? Besoin d’un tableau pour décorer tes bureaux ?
Elle rit doucement avant de faire glisser ses doigts sur une toile abandonnée.
— Non. J’avais juste envie de te voir.
Je la fixe un instant.
Cassandra n’est pas une femme qui vient sans raison.
— Tu mens.
Elle lève les yeux vers moi, impassible.
— Et si c’était vrai ?
Je me redresse, m’approchant d’elle.
— Alors tu aurais choisi un autre moment. Un autre endroit. Tu ne viens pas ici pour parler du bon vieux temps.
Elle ne bouge pas quand j’arrive à quelques centimètres d’elle.
— Tu me connais trop bien.
Je frôle sa joue du bout des doigts, testant ses limites, attendant de voir si elle recule. Elle ne le fait pas.
— Je t’ai toujours connue.
Mon pouce effleure sa lèvre inférieure, et son regard s’assombrit un instant. Mais elle ne cède pas.
Cassandra Morel ne cède jamais.
— Tu joues avec le feu, Raphaël.
Je souris, amusé.
— Toi aussi, Cassandra.
Un silence s’installe. Elle est la première à briser la tension, reculant légèrement.
— J’ai besoin de ton aide.
Je soupire et me détourne, attrapant un chiffon pour essuyer mes mains tachées de peinture.
— Je me doutais que tu ne venais pas juste pour le plaisir.
Elle s’avance à nouveau, déterminée.
— Lucien veut mettre la main sur la Fondation Valmont. Et il sait que tu es le dernier obstacle.
Je serre la mâchoire.
La Fondation Valmont. L’œuvre de ma mère. Un refuge pour les artistes, un lieu où la créativité n’est pas entravée par l’argent ou le pouvoir.
Lucien Valmont veut la contrôler ? Pas question.
— Et tu veux quoi ? Que je lui fasse un chèque pour le convaincre de lâcher l’affaire ?
Elle secoue la tête.
— Non. Je veux qu’on joue plus intelligemment.
Je fronce les sourcils, intrigué.
— Continue.
Elle s’appuie contre une table, croisant les bras.
— Lucien ne s’intéresse pas à l’art. Il s’intéresse au prestige. Si on lui retire ce qu’il veut le plus – l’image du philanthrope visionnaire –, il perdra tout intérêt pour la Fondation.
— Et comment tu comptes faire ça ?
Son sourire est calculateur.
— On va lui montrer qu’il n’est pas l’homme qu’il prétend être.
Je ris doucement.
— Manipulation et scandale. Voilà bien ton style.
Elle hausse un sourcil.
— Toi aussi, tu as toujours aimé renverser les puissants.
Elle n’a pas tort.
— Et si j’accepte ?
— Alors, je te garantis que la Fondation restera entre tes mains.
Je la fixe un instant.
— Et si je refuse ?
Elle ne cille pas.
— Tu sais que tu n’es pas le seul à pouvoir sauver ce projet. Mais si tu laisses Lucien gagner, ne viens pas pleurer après.
Elle est impitoyable.
Et c’est pour ça que je l’ai toujours aimée.
Je prends une profonde inspiration avant de sourire.
— Très bien, Cassandra. Jouons.
Elle sourit à son tour.
Mais je le sais déjà : dans ce jeu, je ne gagnerai jamais totalement.
Parce que peu importe ce que je fais, elle ne sera jamais mienne.
Et c’est bien ça, le plus cruel.
Gabriel
Elle incline la tête légèrement, sans ciller.
— Je connais tes prix, Gabriel. Mais je te connais aussi. Tu ne refuses jamais une opportunité de déstabiliser un rival.
Je ris doucement.
— Touché.
Je repose l’enveloppe et la fais glisser vers elle.
— Tu as ma curiosité. Maintenant, donne-moi une raison de dire oui.
Elle se penche légèrement en avant, et dans son regard, je vois une lueur que peu d’hommes ont eu l’occasion d’affronter sans s’y brûler.
— Parce que si tu m’aides, je t’aiderai aussi. Et crois-moi, Gabriel, il vaut mieux m’avoir à ses côtés que contre soi.
Un silence s’installe entre nous. Elle ne bluffe pas. Je la connais trop bien pour ça.
Après un instant, je souris et tends mon verre vers elle.
— Marché conclu, Reine.
Elle attrape son verre et trinque avec moi.
Cette partie vient de commencer. Et je compte bien la gagner.
CassandraJe suis là, dans ses bras, mon corps encore brûlant des flammes de ce que nous venons de partager. Mon cœur bat encore la chamade, et chaque respiration que je prends semble chargée de ce qu’il m’a donné. De ce qu’il m’a arraché. J’ai toujours cru que je pouvais contrôler ma vie, que je pouvais choisir, que je pouvais fuir quand ça devenait trop intense. Mais lui, Raphaël, il m’a prouvé qu’il n’y a rien que je puisse faire pour empêcher ce qui s’éveille en moi. Ce désir brûlant, cette passion dévorante.Je me recule légèrement, me redressant dans le lit, observant son visage. Ses yeux, encore noyés de cette intensité que nous avons partagée, me regardent avec cette familiarité douce et pleine de promesses. Je veux l’éviter, fuir ce qui semble pourtant inéluctable, mais chaque parcelle de mon être me crie que je suis bien là où je devrais être. Avec lui. Pas seulement pour le moment, mais pour plus.Je caresse sa joue, mes doigts traçant les contours de son visage avec une do
RaphaëlJe la regarde, debout près de la fenêtre, les rayons du soleil effleurant sa peau. Elle semble presque irréelle, comme si le monde autour d’elle s’était suspendu, comme si tout prenait sens dès qu’elle était là, dans ma vie. Cassandra... Elle a ce don, sans même le savoir, de transformer chaque instant en quelque chose d’intense, d’important. Et pourtant, aujourd’hui, elle semble différente. Elle est calme, mais d’une manière que je n’ai jamais vue. Il y a une sorte de paix en elle, une décision qu’elle a prise sans retour possible.Je me permets de la regarder un peu plus longtemps, absorbé par la beauté de ce moment, par la simplicité de sa présence. Puis je la vois se tourner vers moi, son regard croisant le mien. Ses yeux sont pleins de promesses, mais aussi d'une fragilité que je ressens au plus profond de moi.« Bien dormi ? » J'essaie de briser le silence, de lui offrir une ouverture, quelque chose pour qu'elle se sente à l'aise. Sa réponse est une légère esquisse de so
CassandraLe vent souffle doucement à travers les rideaux ouverts, apportant avec lui un parfum de printemps qui flotte dans l’air. Il est presque tard, et le soleil se couche lentement, parant la pièce d’une lumière dorée. Mais dans mon esprit, il fait plus sombre qu’il ne l’a jamais été. J’ai repoussé ce moment trop longtemps, tenté de fuir cette vérité que je savais au fond de moi. Le temps m’a apporté une clarté nouvelle, mais aussi une décision lourde, une décision qui pèse sur mon cœur.Je regarde Raphaël. Il est là, à quelques pas de moi, attendant patiemment que je trouve les mots qui, je le sais, changeront tout. Il n’a pas cherché à me convaincre. Il m’a laissée choisir, et je l’ai observé, espérant trouver une raison de m’échapper de ce lien invisible qui m’attire pourtant vers lui. Mais chaque jour passé à ses côtés, chaque instant partagé, m’a convaincue que c’était lui. Lui qui m’avait donnée une autre chance. Lui qui, malgré tout, n’avait jamais cessé de croire en nous.
CassandraLe jour s’étire dans une lenteur que je peine à supporter. Mon esprit est encore agité par la dernière conversation avec Lucien, un écho de ses mots résonnant dans mon esprit. La souffrance de le voir partir, d’être celle qui a décidé de tout laisser derrière, me pèse comme un fardeau. Mais ce n’est pas le poids de la décision qui m’accable, c’est l’incertitude qui m’attend. Est-ce que j’ai fait le bon choix ? Est-ce que je pourrais vivre avec cette décision ?Je ferme les yeux, la chaleur du soleil effleurant ma peau, mais à l’intérieur, il y a une tempête. Une part de moi veut crier, briser tout ce que j’ai construit pour me libérer de cette douleur. Mais une autre part, plus calme, me dit de continuer, de ne pas regarder en arrière.Un bruit derrière moi me fait sursauter. Je me retourne, et je trouve Raphaël, debout dans l’encadrement de la porte, son regard posé sur moi avec une intensité que je ne peux ignorer.« Tout va bien ? » Sa voix est douce, mais il y a une inqu
CassandraJe suis frappée par la force de ses paroles. Un frisson me parcourt, mais je garde les yeux baissés, cherchant à rassembler mes pensées. C’est trop. Il me pousse dans mes retranchements, me forçant à faire un choix. Mais quel choix ?« Et si je te dis que je n’ai plus envie de choisir ? » La question m’échappe avant que je ne puisse la retenir. « Que je n’ai plus envie de jouer à ce jeu ? »Raphaël ne répond pas tout de suite. Il se tient là, silencieux, comme s’il pesait chaque mot avant de parler. Et puis, il s’avance un peu plus près, et cette fois, ses mains encadrent doucement mon visage, forçant mes yeux à se poser sur lui.« Alors fais-le pour toi. » Ses mots sont un souffle, presque une prière. « Ne choisis pas pour lui. Choisis pour toi. Parce que tu le mérites. »Les larmes montent sans que je puisse les retenir. Elles ne sont pas seulement de tristesse. Il y a de la colère, de la frustration, de l’impuissance. Et au milieu de tout cela, un désir inavoué. Un désir
CassandraJe me tourne brusquement. Raphaël. Sa silhouette se découpe dans l’encadrement de la porte, son regard perçant. Il me fixe intensément, presque à la manière d’un spectateur, comme si chaque émotion qui me traverse était une scène qu’il observait avec une curiosité non dissimulée.« Pourquoi es-tu là ? » Ma voix est plus froide que je ne le voudrais, mais je ne peux m’empêcher de le regarder, d’analyser son visage, ses traits, toujours aussi fascinants, mais aussi tellement complexes.« Parce que je sais que tu souffres. » Il s’avance lentement, chaque pas résonnant comme un défi. « Et parce que tu ne veux pas l’admettre. »« Je n’ai rien à te dire. »« C’est pour ça que tu me dis tout. » Il sourit légèrement, un sourire entendu. Il connaît bien mes mécanismes de défense, il sait que je lutte, que je me cache derrière des murs d’acier pour ne pas laisser mes émotions se déverser. Mais je n’ai pas envie de jouer à ce jeu. Pas ce soir.« Il est trop tard, Raphaël. »« Peut-être