Lucien
Le parfum du cigare flotte dans l’air, mêlé aux notes boisées du whisky que je fais tourner dans mon verre. De là où je suis assis, derrière mon bureau en acajou massif, je domine la ville à travers les immenses baies vitrées de mon bureau.
On frappe à la porte.
— Entrez.
Mon assistant pénètre dans la pièce, son pas précis, mesuré.
— Monsieur Valmont, mademoiselle Morel est là.
Je souris lentement.
— Faites-la entrer.
Quelques secondes plus tard, Cassandra apparaît dans l’encadrement de la porte.
Elle est splendide, comme toujours. Sa robe noire souligne sa silhouette avec une perfection irritante, et ses talons claquent sur le sol en marbre avec une assurance qui frôle l’insolence.
Je me lève, ajustant le revers de ma veste.
— Cassandra.
— Lucien.
Sa voix est aussi tranchante qu’un verre brisé.
Je lui fais signe de s’asseoir, mais elle reste debout, ses bras croisés sous sa poitrine.
— À quoi dois-je l’honneur ? demandé-je en m’adossant à mon bureau.
— Je vais aller droit au but.
Elle pose un dossier devant moi.
— Je sais que tu veux la Fondation Valmont.
Je hausse un sourcil et fais glisser le dossier vers moi sans l’ouvrir.
— Et ?
— Je ne vais pas te laisser faire.
Je souris.
— Cassandra…
Je me lève lentement, faisant le tour du bureau pour me placer face à elle.
— Ce n’est pas une bataille que tu peux gagner. Je possède déjà 40 % des actions de la Fondation. Avec un peu de patience, je l’aurai en entier.
Elle me fixe avec cette détermination froide que je connais trop bien.
— Tu crois que tout s’achète ?
Je souris en coin.
— Non. Mais presque tout se négocie.
Elle serre la mâchoire.
— Pas avec moi.
Je tends la main et effleure une mèche de ses cheveux, la replaçant derrière son oreille.
— Toi, tu es une exception. Mais même les reines doivent parfois s’agenouiller.
Elle ne recule pas, mais son regard devient brûlant.
— Je ne m’agenouille devant personne, Lucien. Surtout pas devant toi.
Un frisson d’excitation me parcourt.
— Alors, dis-moi, pourquoi es-tu là ?
Elle pose ses mains sur mon bureau et se penche légèrement en avant.
— Pour te prévenir. Si tu t’acharnes sur cette Fondation, je détruirai ton petit empire brique par brique.
Je ris doucement.
— Toujours aussi dramatique.
— Toujours aussi imprévisible.
Je l’observe un instant, puis attrape mon verre et en bois une gorgée.
— Très bien. Montre-moi ce que tu vaux, Cassandra. Prouve-moi que tu peux vraiment me faire tomber.
Elle recule enfin, son regard toujours ancré dans le mien.
— Ne me sous-estime pas, Lucien. Sinon, tu risques de le regretter.
Je souris lentement.
— J’attends de voir ça.
Elle tourne les talons et quitte la pièce, ses talons résonnant comme une déclaration de guerre.
Je repose mon verre, un sourire aux lèvres.
Cette partie vient de devenir encore plus intéressante.
Cassandra
Le restaurant privé de l’Hôtel Beaumont est baigné d’une lumière tamisée, créant une atmosphère feutrée où le murmure des conversations se mêle au tintement discret des couverts en argent. Ce soir, c’est un terrain de jeu, une scène où chaque sourire cache une intention, chaque regard, une stratégie.
J’entre dans la salle avec la certitude qu’ici, personne ne me domine.
Mon regard balaye la pièce et se pose immédiatement sur Lucien. Il est déjà installé, dos à la baie vitrée, un verre de scotch à la main. Son costume anthracite épouse parfaitement sa silhouette, et son expression est celle d’un homme qui possède déjà tout.
À l’opposé, Gabriel, toujours impeccable dans son trois-pièces sombre, discute avec un sénateur dont il a certainement déjà scellé le destin sans qu’il s’en rende compte. Il me voit entrer, et son sourire calculé s’élargit légèrement.
Et enfin, il y a Raphaël. Accoudé au bar, vêtu d’une chemise blanche légèrement déboutonnée et d’un pantalon en lin sombre, il est le seul à sembler hors de place. Pourtant, c’est lui qui attire les regards, même sans le vouloir.
Trois hommes. Trois forces. Trois dangers.
Je fais un pas, puis un autre, sentant les regards se tourner vers moi.
— Cassandra.
Gabriel s’est déjà levé pour m’accueillir, me prenant la main pour y déposer un baiser léger. Un geste d’un autre temps, mais il sait qu’il a un effet sur moi.
— Gabriel.
Je libère ma main en douceur et me tourne vers Lucien, qui ne s’est pas levé, mais dont le regard brûlant compense largement l’absence de geste.
— Tu es radieuse ce soir., dit-il d’un ton presque paresseux.
— Comme toujours., je rétorque, prenant place en face de lui.
Gabriel s’assoit à ma droite, et quelques instants plus tard, Raphaël nous rejoint sans qu’on l’invite. Il pose son verre sur la table et s’installe à ma gauche, sa présence à la fois provocante et troublante.
Le dîner commence.
Les premiers plats sont servis, un ballet parfaitement exécuté par le personnel. Mais ce qui se joue ce soir n’a rien à voir avec la gastronomie.
— Alors, Cassandra., commence Gabriel en posant élégamment son verre devant lui. À qui comptes-tu faire plaisir ce soir ?
Son sourire est tranchant, mais Lucien ne réagit pas. Il coupe simplement son steak avec une lenteur calculée.
— C’est une question bien présomptueuse., dis-je en prenant une gorgée de mon vin.
Raphaël, lui, éclate de rire.
— La question est plutôt : lequel d’entre nous pense sérieusement avoir une chance ?
Il nous regarde un à un avant de plonger son regard dans le mien.
— Tu es toujours douée pour jouer avec le feu, Cassandra. Mais un jour, il finira par te brûler.
Je tiens son regard, impassible.
— Et si c’était moi, le feu ?
Un silence s’installe, avant que Gabriel ne se penche légèrement vers moi.
— Si tu es le feu, alors nous sommes ceux qui tentons de t’éteindre… ou de te posséder.
Lucien pose enfin son couteau et son regard perçant glisse sur moi avec une lenteur calculée.
— Mais on sait tous que personne ne possède Cassandra Morel.
CassandraJe suis là, dans ses bras, mon corps encore brûlant des flammes de ce que nous venons de partager. Mon cœur bat encore la chamade, et chaque respiration que je prends semble chargée de ce qu’il m’a donné. De ce qu’il m’a arraché. J’ai toujours cru que je pouvais contrôler ma vie, que je pouvais choisir, que je pouvais fuir quand ça devenait trop intense. Mais lui, Raphaël, il m’a prouvé qu’il n’y a rien que je puisse faire pour empêcher ce qui s’éveille en moi. Ce désir brûlant, cette passion dévorante.Je me recule légèrement, me redressant dans le lit, observant son visage. Ses yeux, encore noyés de cette intensité que nous avons partagée, me regardent avec cette familiarité douce et pleine de promesses. Je veux l’éviter, fuir ce qui semble pourtant inéluctable, mais chaque parcelle de mon être me crie que je suis bien là où je devrais être. Avec lui. Pas seulement pour le moment, mais pour plus.Je caresse sa joue, mes doigts traçant les contours de son visage avec une do
RaphaëlJe la regarde, debout près de la fenêtre, les rayons du soleil effleurant sa peau. Elle semble presque irréelle, comme si le monde autour d’elle s’était suspendu, comme si tout prenait sens dès qu’elle était là, dans ma vie. Cassandra... Elle a ce don, sans même le savoir, de transformer chaque instant en quelque chose d’intense, d’important. Et pourtant, aujourd’hui, elle semble différente. Elle est calme, mais d’une manière que je n’ai jamais vue. Il y a une sorte de paix en elle, une décision qu’elle a prise sans retour possible.Je me permets de la regarder un peu plus longtemps, absorbé par la beauté de ce moment, par la simplicité de sa présence. Puis je la vois se tourner vers moi, son regard croisant le mien. Ses yeux sont pleins de promesses, mais aussi d'une fragilité que je ressens au plus profond de moi.« Bien dormi ? » J'essaie de briser le silence, de lui offrir une ouverture, quelque chose pour qu'elle se sente à l'aise. Sa réponse est une légère esquisse de so
CassandraLe vent souffle doucement à travers les rideaux ouverts, apportant avec lui un parfum de printemps qui flotte dans l’air. Il est presque tard, et le soleil se couche lentement, parant la pièce d’une lumière dorée. Mais dans mon esprit, il fait plus sombre qu’il ne l’a jamais été. J’ai repoussé ce moment trop longtemps, tenté de fuir cette vérité que je savais au fond de moi. Le temps m’a apporté une clarté nouvelle, mais aussi une décision lourde, une décision qui pèse sur mon cœur.Je regarde Raphaël. Il est là, à quelques pas de moi, attendant patiemment que je trouve les mots qui, je le sais, changeront tout. Il n’a pas cherché à me convaincre. Il m’a laissée choisir, et je l’ai observé, espérant trouver une raison de m’échapper de ce lien invisible qui m’attire pourtant vers lui. Mais chaque jour passé à ses côtés, chaque instant partagé, m’a convaincue que c’était lui. Lui qui m’avait donnée une autre chance. Lui qui, malgré tout, n’avait jamais cessé de croire en nous.
CassandraLe jour s’étire dans une lenteur que je peine à supporter. Mon esprit est encore agité par la dernière conversation avec Lucien, un écho de ses mots résonnant dans mon esprit. La souffrance de le voir partir, d’être celle qui a décidé de tout laisser derrière, me pèse comme un fardeau. Mais ce n’est pas le poids de la décision qui m’accable, c’est l’incertitude qui m’attend. Est-ce que j’ai fait le bon choix ? Est-ce que je pourrais vivre avec cette décision ?Je ferme les yeux, la chaleur du soleil effleurant ma peau, mais à l’intérieur, il y a une tempête. Une part de moi veut crier, briser tout ce que j’ai construit pour me libérer de cette douleur. Mais une autre part, plus calme, me dit de continuer, de ne pas regarder en arrière.Un bruit derrière moi me fait sursauter. Je me retourne, et je trouve Raphaël, debout dans l’encadrement de la porte, son regard posé sur moi avec une intensité que je ne peux ignorer.« Tout va bien ? » Sa voix est douce, mais il y a une inqu
CassandraJe suis frappée par la force de ses paroles. Un frisson me parcourt, mais je garde les yeux baissés, cherchant à rassembler mes pensées. C’est trop. Il me pousse dans mes retranchements, me forçant à faire un choix. Mais quel choix ?« Et si je te dis que je n’ai plus envie de choisir ? » La question m’échappe avant que je ne puisse la retenir. « Que je n’ai plus envie de jouer à ce jeu ? »Raphaël ne répond pas tout de suite. Il se tient là, silencieux, comme s’il pesait chaque mot avant de parler. Et puis, il s’avance un peu plus près, et cette fois, ses mains encadrent doucement mon visage, forçant mes yeux à se poser sur lui.« Alors fais-le pour toi. » Ses mots sont un souffle, presque une prière. « Ne choisis pas pour lui. Choisis pour toi. Parce que tu le mérites. »Les larmes montent sans que je puisse les retenir. Elles ne sont pas seulement de tristesse. Il y a de la colère, de la frustration, de l’impuissance. Et au milieu de tout cela, un désir inavoué. Un désir
CassandraJe me tourne brusquement. Raphaël. Sa silhouette se découpe dans l’encadrement de la porte, son regard perçant. Il me fixe intensément, presque à la manière d’un spectateur, comme si chaque émotion qui me traverse était une scène qu’il observait avec une curiosité non dissimulée.« Pourquoi es-tu là ? » Ma voix est plus froide que je ne le voudrais, mais je ne peux m’empêcher de le regarder, d’analyser son visage, ses traits, toujours aussi fascinants, mais aussi tellement complexes.« Parce que je sais que tu souffres. » Il s’avance lentement, chaque pas résonnant comme un défi. « Et parce que tu ne veux pas l’admettre. »« Je n’ai rien à te dire. »« C’est pour ça que tu me dis tout. » Il sourit légèrement, un sourire entendu. Il connaît bien mes mécanismes de défense, il sait que je lutte, que je me cache derrière des murs d’acier pour ne pas laisser mes émotions se déverser. Mais je n’ai pas envie de jouer à ce jeu. Pas ce soir.« Il est trop tard, Raphaël. »« Peut-être
CassandraLe vent souffle fort, comme si la ville elle-même voulait m’emporter, me tester, m’éprouver encore. Je n’ai pas l’habitude de cette solitude, pas après toutes les années passées à naviguer entre des hommes, des désirs, des ambitions. Mais aujourd’hui, ce vide est devenu un allié. Un vide que j’ai créé, un espace que j’ai ouvert pour moi seule. L’indépendance est un fardeau et une bénédiction, et pourtant, je m’y sens étonnamment bien.Je marche, presque sans but, mes pensées flottant entre ce que je suis devenue et ce que je pourrais encore être. Les décisions que j’ai prises se bousculent dans ma tête, se superposent à ce que j’ai ressenti avant. Il y a encore des échos de Gabriel dans mon esprit, des morceaux de Raphaël qui m’appellent, mais je les ignore. Je dois garder le cap, avancer, ne pas me laisser emporter par les vagues du passé.Mais, au détour d’une rue, je le vois. Lucien. Le visage marqué par les batailles, une lueur de colère froide dans ses yeux, mais aussi
CassandraJe me tais, le silence s’étire, et même à travers l'écran, je peux sentir son souffle lourd. Il sait ce que je veux dire, il le comprend, et, à ma grande surprise, je n'ai pas peur. Ni de la solitude, ni de l'avenir incertain. Parce que je sais que, même si cela me déchire, je choisis enfin de me libérer.« Je comprends, Cassandra. Je ne veux pas te forcer à choisir, mais sache que je serai là. Si jamais tu changes d'avis… »« Je n’ai pas à changer d’avis. C’est juste que je dois me retrouver d’abord. »J’entends la tristesse dans sa voix, mais aussi une forme de respect. Il sait que ce n’est pas la fin, même si c’est difficile.Je raccroche et laisse un dernier regard sur la fenêtre, l’obscurité de la nuit enveloppant ma silhouette. Une décision lourde, mais pleine de sens. J’ai choisi de ne pas me perdre dans une relation où je serais l’ombre de ce que je suis, à côté de l’autre. Ce ne sera pas Raphaël, ni Gabriel, ni un autre. Ce sera moi. Et c’est ainsi que je veux avanc
CassandraLes heures s’étirent après l’appel de Raphaël, mais une étrange sensation m'envahit. La paix n'est pas totale, mais elle est là, persistante, comme une lumière qui commence à percer les nuages sombres. Pourtant, mon esprit reste agité, les échos de ce passé, aussi douloureux soient-ils, résonnent encore en moi. Je sais que le chemin vers la guérison sera long, mais je ne peux plus attendre. Je ne veux plus.Je me lève du canapé, secouant les ténèbres de ma tête. Mes jambes se dirigent presque par instinct vers mon bureau, où des piles de papiers s’accumulent depuis trop longtemps. J'ai l’impression de fuir, de chercher à occuper mon esprit pour ne pas sombrer dans la mélancolie qui m’enveloppe. Mon regard se fixe sur le premier dossier que je prends, un projet sur lequel j'avais commencé à travailler avant que tout ne déraille. C'est une tâche simple, mais qui me demandait d’être présente, de me concentrer. Ce qui est exactement ce dont j'ai besoin.Je me plonge dans les chi