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Chapitre 2 – Les cicatrices invisibles

Author: L'invincible
last update Last Updated: 2025-05-07 22:39:58

Lior

Je la sens encore.

L’odeur de son shampoing, entre le jasmin et l’orage. Le frôlement involontaire de ses doigts sur ma peau. Ses yeux, clairs mais gardés. Maya. Elle porte son prénom comme un secret. Et moi, je porte mes ruines avec insolence.

Je remonte dans la voiture sans démarrer. Les phares de la rue trouent l’obscurité. Mon bras me brûle doucement, là où ses aiguilles ont percé la peau. Ce n’est pas la douleur du tatouage. C’est autre chose. Une marque plus profonde. Une empreinte invisible.

Elle m’a regardé comme on regarde un danger. Avec lucidité. Avec peur. Et peut-être aussi… avec cette attraction qu’on refuse de nommer. Celle qui naît dans le creux du ventre et fait battre le cœur plus fort que de raison.

Je n’avais pas prévu de pousser cette porte. Je devais juste passer, récupérer quelque chose, repartir. Et puis j’ai vu ses dessins. Précis, vivants, douloureux. Comme elle.

Alors j’ai improvisé.

Ce n’est pas mon genre, normalement. Je ne laisse pas de place à l’imprévu. Chaque geste, chaque mot est calculé. Mais avec elle, j’ai glissé. Volontairement. J’ai franchi une ligne.

Et j’ai aimé ça.

Je rentre chez moi.

Ou plutôt, dans cet appartement impersonnel qui me sert de planque, de plan de secours, de bunker mental. Il y fait froid, même quand le chauffage fonctionne. J’y dors peu. Je vis encore moins. Les murs sont blancs, sans âme. Le silence, pesant. L’absence, familière.

Je retire ma chemise. Devant le miroir, je regarde ce qu’elle a inscrit sur ma peau. Le dessin épouse la cicatrice, la transforme, la célèbre. Elle a compris. Sans poser de questions. Sans exiger de réponses.

C’est rare.

La plupart veulent savoir. D’où vient cette entaille trop nette pour être accidentelle. Pourquoi je veux la garder visible. Pourquoi je n’ai pas honte.

Je n’ai pas honte. J’ai juste la rage. Et une mémoire précise. Cette cicatrice, je la garde pour me rappeler ce que j’ai perdu. Qui j’étais. Qui j’ai dû devenir.

Je passe une main sur la peau, caresse le tatouage encore frais. Mes yeux se perdent dans les lignes, les ombrages. Son talent est indéniable. Mais ce qui me hante, c’est ce que j’ai ressenti pendant qu’elle le dessinait. Son souffle, retenu. Ses gestes, mesurés. Sa tension, palpable.

Elle lutte contre quelque chose. Peut-être contre elle-même. Peut-être contre moi. Et ça m’obsède.

Je devrais la laisser tranquille. Tirer un trait. Me convaincre que c’était un moment, rien de plus.

Mais je suis déjà trop loin.

Je veux la revoir. Je veux qu’elle me regarde encore comme ça — comme un homme qu’elle refuse de désirer, mais qu’elle ne peut pas ignorer.

Je veux creuser la faille que j’ai perçue derrière ses murs.

Le lendemain.

Je suis devant le studio avant même son heure d’ouverture. Je reste dans la voiture, les vitres teintées me dissimulent. Les gens passent, pressés, indifférents. Mais moi, je guette.

Elle arrive. Capuche sur la tête, sac en bandoulière, pas rapide. Elle ne regarde personne. Maya. Même de loin, elle vibre. Elle dégage cette énergie brute, ce feu qu’elle tente d’étouffer.

Elle ouvre la grille, entre. Allume. Je vois les lumières danser derrière la vitrine.

Je sors. Traverse la rue. Pousse la porte.

Elle sursaute. Ses mains, déjà gantées, se figent. Elle me reconnaît. Bien sûr qu’elle me reconnaît.

— Vous êtes en avance, dis-je simplement.

— Et vous êtes censé attendre un rendez-vous.

Sa voix est sèche. Mais ses yeux me trahissent. Elle n’a pas dormi non plus. Je parie qu’elle a repensé à moi. À ce qu’on n’a pas dit. À ce qu’on n’a pas fait.

— J’ai réfléchi. J’en veux un deuxième.

Elle fronce les sourcils.

— Vous avez fait ça hier.

— J’ai beaucoup de cicatrices.

Silence. Elle me jauge. Elle plisse légèrement les yeux, comme si elle essayait de comprendre mes intentions, de mesurer le degré de danger ou d’attirance. Ses lèvres s’ouvrent à peine, mais rien ne sort.

Je m’avance, sans la toucher. Je pose juste mon avant-bras sur la table stérile.

— Je veux que ce soit vous, encore.

— Pourquoi ?

Je la fixe. Elle le mérite, une vérité.

— Parce que vous ne posez pas de questions.

Elle hoche lentement la tête. Puis elle prépare son matériel. Ses gestes sont précis, méthodiques. Mais elle évite mon regard. Elle a peur de ce qu’elle pourrait y lire. Ou de ce que je pourrais voir en elle.

Cette fois, le dessin est plus grand. Sur la poitrine, juste au-dessus du cœur. Une zone intime. Une provocation.

Je retire ma chemise sans pudeur. Elle déglutit. Elle veut cacher son trouble. Elle échoue.

— Vous êtes toujours aussi direct ? demande-t-elle, un peu plus bas.

— Seulement quand j’ai envie de quelque chose.

Elle ne répond pas. Mais son silence en dit long. Elle sent le danger. Elle sent l’appel. Elle sent que tout peut basculer.

Quand elle commence, le contact de ses mains est un supplice délicieux. Chaque aiguille, chaque pression, me connecte un peu plus à elle. Elle ne parle pas. Mais son corps trahit tout. Sa respiration haletante. Son front qui perle. Ses doigts qui tremblent légèrement.

Je ferme les yeux. Et je me laisse aller.

Les murs du studio se dissolvent. Il n’y a plus que sa peau frôlant la mienne par accident, sa voix qui me frôle sans se poser. Je pourrais croire qu’elle me tatoue la peau, mais en vérité, c’est mon esprit qu’elle marque.

Un tatouage peut être un aveu silencieux.

Le sien aussi, bientôt.

Et je compte bien être celui qui le fera parler.

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