Tous les chapitres de : Chapitre 21 - Chapitre 30

TESSAMon téléphone vibra au moment où je rangeais mes stylos par couleur. L’écran afficha Hugo. Je soupirai d’avance.— Oui ?— Tessa ? Je fais vite. Je peux pas descendre le week-end prochain, mais… Marc monte à Paris aujourd’hui. Je lui ai filé tes sacs.Je me redressai si vite que mon oreiller tomba par terre.— Tu as donné mes affaires à Marc ?— Il m’a dit qu’il passait dans ton quartier. C’était pratique, non ?Je pinçai l’arête de mon nez. Pratique, oui. Comme inviter un incendie pour rallumer des bougies.— T’aurais pu m’appeler avant.— Je pensais bien faire, Tess’…Je n’avais plus la patience pour “bien faire”.— Donne-lui pas mon étage. Je descends le récupérer en bas, point.— Trop tard… Il m’a écrit. Il y est déjà.Je restai un instant immobile, le cœur cognant dans ma gorge. Marc, ici. Dans mon périmètre. Je raccrochai d’un geste sec, enfilai mes baskets, attrapai mes clés. En sortant, j’entendis un rire étouffé depuis le salon, puis la voix de Noah — sourde, amusée. Je

TESSADans l’appartement, l’air me parut trop froid pour la chaleur qui montait en moi. Mes joues brûlaient encore du face-à-face, mais en franchissant le seuil de ma chambre, j’eus l’impression de tomber dans un frigo. Je filai droit sur mon lit, comme si les murs pouvaient m’avaler et m’épargner le reste.Béatrice resta un instant sur le pas de la porte, hésitante. Je voyais son ombre bouger dans l’encadrement.— Tu veux un verre d’eau ? demanda-t-elle doucement.— Non, merci.— T’es sûre ?— Oui.Elle hocha la tête, mais ne bougea pas. Elle attendait peut-être que je craque, que je lui confie quelque chose. Mais je n’avais rien à donner. Rien qui ne me paraissait pas déjà sale, tordu. Finalement, ses pas reculèrent. Le parquet grinça, un bruit de clés tinta. On entendit la porte d’entrée s’ouvrir, puis se refermer.Noah.— C’est réglé, dit-il seulement, de l’autre côté de ma porte. Il a compris.Je fermai les yeux. Compris. Ce mot sonnait faux. Marc ne comprenait rien. Marc ne lâch

TESSAJe restai un long moment immobile dans le couloir, mon oreille tendue vers le salon. Les voix me parvenaient, étouffées par le mur :— Elle va pas venir, dit Noah.— Tais-toi, répondit Béatrice. Laisse-lui le temps.Je pris une grande inspiration. Mon estomac me tiraillait malgré la boule coincée dedans. L’odeur de pizza, lourde, grasse, flottait dans l’air et me donnait envie de fuir autant qu’elle me ramenait à table. J’avais beau lutter, mon corps me trahissait. J’avais faim. Et je savais qu’au moindre signe de faiblesse, Noah verrait tout.Je poussai la porte et entrai. Béatrice eut un grand sourire, presque triomphant, comme si elle avait gagné un pari.— Ah, te voilà ! J’ai gardé une margherita pour toi.Je hochai vaguement la tête et m’assis à l’extrémité du canapé, le plus loin possible. Le carton ouvert laissait s’échapper une vapeur de fromage fondu et d’origan. J’avalai ma salive, malgré moi.Noah ne leva même pas la tête. Il coupa sa part de pizza en deux, lentement,

TessaJe refermai la porte derrière moi et restai un moment adossée au bois. Le couloir s’était tu, comme si l’appartement retenait son souffle. On était samedi midi, l’heure où rien n’est pressé, sauf mon cœur. Lundi paraissait à la fois trop près et trop loin : quarante-huit heures à ruminer, c’était l’éternité.Je traversai la chambre et ouvris la fenêtre. L’air chaud monta comme une vague lourde, chargé d’odeur de goudron et de baguette. En bas, une trottinette couina, quelqu’un rit, quelqu’un jura. Paris continuait sa vie. Moi, je me sentais à l’arrêt.Je rallumai l’ordinateur. L’écran s’alluma sur nous deux — moi et Marc — collés l’un à l’autre sur une plage ridicule, soleil couchant, filtres, mensonges. Un courant glacé me remonta la colonne. Pourquoi t’as laissé ça là ? Clic droit. “Supprimer”. L’icône disparut. Un petit bruit sec, comme un os qu’on casse. Rien qu’un fichier, mais j’eus l’impression d’avoir arraché une écharde.Je m’assis, genoux serrés sous le bureau, doigts

NOAHLe soleil attaquait le dos des immeubles en face, découpé en rectangles oranges sur mon mur comme des brûlures. L’air vibrait, saturé de chaleur. Béa s’était étalée sur le canapé, pieds nus, vernis à moitié écaillé, robe légère qui froissait sous ses mouvements, téléphone collé à la main comme une extension de son corps. Elle scrollait sans fin, un pouce mécanique, commentait à mi-voix des bribes d’articles ou de photos, refaisait son chignon d’une main distraite, re-scrollait encore. Elle avait cette énergie de fin d’après-midi qui me fatiguait rien qu’à la regarder. Moi, j’étais dans le fauteuil, bière entamée qui avait déjà perdu sa fraîcheur, cerveau en pilote automatique. Le métal de la capsule trainait sur la table basse, souvenir du seul geste un peu vivant que j’avais eu depuis une heure.— Tu fais la gueule ? demanda-t-elle sans lever les yeux, son ton oscillant entre fausse douceur et vraie irritation.— Non.— Si.— Juste fatigué.— T’es sûr ?Je haussai les épaules, g