CASSANDRAIl dort encore.Je l’observe depuis le seuil, les bras croisés, le cœur lourd.Ilan. Dix-huit ans, et déjà le poids d’un empire sur les épaules. Des épaules trop fines, trop tendues pour un fardeau pareil.Ses traits sont tirés, même dans le sommeil. Un sommeil sans paix. Je le vois aux tremblements légers, aux sursauts.Il lutte. Même dans ses rêves.Je m’approche. Ajuste la couverture sur lui. Puis je me redresse, droite, le regard dur.Ils ne me le prendront pas.Pas tant que je suis là.Je suis sa tutrice légale depuis la mort de sa mère. Un choix que beaucoup n’ont jamais compris. Ni Ezra. Ni Mélina. Ni Cédric.Mais moi, je n’ai jamais oublié ce que je lui ai promis. Ce que je lui dois.Et aujourd’hui, ils viennent pour lui.Dans le salon, mon téléphone vibre. Un numéro connu. Je réponds sans mot, seulement un souffle.— Cassandra, dit la voix grave d’Ezra. On n’a plus beaucoup de temps.— Je sais.— Ils vont tenter de te faire sauter. D’attaquer ta légitimité. Ils ont
ILANLe jour s’est levé, sans éclat, sans chaleur.Je me tiens devant la baie vitrée, immobile, les épaules tendues comme une corde prête à rompre. La ville s’étire devant moi, gris acier, cruelle dans son indifférence. Personne ne sait ce qui se joue ici. Ce qu’on veut m’arracher.Je serre la tasse entre mes mains tremblantes, mais le café a refroidi. Comme moi. Comme tout ce qui m'entoure.Ils avancent leurs pions. Je le sens. Je le vois. Même si personne ne parle. Même si les regards se détournent. Quelque chose s'effondre. Et ce quelque chose, c'est moi.— Pourquoi maintenant ? Pourquoi eux ?Ma voix est un murmure, perdu dans la pièce vide.Mon téléphone vibre. Encore. Je n’ai pas envie de lire. Pas envie de voir ce que la presse dit, ce que les actionnaires pensent. Pourtant je déverrouille l’écran.« Crise de gouvernance : un empire sans capitaine ? »Le titre claque comme une gifle.Ils ont commencé. Les rumeurs. Les fuites. La campagne de sape. Ils me veulent faible. Illégiti
Dans l’obscurité feutrée d’un bureau cossu, loin des regards et des espoirs fragiles qui s’accrochent au jour, une réunion clandestine se tient. La lumière tamisée projette sur les murs des ombres dansantes, reflet trouble des intentions cachées qui s’y trament. L’air est chargé de cette atmosphère lourde, presque palpable, où chaque silence pèse comme un serment scellé, où chaque souffle semble calculé, mesuré, destiné à ne rien laisser au hasard.— CÉDRICL’homme au regard froid, impeccablement vêtu, fait claquer son stylo sur la table en acajou massif, un bruit sec qui tranche le silence comme un coup de fouet invisible. Son visage est fermé, lisse comme un masque sculpté dans le marbre, mais ses yeux trahissent une ambition dévorante, une faim insatiable qui ne connaîtra pas de repos tant que son dessein ne sera pas accompli.— L’enfant est notre clérépète-t-il d’une voix basse, mesurée, presque hypnotique, un mantra destiné à convaincre autant qu’à ordonner— Ce patrimoine ne pe
NOAHLe souffle me manque comme si l’air lui-même refusait de circuler, se faisait lourd, presque tangible. Autour de nous, le danger n’est plus une menace lointaine, il s’est incarné, pesant, palpable, prêt à nous écraser sous son poids invisible. Mon cœur tambourine si fort dans ma poitrine que j’ai l’impression qu’il va éclater, que chaque battement résonne dans mes tempes comme un coup de tonnerre sourd. Ils sont là, tout près, plus proches que je ne le croyais, comme une ombre vorace qui rôde à la limite de notre peau, à la frontière de nos âmes.Je tourne la tête vers Ilan son visage juvénile est marqué par une peur brute, celle qu’on ne devrait jamais voir dans les yeux d’un garçon si jeune. Ses yeux cherchent désespérément les miens, comme s’il espérait y trouver un refuge, une force, un espoir qui lui manque. Ses doigts tremblants s’accrochent à ma main un geste à la fois fragile et urgent, un appel silencieux qui me serre le cœur et me fait vaciller. Je voudrais lui promettr
CASSANDRALe silence s’est alourdi, s’est épaissi jusqu’à devenir presque palpable, comme un voile dense et oppressant étouffant chaque respiration, chaque murmure fragile.La lumière qui filtrait à travers les fenêtres semblait soudain hésiter, vaciller, comme si le jour lui-même s’était figé, suspendu à un souffle incertain.Le temps s’était ralenti, prêt à basculer dans un gouffre invisible et insondable.Ilan, blotti contre Noah, serrait ses doigts avec une force désespérée, comme pour s’ancrer à quelque chose de réel au milieu de ce chaos latent.Ses petits doigts se crispèrent sur la main de Noah, cherchant une stabilité, un refuge contre la tempête qui grondait au-delà des murs.Ezra, figé sur le seuil du salon, paraissait figé dans une attente tendue, le regard absent et fuyant, mais tout son corps trahissait une tension extrême, tendu comme un arc prêt à lâcher sa flèche mortelle.Je savais que je devais demeurer solide, immobile, tel un pilier au milieu de la tourmente.Pour
NOAHLe bateau est un assemblage précaire de brindilles, de ficelles fatiguées et de ruban adhésif jauni.Il tient à peine, mais dans le regard d’Ilan, il prend la valeur d’un vaisseau d’expédition, prêt à affronter les plus vastes océans.— Il flotte, déclare-t-il d’une voix tranquille, presque solennelle. Pas longtemps. Mais un peu.Nous sommes tous deux agenouillés au bord de la baignoire, dont l’eau a été tirée à moitié.Autour de nous, les murs conservent les traces d’un autre temps : éclaboussures de peinture séchée, éclats de bleu écaillé sur les carreaux, et sur une étagère brinquebalante, une armée silencieuse de jouets éclopés.Tout respire l’enfance cabossée, l’imagination comme refuge.Je le regarde, lui. Ce petit être au dos droit, à la mâchoire trop fermée pour son âge.Il a la gravité de ceux qui ont vu l’ombre avant la lumière.— Tu l’as construit seul ?Il hoche la tête, sans détourner les yeux de son esquif.— Clara m’a donné les élastiques. Cassandra, les cartons. L