CamilleAssise sur une chaise dans l’église, je lisse ma jupe sur mes genoux. Solveig n’est pas venue. Elle était trop mal à l’aise à cause de la rupture. Nous avons eu beau lui répéter qu’elle avait toute sa place, elle a refusé. Elise sanglote à ma gauche. Pierre est raide comme un piquet à ma droite. Je me penche en avant pour jeter un œil à Simon. Il regarde fixement devant lui, la mâchoire serrée et je n’arrive pas à voir Baptiste qui est à l’autre bout du rang.Le prêtre déblatère tout un tas de conneries que le principal intéressé n’aurait pas franchement apprécié, mais dont les parents ont besoin. Je déteste les églises, et ne parlons pas des hommages funèbres. Entendre le murmure des gens qui commentent l’enterrement de quelqu’un qu’ils ne connaissaient même pas, le placement du produit « Dieu » toutes les cinq minutes alors que nous sommes là pour dire adieu à quelqu’un qu’on aime. Et puis la réverbération fait que je ne comprends pas la moitié de ce qui est dit
SimonUne semaine que je peins sans relâche, la nuit. Le jour, je dors. Je suis complètement décalé, fracassé.J’allume une cigarette et m’affale dans l’unique fauteuil de la pièce qui me sert d’atelier. La lune est haute, c’est une belle nuit. Une belle nuit qu’Erwann ne verra jamais.Je me suis toujours dit que c’était une sacrée connerie, les éloges funèbres. Quand quelqu’un meurt, on ne se souvient que du bon. Il a dû en faire, des erreurs – je l’espère pour lui. C’est comme ça qu’on se construit, il paraît. En apprenant de ses erreurs. On les enregistre, on se les note dans un coin de notre tête pour ne pas recommencer. Je me demande si ce soir du 11 février en est une. Et si c’est le cas, pourquoi n’ai-je donc en tête que l’envie de l’appeler, la voir, la toucher à nouveau? Mes doigts glissent sur le cuir vieilli de l’accoudoir. Depuis que je vis ici, combien d’heures ai-je passées dans cette pièce? Sûrement plus que dans mon lit. Les murs qui éta
CamilleJe laisse Damien, l’inspecteur que je suis pour mon reportage, devant le commissariat et rentre à l’appartement. Il est bien gentil, un peu lourdingue. Il a un problème de vue, il confond systématiquement mes yeux avec mes seins. Pourtant on ne peut pas dire que j’ai été grandement dotée par la nature de ce côté-là. Pierre est en déplacement et ça m’arrange bien. Pas envie de faire des efforts. Puis les journées sur le terrain, ça vous flanque le moral à zéro.L’être humain est étonnant. Un animal n’est pas capable d’aller aussi loin. Les prédateurs mangent les proies, point. D’accord, le chat joue avec la souris avant de la mettre à mort. Mais un chat ne va pas aller filer des croquettes à un chien pour qu’il accepte de lui attraper une souris. Et un autre chat n’ira pas payer le double de croquettes au dit-chien pour qu’il lui amène la tête de la souris sur une pique. Même moi je me perds dans ma comparaison. L’être humain est pervers, c’est tout. Point à la lig
BaptisteIl y a deux matins, entre le moment où j’ai mis mon sucre dans mon café et celui où j’ai enfoncé ma cuillère dans le liquide noir. J’ai décidé que j’avais envie de tenter ma chance auprès de Kristin.J’avais mal à la tête du fait d’avoir trop consommé d’alcool la veille au soir pour m’anesthésier. Idiotie ! Si ça fout mal à la tête, pourquoi dit-on que ça anesthésie ?Je lui ai envoyé un SMS, puis j’ai bu mon café. Quand je l’ai eu fini, la réponse n’était toujours pas arrivée, donc j’en ai avalé un deuxième.Toujours pas. C’est là que j’ai recommencé à travailler. Dans la matinée, je suis venu à bout d’un dossier. Cela faisait deux semaines qu’il regardait fièrement le plafond.À la suite de quoi j’ai attrapé mon téléphone et cette fois-ci, elle m’a répondu.Ce qui me conduit à ce soir, où je traverse la ville sur mon trente-et-un. J’ai fait dans le kitsch, j’ai été acheter une rose chez le fleuriste du coin.Ce premier rendez-
SolveigObjet: RestaurantÇa te dit ce soir ?S.Je me suis enfin décidée. Après tout pourquoi pas ? Qu’est-ce que je risque de plus ? La vie m’a déjà bousillée, et à plusieurs reprises. Si je reste sur mes gardes, ça peut le faire. J’avoue que nos discussions sont une bouffée d’air frais. Je ne sais pas si je pourrais m’en passer à présent et j’ai un peu honte de me l’avouer. J’en plaisante avec lui. Il a pris beaucoup de place, envahit mes pensées. C’est assez incompréhensible puisque ce n’est pas une rencontre réelle. Je réalise que peu importe le fait qu’elle soit virtuelle ou non, nous sommes et restons des êtres humains. Sa présence quotidienne, c’est comme si nous nous voyions tous les jours.Objet: Soirée.C’est vrai ? Tu m’accordes enfin audience ?E.Objet: AudienceJ’ai envie de te voir et je suis dispo… si tu veux.SolveigObjet: HésitationJe ne sais pas trop…
SolveigTant pis pour lui. Il est passé à côté de la rencontre du siècle.Cela m’arrive souvent de me mentir à moi-même. Je me raconte des trucs que j’aimerais vrais. Je me les répète plusieurs fois d’affilée, jusqu’à ce que j’arrive à me persuader que c’est la réalité. Dans le cas présent, dans le but d’essayer d’oublier le sentiment désagréable que ce faux plan me laisse. Comme pas mal de gens qui ont eu leur part de crasse quand ils étaient gosses, qui ne se sont pas assez sentis aimés, ce genre de situation engendre une réaction de ma part plutôt disproportionnée. Je le vis mal. Je me sens rejetée, pas assez bien et j’en passe. J’enclenche un cercle de pensées dégueulasses qui n’ont aucun intérêt, sinon celui de me blesser encore plus que la situation de base s’en était chargé.Pour contrer cela, je me mens donc.Au petit déjeuner, en me brossant les dents, en contrôlant mes comptes, en commandant une robe sur internet.Et s’il lui était arrivé qu
SolveigLe ciel est teinté de rouge et de gris. Je ne suis pas du genre à voir des présages dans ce qui m’entoure. On ne me verra jamais fuir un chat noir ou céder à n’importe quelle superstition. Mais en observant le ciel ce matin, je suis plus inquiète. Comme s’il captait une certaine gravité à la situation actuelle.Je me suis réveillée tôt, la main sur mon portable. Mais qu’est-ce que je croyais ? Que Kristin était allée au travail de son frère dans la nuit ?J’ai fait un cauchemar. Un homme sans tête habillé d’une chemise noire et d’un jean que mon esprit appelait Erick était en colère, perdu. Il tenait dans sa main un carnet que je reconnais à présent au premier coup d’œil.Je décide d’aller me balader dans le parc. Il est immense et abrite une petite forêt avec un parcours de santé. Le week-end, lorsqu’il fait beau, il grouille de vie, d’enfants qui jouent, de joggeurs et j’en passe. La semaine, j’y trouve le calme. J’en profite pour écouter de la mus
SolveigNous n’avons pas de nouvelles d’Erick depuis deux jours. Je cherche à comprendre, je relis inlassablement nos derniers messages en quête d’un indice qui m’explique son silence. Je n’ai rien vu venir. Son absence occupe toutes mes pensées. Malgré cela, je n’ose pas lui écrire. S’il avait voulu, il l’aurait fait. Il a écrit à Kristin. Pas à moi.Ces deux mois passés à échanger ne peuvent pas être qu’un mirage. Peut-être que si, en fait. Je peux être effacée de sa vie à coups d’appuis sur une flèche de clavier.Baptiste, quant à lui, est là. D’ailleurs c’est par son biais que je sais que Kristin n’a pas eu davantage de nouvelles.On dirait qu’il est plus prudent avec elle qu’avec les autres femmes. Celles qui le ramenaient chez elles. Je me demande si elle peut lui faire oublier Elise. Il a cette lueur dans le regard quand il parle d’elle, son corps s’anime, un sourire vient se nicher au coin de ses lèvres. C’est bon de le voir comme ça. Et alors que je