Alma s’enfonça dans la forêt, laissant derrière elle la tanière et les regards brûlants de la meute. Chaque pas l’éloignait de ce qu’on attendait d’elle, chaque souffle lui semblait plus profond, plus libre. Ici, au cœur de la nature silencieuse, elle pouvait enfin respirer sans sentir le poids des attentes écrasées sur ses épaules.
Elle ne savait pas exactement pourquoi elle fuyait ce matin-là, mais elle savait une chose : elle ne voulait pas entendre les ordres, ni les leçons, ni les rappels incessants qu’elle devait être forte, digne, impitoyable.
Elle s’installa sous un chêne noueux, le regard levé vers le ciel filtré par les feuilles épaisses. Dans cet instant suspendu, une pensée obsédante lui revint.
Pourquoi avait-elle toujours ressenti ce vide au fond d’elle? Pourquoi son père esquivait-il ses questions sur sa mère?
Comme si cette vérité, ce secret, était ce qui la définissait bien plus que son héritage de Luna.
Pendant ce temps, à l’autre bout de la forêt, Ramba parcourait les ateliers de formation des jeunes loups. Il observait sans un mot les apprentis affiner leur instinct de chasse, tester leur force, obéir aux ordres sans poser de questions. C’était ainsi que la meute devait fonctionner.
C’était ainsi qu’Alma aurait dû fonctionner.
Mais elle était différente.
Alors qu’il se tenait là, droit et immobile, une ombre glissa derrière lui sans bruit.
Sylvara.
Son pas était fluide, calculé, et lorsqu’elle parla, ce ne fut qu’un souffle, mais un souffle chargé de menace.
— Tu n’as pas intérêt à ce que ton secret soit découvert.
Ramba resta figé sur place.
Il sentit sa mâchoire se serrer malgré lui, et son souffle se bloqua un instant dans sa gorge.
Il n’avait jamais eu peur des combats, jamais redouté un adversaire. Mais les mots de Sylvara portaient une vérité qu’il ne pouvait nier.
Il avait commis l’irréparable.
Et si Alma apprenait ce qu’il avait fait…
Tout pourrait s’effondrer.
L’avenir de la meute, son rôle d’Alpha, et surtout, le lien fragile qu’il maintenait encore avec sa fille.
Il inspira lentement, cherchant à retrouver son calme, mais dans son esprit, la menace résonnait encore.
Son secret ne devait jamais voir le jour. Jamais.
Ramba se tourna brusquement vers Sylvara, son souffle saccadé, son regard brûlant d’une rage incontrôlée. Ses muscles tendus sous sa fourrure sombre témoignaient de l’effort qu’il faisait pour contenir ce qu’il ne pouvait dire.
— Tais-toi ! rugit-il, sa voix résonnant dans l’air comme un coup de tonnerre. Tu n’as pas le droit de ramener le passé !
Mais Sylvara ne recula pas.
Ses yeux pâles, empreints d’une sagesse bien trop ancienne pour être ignorée, scrutèrent l’Alpha sans flancher. Elle était la seule à pouvoir lui tenir tête, la seule à oser parler de ce qu’il avait enterré.
— Alma est comme elle est parce qu’elle ne vient pas entièrement d’ici, murmura-t-elle. Une partie d’elle appartient à un monde que tu as voulu effacer.
La phrase frappa Ramba comme une lame invisible.
Son corps se raidit, son souffle se bloqua une fraction de seconde avant que la colère ne prenne entièrement possession de lui.
Il hurla, un cri qui fit vibrer la terre sous leurs pattes, un avertissement brutal qui traversa la tanière et se répandit à travers la clairière.
Tous les regards se tournèrent vers eux.
Les jeunes loups interrompirent leur entraînement, les anciens relevèrent la tête, attentifs. Même Kaelen, impassible jusqu’alors, fixa la scène avec un intérêt nouveau.
Ramba savait qu’il venait de perdre le contrôle, qu’il s’était laissé emporter, qu’il avait donné à Sylvara exactement ce qu’elle voulait : un signe que ce qu’elle disait était vrai.
Mais il n’était pas prêt à l’admettre.
Sylvara, elle, ne resta pas plus longtemps.
Dans un mouvement lent mais assuré, elle tourna les talons, laissant derrière elle une dernière phrase qui résonna dans l’air comme une malédiction.
— Le passé est sur le point de resurgir.
Puis elle disparut dans l’ombre.
Ramba resta là, figé.
Il le savait. Il l’avait toujours su. Mais entendre ces mots à voix haute, devant la meute, devant les anciens, était une chose qu’il n’était pas prêt à affronter.
Tout ce qu’il avait cherché à protéger risquait de s’effondrer.
Et il n’y avait plus aucun moyen de reculer.
Le souffle court, le cœur battant encore sous l’effort, Alma s’arrêta brusquement en apercevant son père, figé au centre du cercle formé par les anciens. L’écho de son hurlement vibrait encore dans l’air, une ombre pesante qui semblait imprégner la terre elle-même.
Elle s’approcha, tentant d’ignorer les regards braqués sur elle, cherchant à comprendre l’origine de cette tension brutale qui déchirait la tanière.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle, sa voix légèrement tremblante sous l’intensité du moment.
Ramba pivota lentement vers elle, son regard brûlant d’une rage qu’elle ne comprenait pas entièrement. Son pelage sombre était hérissé, signe que son cœur battait encore sous l’emprise de l’émotion.
— Écoute-moi bien, gronda-t-il, son ton tranchant comme une lame. Tu as intérêt à réussir cette mission.
Alma plissa les yeux, troublée par la sévérité de son père.
— Je le sais. Mais pourquoi…
Il coupa brutalement sa phrase, avançant vers elle d’un pas lourd et imposant.
— Si tu échoues, tu seras bannie de la meute Keibster. À tout jamais.
Les mots se brisèrent contre elle comme une sentence.
Bannie. Exclue. Renvoyée dans un monde qui n’était pas le sien sans possibilité de retour.
Les anciens n’eurent aucune réaction visible, mais Alma savait qu’ils soutenaient cette menace tacite. Ils la surveillaient, attendaient de voir si elle était digne, ou si elle serait rejetée comme une anomalie incapable de régner.
Elle sentit sa respiration s’accélérer, son corps lutter contre le poids de cette vérité.
Elle n’avait jamais eu réellement le choix.
Mais maintenant, elle comprenait qu’il ne s’agissait pas seulement de prouver sa
force.
Il s’agissait de survivre.
Et elle se demanda, pour la première fois, si elle en était capable.
Ezra bondit sur son lit après avoir raccroché, le téléphone encore chaud dans sa main. Il s’allongea sur le dos, les bras écartés, les yeux fixés au plafond comme s’il espérait y lire une réponse. Son souffle était rapide, agité, et ses pensées débordaient de questions sans fin.– Où est-ce que t’es passée, Alma… murmura-t-il, la voix pleine d’inquiétude. Tu peux pas juste disparaître comme ça.Il se redressa brusquement, s’assit au bord du lit, les coudes sur les genoux.– J’te jure… j’te jure que je donnerais tout pour te retrouver. Tout.Sous le lit, Alma tressaillit. Chaque mot d’Ezra résonnait dans sa poitrine comme une caresse douloureuse. Elle voulait lui répondre. Lui dire qu’elle était là, juste là, à quelques centimètres de lui. Mais la peur la clouait. Et si sa présence le mettait en danger ? Et s’il ne comprenait pas ? Et s’il la rejetait ?Elle serra les dents, ferma les yeux. Son corps était recroquevillé, son souffle court. L’espace sous le lit devenait de plus en plus
Gracia sentit son pouls s'accélérer. La vision l'avait laissée bouleversée, mais ce n'était pas la peur qui l'agitait — c'était l'urgence. Quelque chose en Kaelen, dans son regard glacé et sa présence menaçante, l'avait prévenue : Alma courait un danger qu’elle seule pouvait comprendre. Et même si elle l'avait ignoré, au fond, elle ne voulait pas la mettre en danger. Elle l'aimait comme une mère aime sa fille. Elle ne pouvait pas le cacher. Ses mains tremblaient légèrement lorsqu’elle tira doucement le téléphone d’Ethan de la poche de sa veste, posée sur le muret. Elle l’ouvrit rapidement, parcourant les contacts jusqu’à trouver celui d’Alma. Elle tapa sans perdre de temps.''Quelqu’un est venu. Je crois qu’il te cherche. Fais attention.''Elle appuya sur envoyer. À peine le message partit que la porte arrière s’ouvrit.Ethan apparut sur le seuil, une pomme à moitié croquée dans la main, les sourcils froncés.– Qu’est-ce que tu fais avec mon téléphone ? Rends le moi maman. Tu abuses
Alma resta longtemps immobile, seule avec l’écho des paroles de Gracia qui continuaient à tourbillonner dans son esprit. La grotte semblait figée dans le temps, mais en elle, tout bouillonnait. Chaque mot prononcé revenait avec le poids de ce qu’elle voulait croire, ce qu’elle avait déjà cru, et ce qu’on tentait de lui arracher.Ses doigts tremblaient encore autour du cristal. Ce n’était pas la peur, ni la colère. C’était cette tension intérieure, ce conflit entre ce qu’on lui disait et ce qu’elle ressentait profondément. Elle ne savait plus si elle doutait des mots de Gracia ou de sa propre intuition.Il y avait une fatigue sourde dans son corps, comme si la certitude qu’elle avait chérie s’était effondrée, et qu’elle se tenait désormais dans les décombres. Pourtant, elle ne pouvait renoncer. Ethan n’avait peut-être pas le sang royal, mais il avait quelque chose de plus rare — une force qui ne se prouvait pas par les lignées mais par les choix, les silences, les regards portés quand
Alma ne recula pas. Elle observait chaque réaction, chaque frémissement dans les yeux de cette femme. Elle y lut quelque chose qui ne pouvait pas être feint. Une onde de choc, profonde, viscérale. — Il est mort il y a deux hivers, dit Alma d’une voix plus douce. Dans un affrontement contre Kaelen. même si les autres pensent que c'était une mort naturelle d'un combat contre les humains. moi je sais que c'est kaelen. C’est ce qui a scellé la prise du trône. Et ce pourquoi je suis ici. En fuite. Le souffle de Gracia se coupa net. Elle posa une main contre sa bouche, ses yeux brillants, son esprit submergé par les souvenirs qui remontaient d’un puits qu’elle avait scellé depuis trop longtemps. Et dans cet instant suspendu, au cœur de la grotte endormie, quelque chose se fissura. Un pan du passé. Une faille dans le silence. Gracia tomba sur ses genoux. Ses mains heurtèrent le sol de la grotte avec un bruit sourd. Ses doigts s’écrasèrent contre la terre encore froide. Elle ne pleurait
Et dans le silence qui suivit, le passé frappa doucement à sa porte. Au moment où la ligne coupa, Gracia resta immobile, le téléphone encore pressé contre son oreille. Son cœur battait plus vite qu’elle ne voulait l’admettre. Cette voix… elle avait quelque chose de familier et d’oublié. Quelque chose d’ancré dans un passé qu’elle avait tenté d’effacer. Elle reprit son souffle et tapa rapidement un message de réponse, se faisant passer pour Ethan. Les mots étaient simples, courts, maîtrisés : « Je ne peux pas parler. Ma mère est endormie pas loin. On se retrouve à l’endroit habituel. Je viendrai avec ce qu’il faut. » Puis elle localisa le point d’émission de l’appel — un signal triangulé en bordure du parc forestier, juste derrière le musée. Là où se trouvait cette fameuse grotte. Elle resta assise un moment, dans la pénombre de son bureau, les doigts crispés sur le bois du bureau. Elle savait ce qu’elle allait faire. Pour avoir aimé un loup autrefois, elle connaissait leur regard.
Ethan regarda profondément sa mère, le souffle court, les yeux noyés d’émotions contradictoires. Puis, d’une voix retenue, presque fragile, il demanda : — Il s’agissait d’un frère… ou d’une sœur ? Gracia détourna les yeux. Son regard se posa sur la table en bois, usée par les années, puis glissa jusqu’à la fenêtre où dansaient encore les ombres de la nuit. Elle sembla chercher ses mots, mais rien ne vint tout de suite. Finalement, dans un souffle brisé : — Je ne sais pas. Ils… ils ne me l’ont pas dit. À peine l’enfant est sorti de mon ventre… qu’on me l’a déjà pris. Elle serra les bras contre sa poitrine, comme pour retenir une douleur ancienne, toujours vive. Les larmes glissèrent sans bruit sur ses joues fatiguées, creusées par les années de silence. Sa tête s’inclina doucement, comme alourdie par le poids d’un souvenir trop longtemps enfoui. — J’ai hurlé. Supplié. Mais ils ne m’ont rien laissé. Ni prénom, ni regard, ni certitude. Il… ou elle… a disparu aussitôt. Comme s’il… co