Alma ne recula pas. Elle observait chaque réaction, chaque frémissement dans les yeux de cette femme. Elle y lut quelque chose qui ne pouvait pas être feint. Une onde de choc, profonde, viscérale. — Il est mort il y a deux hivers, dit Alma d’une voix plus douce. Dans un affrontement contre Kaelen. même si les autres pensent que c'était une mort naturelle d'un combat contre les humains. moi je sais que c'est kaelen. C’est ce qui a scellé la prise du trône. Et ce pourquoi je suis ici. En fuite. Le souffle de Gracia se coupa net. Elle posa une main contre sa bouche, ses yeux brillants, son esprit submergé par les souvenirs qui remontaient d’un puits qu’elle avait scellé depuis trop longtemps. Et dans cet instant suspendu, au cœur de la grotte endormie, quelque chose se fissura. Un pan du passé. Une faille dans le silence. Gracia tomba sur ses genoux. Ses mains heurtèrent le sol de la grotte avec un bruit sourd. Ses doigts s’écrasèrent contre la terre encore froide. Elle ne pleurait
Et dans le silence qui suivit, le passé frappa doucement à sa porte. Au moment où la ligne coupa, Gracia resta immobile, le téléphone encore pressé contre son oreille. Son cœur battait plus vite qu’elle ne voulait l’admettre. Cette voix… elle avait quelque chose de familier et d’oublié. Quelque chose d’ancré dans un passé qu’elle avait tenté d’effacer. Elle reprit son souffle et tapa rapidement un message de réponse, se faisant passer pour Ethan. Les mots étaient simples, courts, maîtrisés : « Je ne peux pas parler. Ma mère est endormie pas loin. On se retrouve à l’endroit habituel. Je viendrai avec ce qu’il faut. » Puis elle localisa le point d’émission de l’appel — un signal triangulé en bordure du parc forestier, juste derrière le musée. Là où se trouvait cette fameuse grotte. Elle resta assise un moment, dans la pénombre de son bureau, les doigts crispés sur le bois du bureau. Elle savait ce qu’elle allait faire. Pour avoir aimé un loup autrefois, elle connaissait leur regard.
Ethan regarda profondément sa mère, le souffle court, les yeux noyés d’émotions contradictoires. Puis, d’une voix retenue, presque fragile, il demanda : — Il s’agissait d’un frère… ou d’une sœur ? Gracia détourna les yeux. Son regard se posa sur la table en bois, usée par les années, puis glissa jusqu’à la fenêtre où dansaient encore les ombres de la nuit. Elle sembla chercher ses mots, mais rien ne vint tout de suite. Finalement, dans un souffle brisé : — Je ne sais pas. Ils… ils ne me l’ont pas dit. À peine l’enfant est sorti de mon ventre… qu’on me l’a déjà pris. Elle serra les bras contre sa poitrine, comme pour retenir une douleur ancienne, toujours vive. Les larmes glissèrent sans bruit sur ses joues fatiguées, creusées par les années de silence. Sa tête s’inclina doucement, comme alourdie par le poids d’un souvenir trop longtemps enfoui. — J’ai hurlé. Supplié. Mais ils ne m’ont rien laissé. Ni prénom, ni regard, ni certitude. Il… ou elle… a disparu aussitôt. Comme s’il… co
l'odeur était propre, lisse, presque ordonnée. Elle la reconnut instantanément : celle d’un uniforme. Celle d’un homme en service.— Quelqu’un approche, chuchota-t-elle. Un humain. Pas n’importe lequel.Ethan se figea. Il tendit l’oreille, puis huma à son tour. Il blêmit légèrement en sentant la même empreinte légère, un parfum de savon industriel mêlé à la transpiration contenue d’un gardien de nuit.— Le Virgile, souffla-t-il. Le gardien du musée. Il fait souvent une ronde à cette heure.Sans attendre, ils s’accroupirent tous les deux derrière un amas de roches effondrées, dissimulés par l’ombre. Les secondes s’étirèrent. Les pas résonnaient à présent dans le couloir du sous-sol, un bruit régulier, traînant légèrement sur la pierre humide. Un faisceau lumineux balaya les murs au loin.Alma retint son souffle. Juste au-dessus de sa tête, une veine d’eau suintait, tombant goutte à goutte dans une flaque. Le moindre écho pouvait les trahir.Mais le Virgile ne s’arrêta pas. Il marmonna
Ils restèrent dans les bras l’un de l’autre jusqu’au coucher du soleil, sans plus dire un mot.Le temps semblait suspendu dans la structure silencieuse du chantier. La lumière déclinante filtrait entre les ouvertures béantes, projetant des ombres longues sur le sol de béton. Les poussières dorées dansaient dans les rayons, emportées par un vent léger et tiède. Le monde extérieur poursuivait son rythme, mais eux demeuraient là, figés dans ce moment fragile, écorchés mais réunis.Ethan avait cessé de pleurer. Sa respiration était lente, régulière, et sa tête reposait sur les jambes d’Alma. Elle lui caressait doucement les cheveux du bout des doigts, le regard fixé à l’horizon, le visage calme. Aucun mot ne franchissait leurs lèvres, mais leurs silences se comprenaient.Quand la dernière lueur s’éteignit au bord du ciel, Alma brisa doucement ce calme.Elle lui dit qu’elle avait besoin d’un endroit où se cacher. Qu’elle ne pouvait pas rester ici, à découvert. Que Kaelen finirait par la re
Pas des larmes discrètes, pas des soupirs timides. Non. Il pleurait de toutes ses forces. Des sanglots lourds, profonds, arrachés à la gorge. Sa voix se brisait dans l’espace nu de l’immeuble abandonné, comme un écho d’enfant perdu dans un cauchemar qui ne finit pas.— Qu’est-ce qui m’arrive… souffla-t-il entre deux sanglots. Qu’est-ce que j’ai fait… Ses épaules tressautaient. Ses doigts s’agrippaient à sa peau comme pour s’assurer qu’il était encore réel. Que c’était bien lui. Mais ce n’était plus le même corps. Ce n’était plus le même esprit.Il ne comprenait pas. Rien. Seulement la peur, brute, entière. Une peur qui avale tout. Derrière lui, Alma le regardait, silencieuse, encore accroupie, les bras contre sa poitrine. Sa respiration se calmait peu à peu. Elle ne dit rien, pas tout de suite. Parce qu’elle connaissait ce moment. Elle l’avait vécu. Cette fracture entre l’avant et l’après. Cette chute brutale dans une réalité que personne n’avait choisie.Et à cet instant, malgré