La matinée passa à une vitesse vertigineuse. Viel était concentré, son esprit absorbé par le projet qu’il devait présenter à la réunion de l’après-midi. Chaque chiffre, chaque détail de son travail, il les avait méticuleusement révisés. C’était dans ces moments-là qu’il se sentait vraiment compétent, hors de toute comparaison. Mais il savait aussi qu’à l’issue de cette présentation, il devrait revenir à sa réalité, à la froideur de son quotidien. Le regard des autres, l’intimité qu’il s’efforçait de maintenir à distance.
Alors que l’heure de la réunion approchait, Viel se leva de son bureau et attrapa son dossier. Hubert, déjà prêt, se tourna vers lui, un sourire confiant sur les lèvres. « T’es prêt ? » lui demanda-t-il, d’un ton léger, mais avec cette pointe de curiosité dans les yeux. Viel hocha la tête, un sourire fin apparaissant sur son visage. Il n’était pas vraiment sûr d’être prêt. Mais il n’avait pas le choix. Il devait l’être. C’était un moment important pour lui, et il ne voulait pas décevoir. Pas cette fois. « Oui, on y va, » répondit-il d’une voix calme. Ils se dirigèrent tous les deux vers la salle de réunion. Le grand couloir de la banque, avec ses murs froids et ses lumières blanches, semblait presque irréel dans son silence. Les autres membres de l’équipe étaient déjà installés autour de la grande table ronde. Marc, son supérieur, était assis à la tête de la table, les mains jointes, prêt à écouter. Les autres collaborateurs attendaient, visiblement impatients, mais l’atmosphère était détendue. Viel s’assit à une place vide, son cœur battant légèrement plus fort. Le projecteur s’alluma, projetant les premières diapositives du projet qu’il avait préparé. Il se leva, se tenant droit, et commença à expliquer. Les premiers mots sortirent facilement. Il avait répété le contenu de sa présentation plusieurs fois la veille, tout était dans sa tête. Son ton était assuré, ses gestes mesurés. Peu à peu, il se sentait à l’aise, maîtrisant tle sujet de bout en bout. Il parlait de l’analyse de marché, des projections financières, des investissements nécessaires pour le développement du projet. Il détaillait chaque point avec précision, répondant à quelques questions ponctuelles qui surgissaient, et tout semblait bien se passer. Lorsque Viel aborda la partie la plus complexe du projet, qui portait sur les risques potentiels et la manière de les gérer, il prit une inspiration et s’assura de capter l’attention de tout le monde. Il savait que c’était le point crucial, celui qui pourrait faire ou défaire la présentation. Il s’appuya sur ses notes et montra les graphiques qui illustrent les prévisions, expliquant méthodiquement chaque élément. Le temps semblait se suspendre autour de lui, mais sa voix restait fluide, calme. Il n’y avait plus de doute, plus d’hésitation. Il était en plein contrôle de la situation. Au fur et à mesure que la présentation avançait, il sentait la confiance revenir en lui, la sensation d’être, enfin, utile. Le monde extérieur se dissipait et n’existait plus que lui, son travail, ses graphiques, ses projections. C’était tout ce qu’il pouvait donner. Enfin, après une dernière question de Marc, Viel conclut sa présentation. Il se rassit avec un léger soupir de soulagement, ses mains légèrement moites, mais son esprit toujours concentré. Le silence se fit, un silence lourd d’attente. Marc, son chef de service, prit la parole le premier. « Très bien, Viel, c’est un excellent travail, » dit-il en souriant, visiblement satisfait. « C’est précis, complet et bien présenté. Je n’ai rien à ajouter, à part que nous allons suivre tes recommandations. » Viel n’eut pas le temps de répondre. Avant même qu’il ne puisse articuler un mot, un autre membre de l’équipe s’exclama. « Vraiment impressionnant, Viel ! Tu as bien maîtrisé la présentation, c’est clair et net. Félicitations ! » Les autres collaborateurs acquiescèrent, souriant et échangeant des regards admiratifs. Viel sentit son cœur se gonfler, un étrange sentiment d’accomplissement le traversa. C’était rare qu’il ait de telles réactions positives. À chaque fois qu’il s’était tenu devant un groupe, que ce soit dans ses années d’études ou au travail, il avait toujours eu peur du jugement. Mais aujourd’hui, il n’avait pas été jugé. Il avait été applaudi, respecté. Et, pour une fois, il ressentait qu’il faisait partie de quelque chose. Il leva les yeux et croisa le regard d’Hubert, qui lui souriait avec un air complice. Cela lui fit du bien. Hubert n’avait jamais jugé Viel pour ce qu’il était. Il l’avait toujours accepté comme il était, et cela, Viel l’appréciait plus que tout. Marc posa un dernier regard sur la salle et déclara : « Voilà, l’équipe est d’accord. Nous allons avancer sur ce projet. Viel, tu as bien fait ton travail, nous allons pouvoir nous concentrer sur la mise en œuvre maintenant. »Le reste de l’équipe applaudit à nouveau. Viel sentit ses joues s’empourprer légèrement, mais il n’avait pas l’habitude de recevoir des éloges. Il était toujours celui qui se cachait derrière son travail, celui qui n’attendait rien de personne. Mais cette fois, il se sentit fier. Fier de ce qu’il avait accompli. Fier d’avoir, peut-être, enfin trouvé sa place dans ce monde qu’il redoutait tant. La réunion se termina quelques minutes plus tard, mais Viel n’avait pas encore pleinement conscience de ce qu’il venait de réaliser. Il se leva en silence, glissant son dossier sous son bras, et sortit de la salle, Hubert sur ses talons. Mais quelque chose avait changé en lui, même si, au fond, il savait que cette victoire, cette petite victoire, n’effacerait jamais totalement le poids de son secret. Le travail était son seul domaine de paix, mais il lui rappelait aussi l’écart cruel entre ce qu’il vivait et ce qu’il aurait pu être. Et pour l’instant, cela suffisait.Viel déglutit difficilement. Les mots de Maxime étaient à la fois un soulagement et un fardeau. Être soi-même. Il n’avait pas encore décidé ce que cela signifiait vraiment pour lui. Il avait l’impression de naviguer dans un océan d’incertitudes, cherchant des repères, mais les vagues semblaient toujours plus fortes à chaque fois qu’il pensait avoir trouvé une solution.Maxime se leva pour servir un peu plus de vin. Quand il revint, il s’assit près de lui, un peu plus près que nécessaire, mais sans être envahissant.— C’est bizarre, tu sais, dit Maxime en souriant légèrement. Tu es quelqu’un de complexe. Tu caches beaucoup de choses derrière ce que tu laisses paraître, mais je crois que ça te rend encore plus intéressant.Viel baissa les yeux, sentant une chaleur envahir ses joues. Il n’avait pas l’habitude de recevoir des compliments de cette nature, surtout venant de quelqu’un comme Maxime. Il aurait pu l’envoyer balader, jouer à l’indifférent, mais au lieu de ça, il resta là, immobi
T’es venu, dit-il simplement.— Tu m’as demandé.Maxime hocha la tête et fit un pas de côté pour le laisser entrer.— Bienvenue chez moi.L’intérieur était aussi impressionnant que l’extérieur. Un mélange de modernité et de bois massif, de grandes baies vitrées, des tableaux abstraits sur les murs, un immense canapé en cuir au centre du salon. Maxime ne dit rien, le laissant découvrir. Viel ne savait pas quoi penser. Il se sentait minuscule dans ce lieu qui respirait l’opulence. Ce n’était pas juste une maison, c’était un manoir. Une maison de film.— Tu vis ici… seul ? demanda-t-il.— Oui. Hérité de mes parents. J’ai fait quelques rénovations, mais elle reste ce qu’elle est.Il lui fit signe de s’asseoir et disparut un instant pour revenir avec deux verres et une bouteille de vin. Viel l’observa en silence. Maxime semblait plus calme ce soir, moins arrogant, moins dur. Il versa le vin et lui tendit un verre.— Je voulais te parler. De… tout ça.Viel resta silencieux. Il ne savait pas
Viel était installé dans le cabinet, face à Docteur Dio les mains posées sur ses genoux. Le médecin le regardait attentivement, une expression professionnelle mais inquiète sur le visage. — Alors Viel, commença le médecin en observant son dossier, parlons de ce qui s’est passé. Peux-tu me dire ce que tu as ressenti pendant l’acte ? Viel baissa les yeux, cherchant ses mots. C’était un moment étrange, presque déstabilisant. Il n’était pas habitué à être aussi ouvert à propos de ses émotions. Pourtant, il savait qu’il devait répondre sincèrement. — Je… je me suis senti bien, je pense. Comme si… j’étais accepté. Comme si je n’étais pas en conflit avec moi-même pour une fois. Le médecin hocha la tête, prenant des notes. — Et concernant l’orgasme ? demanda-t-il, une légère insistance dans la voix. Viel rougit un peu avant de répondre. — Oui. J’ai… joui. Mais, mon pénis n’a pas changé de forme, il était toujours couché, même quand j’étais excité. Le silence s’installa un inst
Il la regarda, les yeux brillants.— Je ne veux pas qu’on me définisse par mon corps, Martine. Je veux être Viel. Pas un genre. Pas une étiquette. Juste… moi.Elle lui sourit, les larmes aux yeux.— Et tu y as droit. Et je serai là pour te le rappeler autant de fois qu’il le faudra.Ils restèrent là, dans ce silence plein de compréhension. Et pour la première fois depuis des jours, Viel sentit son cœur un peu plus léger.La journée avait commencé normalement. Viel, chemise soigneusement repassée et pantalon bien ajusté, avait pris place à son bureau avec une concentration quasi mécanique. Les heures défilaient, les mails s’enchaînaient, et il s’efforçait de garder son esprit focalisé sur ses tâches. Mais à peine avait-il terminé de répondre à une demande de financement qu’il sentit son téléphone vibrer dans sa poche.Il jeta un coup d’œil : un message d’Élisabeth.« Dis-moi, tu étais à la maison dimanche ? »Il sursauta légèrement. Il n’avait pas prévu d’en parler avec elle. Il hésita
Il fit quelques pas vers la porte. Juste avant de l’ouvrir, il se retourna :— Si tu crois que je fais ça pour jouer… tu te trompes.Et il disparut, laissant Viel seul dans un salon devenu trop silencieux.Viel resta immobile un moment. Son cœur battait encore à vive allure. Il s’assit lentement, les mains tremblantes. Il fixait un point invisible, perdu dans ses pensées.Pourquoi tout devenait-il aussi confus ?Viel se laissa tomber sur le canapé, la tête entre les mains. Son cœur battait encore de cette drôle de cadence qu’il n’arrivait pas à calmer. La scène de tout à l’heure repassait en boucle dans son esprit. Les lèvres de Maxime, sa main sur sa nuque, le regard intense… puis son départ précipité.Il soupira profondément.Mais pour qui il se prenait au juste ?Entrer chez lui sans prévenir. Sans autorisation. Comme si c’était normal. Comme si… comme s’il avait un droit sur lui.Non. C’était trop.Il attrapa son téléphone, les doigts tremblants, et appela Martine. Il avait be
Viel resta debout un long moment, les bras croisés sur la poitrine, le regard perdu. Il repensait à ses mots. « Sans masque. Sans filtres. » Pouvait-il réellement lui montrer tout de lui ? Même la partie qu’il refusait encore de comprendre lui-même ?Il retourna dans son bureau, mais l’esprit n’y était plus.Il s’en voulait. Il se haïssait presque d’avoir aimé ça. D’avoir ressenti quelque chose de fort, presque irrépressible. Lui qui avait toujours fui les regards insistants, les mains trop curieuses, avait cédé, s’était laissé aller… et pire encore : il y pensait encore.Il se leva difficilement, prit une douche rapide et s’habilla pour aller travailler. Premier jour officiel. Il devait garder la tête froide.Il attrapa son sac, rangea rapidement quelques papiers, puis sortit. Dans le taxi, il regardait les rues défiler, comme s’il cherchait à s’éloigner de ses pensées. Il se répétait sans cesse :« C’est rien, c’est passé. C’était un accident. C’est Maxime, le frère d’Elisabeth. Ça