LOGINLilith— Celle-ci est différente, rétorque Azazel calmement. Elle a un vide en elle qui n'appartient qu'à elle. Un vide qui aspire. Regardez.Il me pousse légèrement en avant. Les regards se focalisent. Je sens leurs perceptions me fouiller, sonder la place laissée par Kael, par ma pitié, par mes rêves d'humaine. Ils explorent la froideur qui a pris racine.— Ohhh, siffle la forme de fumée d'encens. Elle est déjà si… creuse. Et pourtant si pleine de volonté. Un paradoxe délicieux.— Elle a goûté à la vraie puissance, ajoute l'empilement de visages, d'une voix qui est un chœur de murmures. Pas le pouvoir sur les hommes. Le pouvoir sur la trame des choses. Elle aime ça.— Elle a faim, conclut le démon de miroirs. Comme nous.Azazel pose une main sur mon épaule. C'est un geste possessif.— Elle est mienne. Mais elle a besoin d'un… baptême. Une initiation qui scellera son chemin. Elle doit comprendre de quoi elle se nourrit désormais.Le démon de fumée glisse plus près. La chaleur de sa p
LilithLes jours suivants sont des leçons,mais plus comme celles d'une école. Ce sont des incantations. Des initiations. Azazel ne m'enseigne pas, il me dévoile. Chaque nuit, nous explorons les bas-fonds de la ville, mais pas ses ruelles. Ses couches psychiques. Ses plaies secrètes.Je ne dors plus. Le sommeil est un gaspillage, une perte de contrôle. La marque sur mon bras est toujours tiède, un tisonnier enfoncé dans ma chair, me reliant à lui, à cette source de pouvoir noir qui semble inépuisable. Quand la fatigue tente de me rattraper, il suffit que je concentre mon attention sur la froideur de la marque, et un sursaut d'énergie sombre balaie l'épuisement, laissant derrière lui une lucidité tranchante, presque douloureuse.Ce soir, il m'emmène dans un lieu qui n'existe pas sur les cartes. Un espace entre les espaces, sous les égouts, sous les fondations, là où la ville repose sur des strates d'oubli et de désespoir anciens. L'air y est épais, chargé de l'humidité des larmes et de
LilithJe tourne mon regard vers les ténèbres qui dansent autour des containers. Je leur chuchote un ordre. Elles se précipitent, prenant la forme de mains griffues, de bouches sans dents, de serpents liquides. Elles enveloppent le garde hurlant, l’étreignent, l’étouffent. On entend des os craquer, un gargouillis. Puis plus rien. Les ombres se retirent, reprenant leur forme inoffensive, laissant derrière elles une masse informe et humide.Mon cœur bat lentement, régulièrement. Aucun dégoût. Aucune pitié. Seule une curiosité clinique. C’était efficace.Nous entrons.L’intérieur de l’entrepôt est un canyon de marchandises volées et d’odeurs rances. Une vingtaine d’hommes sont là, autour d’une table éclairée par une lampe halogène. Silas est au centre, rouge, suant, en train de déverser sa haine.— … elle pense nous tenir ! Mais avec les gars de l’Est, on va la saigner à blanc, lentement, et lui faire avaler ses…Il s’interrompt. Parce que les lumières s’éteignent.Non. Elles ne s’éteign
LilithLes ombres sont devenues mes doigts.Je les sens, maintenant. Pas comme une absence de lumière, mais comme une matière vivante, patiente, qui n’attend qu’un ordre. Sous la direction d’Azazel, je les façonne : un serpent de brume qui s’enroule autour d’une colonne, un loup aux yeux de braise qui hoche la tête avant de se dissoudre, un voile de ténèbres assez dense pour étouffer le son.— Tu es une élève douée. Trop douée, peut-être.Le ton d’Azazel n’est plus celui du professeur satisfait.Il y a une nuance nouvelle, une pointe d’évaluation froide, comme s’il observait une réaction chimique inattendue.— Est-ce un problème ?—C’est une donnée. Le vide en toi… il ne se contente pas d’être rempli. Il aspire. Il attire les ombres, comme un gouffre attire la lumière.Il tourne autour de moi, son costume d’ombre ne froissant pas l’air. Je ne perçois plus sa forme humaine comme une illusion, mais comme un vêtement qu’il porte par convenance. L’être dessous palpite, vaste et inhumain.—
LilithLa noirceur n’est pas un vide.C’est une substance. Elle coule en moi, à travers moi, comme un sang nouveau, épais et vivant. Les murmures d’Azazel ne sont plus des sons, mais des éclats de sens qui s’implantent directement dans ma conscience.Regarde.Et je vois.Je ne vois plus la salle du conseil. Je vois les courants. Les courants de peur qui s’échappent des lieutenants en fuite, traçant des sillons argentés et nauséeux dans la ville. Je vois les filaments ténus de loyauté forcée qui les relient encore à moi, fragiles comme des toiles d’araignée. Je vois les poches de trahison, déjà en gestation dans leurs cœurs—des noyaux sombres et palpitants. La ville n’est plus un plan, un assemblage de pierre et d’acier. C’est un organisme vivant, malade, dont je perçois chaque frémissement, chaque infection, chaque point de pression.C’est la première couche. La plus grossière. La peur des petits.Le point de vue se déplace, s’élève. Les bâtiments deviennent des squelettes, les rues de
LilithLa sueur froide de leur soumission emplit la salle.Je respire cet air vicié, ce parfum de pouvoir reconquis. Ils parlent, leurs voix ne sont plus que des bourdonnements d'insectes apeurés. Silas, Marcus, Eleanor... des noms sur des tombes qui ne demandent qu'à être creusées.Leurs rapports défilent, des chiffres, des territoires, des rivalités. Leurs bouches bougent, mais leurs yeux crient la terreur. Ma victoire est totale. Absolue. Elle devrait me griser. Me remplir d'une fureur triomphale.Pourtant, un vide grandit en moi. Une froideur que ni leur peur ni le feu dans mon bras ne parviennent à combler.Je lève une main. Les conversations meurent net.— Assez. Sortez.Ils obéissent sans un mot, se levant si vite que certains fauteuils basculent en arrière. Ils se bousculent presque vers la porte, incapables de fuir assez vite cette pièce où l'ombre s'est matérialisée pour leur rappeler leur mortalité.La lourde porte de chêne se referme. Le claquement final résonne comme un co