LOGINLilith
La puissance nouvellement acquise est un vin épais dans mes veines. Je la sens, cette énergie volée, qui couve au creux de mon être, prête à se déchaîner. Mais Azazel avait raison : un seul goût rend accro. Ce n’est jamais assez. L’ombre que je projette doit s’étendre, devenir si vaste qu’elle étouffera toute lumière, toute tentative de me juger, de m’arrêter.
Je suis dans mon repaire, les doigts traçant des cercles sur la surface froide de mon bureau. Des dossiers s’empilent. Des hommes. Des hommes de pouvoir. Des présidents, des magnats, des généraux. Leurs sourires d’époux modèles cachent des failles béantes, une soif de sang, de domination ou simplement de jeunesse éternelle. Des failles que je peux combler, pour un prix.
Azazel apparaît sans un bruit. L’air se charge immédiatement d’ozone et de menace. Sa présence est devenue une constante, un poids à la fois désiré et détesté contre ma nuque.
— Tu compulses ton catalogue, Lilith ? Ta liste de prétendants ? Ta voix est teintée d’un amusement méprisant.
Je ne lève pas les yeux.
— J’étends mon territoire. La protection qu’offre l’immunité diplomatique, la mainmise sur l’économie mondiale… ce sont des outils. Des armes. Chaque mariage est une forteresse.
Il s’approche, et la pièce semble rétrécir. La chaleur qui émane de lui n’a rien de réconfortant ; c’est celle d’un four crématoire.
— Des forteresses de papier et de mensonges. Tu joues à la reine des hommes. Moi, je t’offre d’être leur déesse.
— Les déesses meurent aussi, fusillées par un peloton ou empoisonnées lors d’un dîner d’état. Je préfère l’invulnérabilité terrestre.
Ses doigts effleurent ma nuque. Un contact brûlant et glacial qui me fait frémir malgré moi. Un désir vil, aiguisé comme une lame, me transperce. Le désir qu’il morde, qu’il déchire.
— Tu oublies notre marché, Lilith. Chaque âme pour un peu plus de puissance. Mais il y a d’autres clauses. Des clauses plus… intimes.
Je me lève enfin, me retournant pour lui faire face. Son regard est un abîme où je sens mes résolutions vaciller.
— De quoi parles-tu ?
Son sourire est une entaille dans l’obscurité.
— L’époux te donnera un nom, un titre, une immunité. Il sera ton bouclier. Moi, je te donne le pouvoir de réduire son âme en cendres si jamais il te déplaît. Mais en contrepartie… tu es mienne. Pas lui. Toi.
Il avance encore, jusqu’à ce que je sente son souffle sur mes lèvres.
— Je ne veux pas partager ton lit avec ces pantins. Je veux pouvoir te prendre, te dévorer, quand l’envie m’en vient. Pas ton corps. Toi. Ton essence. Cette flamme noire qui te fait vivre et que j’ai réveillée.
Le terme "dévorer" résonne en moi. Ce n’est pas une métaphore. Je le vois dans ses yeux. C’est une faim primale, un besoin de consommer la force qu’il a lui-même contribué à forger en moi.
— Tu veux être mon amant secret ? Mon démon familier ? dis-je, la voix plus rauque que je ne le voudrais.
— Je veux être la tempête dans le calme de ton palais. Le goût de cendres dans le champagne de tes triomphes. Tu auras tes rois, tes présidents, tes empires. Mais tu sauras, à chaque instant, que tu n’appartiens qu’à ma faim.
C’est le prix ultime. Au-delà des âmes que je lui livre. C’est moi-même qui deviens l’offrande perpétuelle. L’épouse des puissants, mais la propriété d’un ange déchu. L’idée me soulève le cœur et m’enflamme en même temps. C’est la soumission la plus absolue, l’annihilation promise. Mais c’est aussi le lien le plus intense, le plus interdite des addictions.
— Et si je refuse ?
— Alors le flux s’arrête. L’énergie que tu as accumulée se dissipera. Tu redeviendras la petite reine de sang d’une ville, avec toutes les limites que cela comporte. Tu retourneras à ta médiocrité.
Médiocrité. Le mot est un coup de couteau. C’est ma plus grande peur. Retomber. Redevenir l’enfant brisée, impuissante.
Je ferme les yeux. J’imagine le premier. Le Président Valerius. Veuf, charismatique, assoiffé de stabilité. Il verra en moi la beauté fatale, la force qui peut consolider son héritage. Il ne verra pas le monstre. Il ne sentira pas Azazel rôder dans l’ombre de notre chambre nuptiale.
— À chaque fois que tu… me voudras… ce sera douloureux ?
Sa main se referme sur mon bras. La douleur est immédiate, fulgurante, comme si l’énergie en moi était aspirée violemment. Un vertige me prend, un sentiment de vide terrible, mêlé à une atroce sensation de plaisir. C’est comme mourir et atteindre l’extase en même temps.
Puis il relâche son étreinte. Je chancelle, haletante, la sueur perlant à mon front.
— Oui, répond-il simplement. Ce sera une mort partielle. Chaque fois. Un rappel que ta puissance a une source. Et que cette source peut te reprendre.
Je me redresse, les jambes tremblantes. La peur crie en moi. Mais la braise, cette braise affamée qu’il a réveillée, rugit plus fort. Elle veut les palais, les titres, l’invulnérabilité. Elle veut aussi cette morsure divine, ce prix terrible qui confirme que je ne suis plus, et ne serai plus jamais, humaine.
Je tends la main vers le dossier du Président Valerius. Mon doigt se pose sur sa photographie.
— Très bien. Je serai son épouse. Je serai leur impératrice.
Je lève les yeux vers Azazel, et dans mon regard, il doit voir toute la terreur et toute la détermination qui m’habitent.
— Et je serai ton festin.
Son sourire, cette fois, n’a plus rien d’humain. C’est la fente d’un abîme qui s’ouvre.
— C’est tout ce que je demande. Commençons les préparatifs. Ta première noce m’ouvrira l’appétit.
Il disparaît aussi silencieusement qu’il est venu, me laissant seule dans la pièce. Je regarde ma main, où l’anneau de mariage de Valerius imaginé viendra bientôt se loger. Puis je porte mes doigts à mon cou, là où sa main m’a brûlée, là où sa faim m’a marquée.
Je ne prépare pas un mariage. Je prépare un autel. Et je serai à la fois la prêtresse et le sacrifice.
LilithLa veille du couronnement, la ville est un corps nerveux. Des barrages militaires, des drones en essaims silencieux, une atmosphère de couvercle posé sur une casserole en ébullition. Ils croient contrôler la sécurité. Ils ne font que décorer la cage.Dans la chambre forte, on m’apporte la tenue. Ce n’est pas une robe. C’est une armure. Du cuir noir mat, travaillé de fils d’or qui forment des runes que je suis la seule à comprendre. Des plaques discrètes, pare-balles, se moulent à mes hanches, ma poitrine. La cape, lourde, d’un rouge sang, est doublée d’un tissu pare-lames. Azazel a veillé lui-même sur sa confection. Chaque couture est une incantation de protection. Chaque fibre, imprégnée de notre volonté commune.Je me tiens nue devant le miroir, et on m’habille. Des femmes aux yeux baissés, des mains qui tremblent en ajustant les sangles. Elles sentent le froid qui émane de moi, la présence autre. Une d’elles, en attachant une bretelle, effleure la marque laissée par Azazel s
LilithEt le pouvoir, le vrai pouvoir terrestre, commence à couler vers moi.Le Parti, orphelin, paniqué, se tourne vers la seule figure stable : moi. La veuve du héros. Celle qui partageait ses nuits et ses secrets. Ils me voient comme un symbole, un pont vers sa mémoire. Ils ne voient pas la prédatrice.Azazel, désormais, n’est plus un spectre. Il est mon ombre portée, mon conseiller occulte. La nuit, dans les appartements privés que j’occupe désormais au palais, il se matérialise.— Ils ont peur, murmure-t-il, passant derrière moi tandis que je regarde la ville scintiller. Sa main effleure ma nuque, un contact de glace et de braise qui me fait frissonner. La peur est le ciment des trônes. Utilise-la.Sa présence n’est plus seulement mentale. Elle est charnelle. Une nuit, alors que les derniers conseillers nous ont quittés, il me fait face. L’air est lourd, chargé d’ozone et de menace.— Tu as goûté à son âme. Mais tu n’as pas encore goûté à la mienne, dit-il.Il avance, et cette fo
LilithJe souris, un sourire triste et doux.— Je veux te montrer à quel point tu peux me faire confiance. À quel point nous ne faisons qu'un.Je me lève et je viens derrière lui. Je pose mes mains sur ses tempes.— Ferme les yeux. Vois à travers les miens.Il obéit, confiant, amoureux.Et alors, je lui ouvre mon esprit.Pas entièrement. Juste un flot contrôlé. Je lui montre des images. La simulation de l'attentat, mes hommes payés pour être neutralisés. Je lui montre mes manipulations dans son cabinet, les âmes faibles que j'ai tordues. Je lui montre Azazel, non pas dans sa forme démoniaque, mais comme une présence, un partenaire dans l'ombre. Je lui montre chaque mensonge, chaque manipulation, chaque goutte de pouvoir que j'ai soutirée, le tissant dans un récit pervers d'un amour si absolu qu'il justifie toute trahison.Je lui montre tout cela, non pas avec cruauté, mais avec une tendre mélancolie, comme si je lui confiais le secret le plus précieux et le plus tragique de mon âme.J
LilithLa lune de miel est une opération militaire. Nous sommes dans une villa isolée sur une falaise surplombant une mer démontée, un décor parfait pour un drame. Valerius la voit comme un refuge idyllique. Moi, je la vois comme un laboratoire, une arène close.Le premier soir, alors qu'il me serre contre lui devant la cheminée, ivre de bonheur et de vieux brandy, je commence.Je pose ma main sur sa tempe, un geste qu'il prend pour une caresse. Je ferme les yeux et j'ouvre le conduit. Le fil noir qui nous relie depuis l'église pulse soudain, passif devient actif. Ce n'est plus une simple sensation, c'est une vanne que je tourne.— Tu es mon roc, Lilith, murmure-t-il, son souffle chaud contre mon cou.— Je le sais, chuchoté-je.Et je bois.Ce n'est pas une gorgée discrète comme avec les autres. C'est un torrent. Sa confiance en moi, aveugle et totale, est un nectar sucré et épais. Je l'aspire, et la sensation est si enivrante que ma tête tourne. Un soupir lui échappe, qu'il prend pour
LilithLe monde se met à genoux. Littéralement. La nouvelle de mes fiançailles avec le Président Valerius est une onde de choc qui balaie les marchés, les médias et les cercles du pouvoir. Je suis partout : la mystérieuse bienfaitrice, la beauté fatale qui a sauvé la vie du président et a capturé son cœur. On dissèque mon passé, un chef-d'œuvre de fiction que j'ai patiemment tissé au fil des années. On s'extasie sur mon élégance, on chuchote sur ma fortune, on spécule sur mon influence. Ils ne voient que l'écrin. Ils sont aveugles à la lame.Valerius, lui, se métamorphose. La solitude qui le ronge s'est dissipée, remplacée par une confiance nouvelle, presque arrogante. Il voit en moi son pilier, son talisman. Il me consulte pour tout, des dossiers économiques aux remaniements ministériels. Mes "conseils", toujours teintés de la sagesse perverse d'Azazel, sont des ordres déguisés. Je deviens l'éminence grise couronnée, l'épouse officieuse de la nation.Mais chaque nuit, je paye le prix
LilithLe pouvoir nouvellement acquis est un vin épais dans mes veines. Chaque âme que je prends pour Azazel laisse en moi un résidu de puissance, une énergie noire qui aiguise mes sens et affûte ma volonté. Mais comme il l'avait prédit, un seul goût rend accro. La petite reine de sang d'une ville ? C'était hier. Aujourd'hui, je veux un trône à l'épreuve des balles et des lois.Mes nouveaux sens, affinés par la magie noire du pacte, me guident vers les faiblesses du monde. Je traque non plus avec un couteau, mais avec une intuition démoniaque. Et je la sens, de loin, la faille la plus prometteuse : le Président Valerius.Je l'étudie. Veuf. Charismatique. Assoiffé de stabilité après un premier mandat tumultueux. Il est entouré d'une cour de sycophantes, mais son âme crie sa solitude et sa peur de l'effondrement. Une peur que je peux apaiser. Une faille que je peux combler.Je ne le rencontre pas dans un salon mondain. Trop prévisible. Je crée une situation. Une attaque terroriste simul







