Élise Je reste figée. Les larmes brouillent ma vue. Je voudrais hurler, le repousser, lui dire que oui, je le déteste. Mais non. Ce n’est pas vrai. Je le hais autant que je l’aime. Et c’est ça, le pire.Élise — « Non… Je ne te déteste pas… »Il enfouit son visage dans mon cou, respire contre ma peau.Julien — « Moi non plus… Mais ça va nous tuer. »Je hoquette. Ses bras se resserrent.Élise — « Laisse-moi juste… respirer… »Il me lâche à contre-cœur. Je recule. Et je sais qu’on vient de perdre une bataille de plus contre nous-mêmes.La journée s’étire. Vide. Chacun dans une pièce différente. Je l’entends marcher, soupirer, claquer les portes. Il tourne en rond, comme un lion en cage.Je prends un cahier. J’essaie d’écrire. Mais rien ne sort. Juste une phrase, griffonnée en haut de la page : « Et si tout s’arrêtait demain ? »Je pleure sur ces mots.Le soir tombe. Il me regarde depuis le seuil de la porte.Julien — « Je vais dormir sur le canapé ce soir. »Je le fixe, incapable de rép
ÉliseC’est tout ce que je trouve à dire. Je pourrais crier, hurler, pleurer. Mais il ne resterait que ce vide entre nous.Il se lève brusquement, la chaise grince, déchire l’air. Il traverse la pièce comme un fauve en cage.Julien — « Tu crois qu’elle dort la nuit, elle ? Tu crois qu’elle serre ce gosse contre elle et qu’elle oublie ? Moi, j’oublie pas, Élise. J’oublie rien. »Élise — « Tu crois que moi j’oublie ? Tu crois que je me regarde dans la glace sans crever de honte ? »Je me lève à mon tour. Je tremble. Mon corps entier vibre de cette rage sourde qui ne sait plus comment sortir.Julien — « Tu l’as portée comme une amie, tu l’as bercée, ta fille. Et tu as fini par la trahir. »Ses mots claquent, atroces, insoutenables.Je vacille. Le coup est bas. Mais il a raison.Élise — « Et toi, Julien ? Tu veux qu’on parle de ce que tu as fait ? De ce qu’on a fait ? Parce qu’on l’a fait à deux, ne l’oublie pas. »Il se fige. Et dans ses yeux, je lis tout. La peur. La haine. Le désir aus
ÉliseLa maison est grande. Trop grande. Vide. Chaque pièce résonne comme un reproche. Les murs ne sont que du papier peint fané, la peinture craquelée par endroits, et pourtant, je me sens épiée, jugée par ces murs témoins de nos nuits brûlantes et de nos silences désormais accablants.Nous avons loué cette maison au bout d’une ruelle sans nom, loin du village, loin d’elle. Camille. Elle a accouché. Elle a survécu. À nous. À ce qu’on lui a volé.Je l’imagine, blême, les traits tirés par la fatigue et la douleur, serrant contre elle ce petit être innocent qui n’a rien demandé, qui n’a pas choisi ses parents, ni leurs trahisons.Chaque matin, je me réveille dans cette chambre sans âme, dans ce lit trop grand pour deux adultes qui n’osent plus se toucher. Je sens le froid de ses absences, la morsure de ses regrets. Julien se lève avant moi. Il déambule dans la maison comme une ombre, comme un homme qui ne sait plus ce qu’il fait là.Élise (pensées)Nous avons fui. Nous avons obéi. Mais
CamilleJe me lève. Je tourne en rond. La maison devient une prison.Je ne supporte plus ce silence. Ni l’écho de leurs pas que mon esprit s’entête à recréer dans chaque pièce.Je prends le téléphone. Je compose son numéro. Celui de Julien.Une sonnerie. Deux. Trois.Je raccroche.Qu’est-ce que je veux entendre ? Sa voix rauque ? Ses excuses ? Ou pire… son silence ?Je m’effondre sur le carrelage froid.Ils m’ont laissée seule avec le fruit de leur trahison : cet enfant. Innocent. Lui aussi victime de ce qu’ils ont fait.JulienJe sens son regard sur moi. Élise n’ose pas parler. Elle attend. Que je dise. Que je tranche.Mais je n’ai plus de force.— Je vais sortir… Prendre l’air…Elle hoche la tête sans répondre. Comme si elle savait qu’on ne se reverrait peut-être pas. Qu’un pas de plus dans cette nuit, et tout sera fini.Je sors.L’air est glacial.Je regarde vers l’horizon. Là-bas, dans cette maison que j’ai quittée, elle pleure sûrement. Camille.Et pour la première fois, je me de
CamilleJe me souviens de ma mère. De ses bras autour de moi, enfant. De ses promesses. De ses sourires. Je me souviens de cette femme que j’admirais, que j’aimais d’un amour pur et absolu. Et maintenant ? Maintenant, je ne sais plus qui elle est. Une étrangère. Une voleuse. Une traîtresse.Je glisse au sol, à genoux, les mains serrées contre ma poitrine.— Maman… pourquoi ? Pourquoi tu m’as volé tout ça ?Je parle dans le vide. Mais c’est trop tard. Elle ne reviendra pas. Elle ne me regardera plus jamais avec ce regard tendre.Je ferme les yeux. Je me souviens de Julien. De son sourire. De sa main sur la mienne. De ses baisers. De ses promesses d’éternité. Je me souviens de son regard, ces derniers jours… Fuyant. Coupable.Ils ont tout piétiné. Tout. Même ce que j’étais.Je me relève. Difficilement. Je traverse la maison comme un fantôme. Tout sent encore leur passage. Leur odeur, leurs traces, leurs rires étouffés que j’entends résonner entre ces murs.Je m’arrête devant le miroir d
CamilleLe silence me dévore. Il s’infiltre partout. Il se répand, me recouvre, me consume. Et moi, je reste là, immobile, dans ce salon désormais trop grand, trop vide. Ils sont partis. Sans un regard en arrière. Sans une explication.La porte claque encore dans ma tête. Ce bruit sec, définitif. J’ai cru qu’elle reviendrait. Que ma mère ferait volte-face, qu’elle ouvrirait cette foutue porte en pleurant, qu’elle s’effondrerait à mes pieds. Mais non. Rien.Le sac qu’elle avait posé là, dans l’entrée, a disparu. Sa veste aussi. Elle a tout emporté… tout sauf moi.Je voudrais crier, mais ma gorge est nouée. Rien ne sort. Même mes larmes semblent refuser de couler. Alors je marche. Comme une automate. Je monte ces escaliers que je connais par cœur, chaque marche grinçant sous mon poids. Pourtant, ce soir, tout me semble étranger.La chambre. Celle où elle a dormi. Celle où elle a menti. Où elle s’est glissée dans ses bras à lui.La porte est entrebâillée. Comme si elle me narguait. Je p