Dans le parking de l’hôtel, Collen marcha d’un pas assuré jusqu’à sa voiture. Sans un mot, il tira la portière passager et l’ouvrit lentement.
— « Monte. »
Chantelle le fixa un instant, encore légèrement tremblante, puis hocha la tête. Elle grimpa à l’intérieur, sans se faire prier, et s’installa dans le siège baquet.
La portière se referma dans un claquement sourd. À travers la vitre teintée, le monde extérieur sembla s’éteindre. Plus de visages moqueurs, plus de regards insistants. Plus de voix beuglantes de Raphina. Rien que le silence, enfin.
Elle poussa un long soupir, comme si elle relâchait enfin l’air qu’elle retenait depuis trop longtemps.
Collen, toujours impassible, fit le tour du véhicule et s’installa derrière le volant. Il ajusta ses lunettes, démarra le moteur sans la moindre hâte, sans jeter un coup d’œil vers elle.
Chantelle restait silencieuse, le regard perdu dans le défilement monotone du paysage à travers la vitre.
Son cœur battait encore à un rythme irrégulier, non pas à cause de Raphina, mais à cause de l’homme assis à quelques centimètres d’elle. Collen Wilkerson. Son silence à lui n’était ni froid ni chaleureux. Il était neutre. Maîtrisé. Indéchiffrable.
Et c’était ça le plus troublant.
Elle ne savait pas comment réagir avec lui. Elle ne savait même pas pourquoi il était intervenu. Avait-il vu la scène par hasard ? Était-il là pour un déjeuner d’affaires ?
Le doute s’infiltrait sournoisement dans son esprit. La manière dont il l’avait défendue, sans poser de questions, sans lui laisser le choix, était... étrange.
Elle se tortillait les doigts sur ses genoux, mal à l’aise.
Un silence gênant s’installait.
Elle finit par racler sa gorge doucement, comme pour briser la tension.
— Merci beaucoup… Monsieur Wilkerson.
Il ne répondit pas tout de suite. Le bruit du moteur semblait avaler les secondes. Finalement, d’une voix basse, sèche, il lâcha :
— Je l’ai fait parce que tu es la sœur de Mégane. Je ne pouvais pas rester là sans rien faire.
Ses mots étaient nets, distants. Comme s’il voulait remettre les choses à leur place. Comme s’il voulait surtout ne pas s’impliquer davantage.
Un frisson glissa sur l’échine de Chantelle.
— Je comprends... Merci quand même, dit-elle doucement, la gorge serrée.
Aucun mot ne fut échangé jusqu’à ce qu’il se gare devant son immeuble.
Il arrêta le moteur, sans un geste ni un regard. Elle ouvrit la portière, hésita une seconde, puis sortit.
Avant de refermer, elle se pencha légèrement.
— Merci encore, Monsieur Wilkerson.
Il hocha à peine la tête, sans rien dire, les yeux fixés droit devant lui.
Elle referma la portière, et s’éloigna à pas lents vers son immeuble. Le cœur encore embué de questions.
Raphina, encore sous le choc, resta figé un instant au milieu du restaurant. Tous les regards s’étaient tournés vers lui. Certains clients murmuraient, d'autres ricanaient. Une honte cuisante lui rongeait le ventre.
Il sortit précipitamment de l’hôtel, le visage rouge de colère. Une fois dans sa voiture, il claqua violemment la portière et démarra en trombe.
À peine arrivé chez lui, dans sa grande villa glaciale, il jeta sa veste sur le canapé et commença à faire les cent pas dans son vaste salon.
— Pour qui elle se prend ?! s’écria-t-il, les traits déformés par la rage.
— Elle n’est qu’un vulgaire objet, une fille que son père veut me vendre… et elle ose m’humilier devant tout le monde ?!
Il tapa du poing sur la table basse.
— Et cet homme ? Qui c’était, bon sang ?!
Il revoyait la scène encore et encore. Cet inconnu qui avait osé lui arracher Chantelle sous les yeux, sans un mot, avec un calme qui lui donnait des frissons.
— Il va le regretter. Elle va le regretter. Tous les deux !
Ses yeux étincelaient de haine. Dans son esprit, il n’était plus question d’héritage ou d’alliance familiale. C’était devenu une affaire personnelle.
À l’autre bout de la ville, Rhonda sirotait tranquillement un verre de vin blanc près de la piscine, aux côtés de Mégane, qui lui montrait des modèles de robes de mariée sur son téléphone. L’ambiance était légère, détendue… jusqu’à ce que son portable vibre.
Elle jeta un œil à l’écran. En voyant le nom Raphina Paterne, elle esquissa un sourire et répondit immédiatement :
— Oui, Raphina, je…
— Tais-toi, Rhonda ! gronda-t-il d’une voix caverneuse. Explique-moi tout de suite ce qui s’est passé !
Rhonda se redressa, tendue.
— Du calme… que veux-tu dire ?
— Ta petite bâtarde, là, ta belle-fille ! Elle m’a humilié, Rhonda ! Elle s’est levée au milieu du déjeuner, m’a crié dessus et est partie avec un autre homme ! Devant tout le monde ! Devant tout un restaurant plein de monde !
Rhonda blêmit légèrement. Elle se leva, s’éloignant de sa fille.
— Attends… un autre homme ? Qui ?
— Un jeune type, froid, hautain, qui l’a prise par le bras comme si elle lui appartenait. Et tu sais ce qu’elle a fait ? Elle l’a suivi. Comme une petite chienne. Tu te rends compte ?!
Rhonda se pinça l’arête du nez.
— Raphina… je… je suis désolée. Ce n’est pas elle qu’on voulait mettre en avant. C’est Mégane qui est destinée à…
— Je m’en fiche ! C’est toi qui m’as dit qu’elle allait obéir ! Qu’elle était docile ! Et voilà qu’elle me jette comme un chien devant des dizaines de témoins !
— Je vais arranger ça. Je te le promets.
— Tu as intérêt, Rhonda. Parce que si je perds la face une seule fois de plus à cause de cette fille, je te jure que j’écrase vos petits projets comme des cafards. Ce partenariat entre nos familles ? Terminé !
Et il raccrocha brutalement.
Rhonda resta un instant figée, le regard perdu. La colère de Raphina était plus que sérieuse. Elle pouvait tout perdre.
Mégane, qui n’avait suivi qu’une partie de la conversation, fronça les sourcils et se pencha vers sa mère,
— Maman… qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle, suspicieuse. C’est encore cette... cette bâtarde, hein ? Qu’est-ce qu’elle a encore fait ?
Rhonda, le regard fixé droit devant elle, comme si elle cherchait à avaler une mauvaise nouvelle sans s’étouffer.
— Ne me dis pas qu’elle a causé des ennuis à Raphina ? poursuivit Mégane, la voix montant d’un cran. Non, dis-moi qu’elle n’a pas osé…
— Elle l’a humilié, souffla Rhonda entre ses dents serrées. Devant tout le monde. En plein restaurant.
— Quoi ?! Mégane bondit sur ses pieds. Tu veux dire que cette petite idiote a osé rejeter Raphina ?! Mais elle se prend pour qui ?!
— Et ce n’est pas tout… Elle s’est levée et elle est partie. Avec un homme.
Le sang de Mégane ne fit qu’un tour.
— Un homme ?! De qui tu parles ? Qui ?! C’est qui cet abruti qui pense pouvoir la défendre en public ?!
Rhonda secoua la tête.
— Raphina ne le connaît pas. Il n’a même pas eu le temps de lui répondre. Il est juste arrivé… et Chantelle l’a suivi, sans hésiter.
— Non… non, non, non, non, non, dit Mégane en tournant en rond, les mains dans les cheveux. Quelqu’un l’aide ? Quelqu’un la protège ? Mais qui ferait ça pour elle ? Elle n’a personne, maman ! Personne !
Rhonda serra les lèvres, son regard dur fixé devant elle.
— Nous ne devons jamais laisser personne défendre cette garce, lança-t-elle d’une voix froide, presque tranchante. Ce genre de personne ne mérite aucune protection.
Mégane, les bras croisés, hocha vivement la tête.
— Oui, maman. Et surtout, il faut absolument qu’on découvre qui est cet homme qui a osé s’interposer. Qui est-il pour se permettre ça ?
Rhonda se redressa, ses doigts crispés sur l’accoudoir du fauteuil.
— Tu as raison. Nous devons mener des recherches sérieuses. Nous ne pouvons pas avancer tant que nous ignorons tout de cet obstacle.
Sans un mot de plus, elles entrèrent dans la maison.
Toute la journée, Collen n’avait pas été dans son assiette. Son téléphone vibrait sans cesse, mais plus les messages affluaient, plus il se sentait impuissant. Les actionnaires le pressaient, exigeaient des réponses qu’il n’avait pas. Il essayait de les convaincre, de les rassurer, mais rien n’y faisait : ils ne l’écoutaient plus. L’agacement, la défiance, tout semblait s’accumuler contre lui.Assis seul dans son bureau, il se prit la tête entre les mains. Si l’entreprise qui m’a façonné s’effondre… ce sera à cause de Chantelle. Et c’est elle qui devra en payer le prix.Le soir venu, il rentra chez lui, l’air sombre. Il ne toucha pas à son dîner. Sans même se déshabiller, il s’effondra sur son lit, les yeux fixés au plafond, sa tête lourde de pensées sombres et de pointillés inachevés.Un bruit sec l’arracha à son tourment. Des coups à sa porte. Collen se redressa d’un bond, ses sourcils froncés. Personne n’avait l’habitude de venir le déranger chez lui à une telle heure.— Entrez ! l
Il croisa les bras, la fixant avec sérieux.— Tu dois rester ici pour le moment et reprendre tes forces. Nous devons trouver une solution.— Il serait mieux que tu me laisses partir, insista-t-elle. Je veux réfléchir seule.Il esquissa un sourire amer.— Réfléchir ? Tu crois qu’en traînant sur un trottoir, les gens qui ont vu cette vidéo vont te prendre au sérieux ? Tu dois d’abord manger. Ensuite, on en reparlera.— Non, je n’ai pas…Elle n’eut pas le temps de finir. Il la coupa sèchement.— Chantelle, tu n’as pas mangé depuis hier. Et aujourd’hui encore, tu portes un fardeau qui dépasse tes forces. Alors que tu le veuilles ou non, tu vas manger. Et ensuite, on parlera.Stéphane quitta la chambre une nouvelle fois, claquant la porte derrière lui. Chantelle resta quelques secondes immobile, puis, furieuse, elle bondit du lit. Elle alla saisir la poignée et tira violemment. La porte était verrouillée de l’extérieur.— Ah ! cria-t-elle, frappant du poing contre le battant.Elle fit quel
En sortant du bâtiment du groupe Wilkerson, Gérard, Rhonda et Mégane furent aussitôt encerclés par une marée de journalistes. Le parking, déjà bondé de voitures, vibrait sous l’écho des flashs et des micros tendus.— Monsieur Lemoine ! s’écria l’un d’eux, caméra pointée. Quelles explications avez-vous à donner au public, maintenant que les vidéos et photos de votre fille circulent partout ?Un autre enchaîna aussitôt, plus incisif :— Monsieur Lemoine, comment vous sentez-vous face au comportement de votre fille ? Est-ce une question d’éducation ?La même question fut répétée plusieurs fois, sous différents tons, certains journalistes cherchant le scandale, d’autres la déclaration officielle.Gérard serra la mâchoire, inspira profondément et leva la main pour calmer la foule. Sa voix résonna, grave mais contrôlée :— Je tiens à présenter mes excuses au public concernant la honte que cette situation apporte à ma famille. Soyez-en assurés : je prendrai mes responsabilités. J’éduquerai p
Collen resta silencieux un instant. La voix brisée de Chantelle lui pinçait le cœur. Mais les faits étaient accablants. L’homme aperçu dans les vidéos et sur les photos n’était pas M. Reynolds, pourtant c’était celui qu’elle était censée rencontrer hier soir. Et, par coïncidence, le document important de l’entreprise avait disparu.Pour appuyer ses accusations, Collen sortit son téléphone et le brandit devant Chantelle.— Si tu penses que je t’accuse à tort, voilà… je t’ai tout envoyé, tout ce qui était nécessaire pour la réunion avec M. Reynolds. Dis-moi… qu’est-ce que tu faisais dans mon bureau ?Chantelle prit le téléphone, les mains légèrement tremblantes, et observa la vidéo. Ses yeux s’écarquillèrent : elle se voyait dans le bureau entrain de chercher un document dans le tiroir.— C’est moi… je l’ai fait… murmura-t-elle, la gorge serrée. Mais ce n’est pas le document dont tu parles. Le document que j’ai pris, c’est celui que j’avais pour la réunion.Collen fronça les sourcils, s
Son regard chercha Collen. Mais ce qu’elle y lut la paralysa : colère froide, méfiance, jugement.Elle tenta de se défendre, sa voix tremblante mais déterminée :— M. Wilkerson, je vous en prie… croyez-moi. Je n’ai rien fait qui pourrait déshonorer cette entreprise.Mais avant qu’elle ait pu terminer, une vague de reproches l’assaillit.— Comment avez-vous pu embaucher une personne pareille ? C’est vraiment décevant ! Et nous craignons que nos actionnaires se retirent de l’entreprise ! À cause de vous, nous risquons la faillite. Le groupe Wilkerson tient beaucoup à sa réputation. Je suggère que vous soyez renvoyée immédiatement et qu’on ne revoie plus vos pieds dans cette entreprise.Les larmes montèrent aux yeux de Chantelle. Son cœur battait à tout rompre, ses mains tremblaient. Elle s’approcha de Collen, suppliant :— Non, s’il vous plaît… croyez-moi, M. Wilkerson… je vous en prie…Il la fixa, le visage fermé, mais la voix trahissait un léger doute :— Tu sais, Chantelle… j’ai auss
Stéphane reprit son téléphone et entra dans la chambre d’amis. Chantelle était déjà habillée, mais son regard trahissait encore la fatigue et l’inquiétude. Lorsqu’elle croisa le regard troublé de Stéphane, elle sut instinctivement que quelque chose n’allait pas.— Stéphane, qu’est-ce qui se passe ?— Il faut que tu voies ça, dit-il en lui tendant son téléphone.Chantelle prit l’appareil et, en voyant ce qui s’affichait, sa bouche s’ouvrit légèrement, les yeux écarquillés. Son cœur se mit à battre plus vite, la confusion se lisait sur ses traits.— Quoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Je… je ne comprends plus rien, murmura-t-elle en tremblant.Sur l’écran, les réseaux sociaux et les médias regorgea