Chapitre 3

Dans ma vie précédente, Victoria s'était servie exactement de cette même excuse pour repousser notre cérémonie d'accouplement année après année.

Tant qu'elle ne donnait pas son accord, Grayson ne me marquerait jamais — il était complètement à sa merci dès qu'elle versait une larme.

En y repensant, j'ai esquissé un sourire amer, frottant machinalement la vieille cicatrice dans ma paume, une marque datant de l'époque où j'avais été griffée par un loup solitaire en protégeant mes toiles.

« Ouais, comme tu veux. »

De toute façon, qu'est-ce que ça changeait ? Grayson et moi n'allions jamais vraiment concrétiser cette cérémonie d'accouplement.

J'ai reposé mes baguettes et j'ai lâché : « J'ai fini. » En me retournant pour monter, j'ai capté du coin de l'œil Victoria qui coulait un regard vers Grayson, un sourire triomphant aux lèvres — elle avait encore gagné, utilisant sa « fragilité » pour me piquer ce qui aurait dû être ma cérémonie.

En observant ma silhouette résolue, Grayson s'est figé, couteau et fourchette en suspens.

Pour la première fois, il a senti que quelque chose avait changé chez moi : l'ancienne moi aurait supplié les larmes aux yeux « Pourquoi encore reporter ? » alors que là, j'étais si détachée qu'on aurait dit que je parlais des affaires de quelqu'un d'autre.

Il a voulu m'interpeller, mais Victoria a soudain porté la main à sa poitrine en toussotant : « Gray, j'ai un peu la tête qui tourne... »

Son attention s'est aussitôt détournée, sa main effleurant le front de Victoria, ratant complètement l'instant où mes pas se sont arrêtés sur le palier.

Les jours suivants, avec la cérémonie d'accouplement repoussée aux calendes grecques, Grayson a effectivement eu tout le loisir d'accompagner Victoria pour des virées touristiques aux quatre coins du pays.

La veille du départ, Victoria a débarqué dans ma chambre avec un manteau bien épais : « Ember, Gray, maman, papa et moi, on part dans les montagnes enneigées. T'as donné ton essence de loup et t'es lessivée, alors viens pas te geler pour rien. »

Tout en parlant, ses ongles ont délibérément griffé mon poignet — là où les marques de piqûre du dernier don étaient encore bien visibles. J'ai fixé la satisfaction mal dissimulée dans ses yeux et j'ai soudain revu qu'elle avait sorti la même tirade dans ma vie précédente, avant de se retourner pour se plaindre à la famille qu'« Ember a dit que les montagnes enneigées c'était chiant et qu'elle voulait pas m'accompagner ».

Effectivement, quand ils sont partis le lendemain, Maman m'a regardée avec une sollicitude de façade : « Ember, tu te sens pas bien, alors reste te reposer à la maison. Quand tu iras mieux, on ira tous ensemble. »

Et une fois de plus, on m'a laissée en plan.

Pour « partager » la joie de leur périple avec moi, Victoria m'a bombardée de photos de chaque endroit visité. Sur les clichés, elle trônait au sommet de pics enneigés dans des doudounes sur mesure que Grayson lui avait dégotées, entourée de la famille qui mitraillait ; à la plage, elle serrait une peluche géante offerte par Finn, avec en arrière-plan les feux d'artifice que maman et papa avaient préparés pour elle.

« Ember, c'est trop dommage que tu sois pas venue ! Gray m'a construit un bonhomme de neige énorme, encore plus grand que toi ! »

« Maman et papa ont dit que les sources chaudes ici sont top pour mon âme de loup, ils vont me prendre une villa avec spa pour qu'on puisse revenir souvent ! »

« Oh, et Ember, Gray m'a offert un collier lumineux. T'avais pas dit une fois que t'en voulais un ? Mais il a dit que ce modèle m'allait mieux~ »

Chaque message était comme un coup de poignard. J'ai effacé les photos une par une, puis j'ai éteint mon téléphone et j'ai commencé à faire mes valises — encore quelques jours avant que les papiers pour la forêt soient bouclés, et je serais enfin libre.

C'est là que j'ai soudain entendu du verre se fracasser en bas. Mes gestes se sont figés tandis que des flashs de ma vie précédente ont resurgi : à peu près au même moment, un loup solitaire avait fait irruption dans la maison, piqué les bijoux de maman et déchiqueté toutes mes toiles. À l'époque, j'avais appelé à l'aide, mais personne n'avait décroché — ils regardaient des feux d'artifice sur la montagne enneigée avec Victoria.

Aussitôt, l'alarme a sonné dans ma tête.

J'ai vite planqué mes toiles dans le compartiment secret sous le lit, contacté les forces de l'ordre du Conseil Alpha, puis j'ai attrapé une dague en argent et me suis cachée discrètement derrière la porte.

Le loup solitaire a effectivement grimpé par la fenêtre, fonçant droit vers la boîte à bijoux de maman. J'ai retenu mon souffle, attendant qu'il se retourne avant de bondir, mais il m'a repoussée violemment — mon âme de loup était encore en veilleuse, je ne faisais pas le poids.

Ses griffes ont tailladé mon bras, me faisant crever de douleur, mais j'ai planté mes dents dans son poignet pour l'éloigner du lit.

Heureusement, les agents sont arrivés pile à temps pour neutraliser le loup solitaire. Mais j'ai aussi dévalé les escaliers, mon front heurtant les marches, me laissant le visage en sang.

Quand toute la famille et Grayson ont débarqué en catastrophe, ils ont juste trouvé les agents qui repartaient pendant que j'étais affalée, débraillée, au milieu des débris, la plaie sur mon bras qui saignait encore.

Papa et maman sont restés sans voix, bégayant : « Tu... tu l'as chopé toute seule ? Pourquoi tu nous as pas appelés ? »

Victoria s'est aussitôt jetée dans les bras de maman, en sanglots : « Maman, c'est entièrement ma faute ! J'étais juste en visio avec Gray et les autres, en disant qu'Ember serait forcément en sécurité à la maison. Si j'avais su, j'aurais pas traîné aussi longtemps avec vous... » Tout en parlant, elle a lancé un regard entendu à maman — tu vois, c'est la faute d'Ember d'être têtue, on n'y est pour rien.

Les sourcils de maman se sont froncés comme prévu, son ton chargé de reproches : « Exactement ! Pourquoi t'as pas attendu qu'on revienne pour un truc aussi dangereux ? »

Même Finn, d'habitude si froid, a affiché une expression complexe. « Pourquoi tu joues les héroïnes ? La dernière fois, Victoria a dit que t'avais même peur d'un louveteau, comment ça se fait qu'aujourd'hui, t'as osé affronter un loup solitaire ? » — il se souvenait de l'affirmation précédente de Victoria selon laquelle « Ember est trouillarde, mais elle aime toujours frimer ».

J'étais épuisée au-delà des mots, la main qui serrait la dague tremblait encore. Grayson s'est soudain accroupi, tendant la main vers mon front, mais je me suis écartée. Ses doigts sont restés suspendus dans le vide, ses yeux remplis de panique : « Ça va, Ember ? T'es blessée ailleurs ? Je t'emmène à l'hôpital ! »

« T'es complètement inconsciente ! Pourquoi tu nous as pas contactés ? » Sa voix portait une trace de culpabilité à peine perceptible — tout à l'heure, Victoria n'avait cessé de répéter « Ember dort sûrement, la dérange pas », alors il ne m'avait vraiment pas appelée.

Je l'ai fixé faiblement et j'ai lâché : « À quoi ça aurait servi de vous contacter ? Vous seriez vraiment revenus en catastrophe pour moi ? »

Tout le monde a accusé le coup. Victoria a immédiatement réagi : « Ember, comment tu peux dire ça ? On s'est précipités dès qu'on a su ! Gray a même grillé tous les feux rouges ! » Elle a délibérément souligné « l'empressement » de Grayson tout en omettant soigneusement qu'ils s'étaient arrêtés lui acheter des souvenirs en route.

J'ai souri amèrement. Dans ma vie précédente, parce que je croyais qu'ils reviendraient, je les avais appelés un par un, pour finir torturée à moitié à mort par le loup solitaire.

En voyant mon attitude inhabituellement détachée, le froncement de sourcils de Grayson s'est accentué.

Il a soudain remarqué le bord d'un cadre photo qui dépassait de sous mon lit et allait poser une question quand Finn a pointé du doigt la valise par terre en gueulant : « T'as fait tes bagages — putain, tu comptes te barrer où ?! »