Samuel
La nuit était tombée comme une couverture épaisse, engourdie par les murmures du passé et les battements du présent. La lumière des étoiles s’épanouissait au-dessus de nos têtes, mais elle ne parvenait pas à percer la couche de tourments qui enveloppait nos cœurs. Clara était là, belle et fragile, prête à me rappeler une fois de plus la mémoire d’un homme que je n’étais pas. Pourtant, cette nuit-là, une tension électrique flottait dans l’air, une alchimie à l’œuvre que je ne pouvais ignorer ni amputer sans danger.
Après avoir préparé le dîner, un repas agrémenté de rires forcés et de silences lourds, nous nous étions assis à la table. Les plats avaient été dressés avec soin, mais les saveurs se mélangeaient avec celles de l'anxiété. Le cliquetis des couverts résonnait comme une mélodie familière, mais sans harmonie. Les mots faisaient surface comme des bulles de savon, beaux mais éphémères, incapables de dévoiler la profondeur des sentiments qui nous habitaient. Clara, profonde et réfléchie, semblait être une mer calme en surface, alors que j’étais conscient des tempêtes qui se tramaient sous l'eau.
Après la vaisselle, un lourd silence regna dans la cuisine. Clara se leva soudainement et proposa une promenade dans le jardin aux fleurs sauvages qui commençaient à s’épanouir, malgré l’obscurité environnante. J'acquiesçai, sentant que cette sortie serait une échappatoire pour nous deux. Alors que nous sortions, le doux parfum de la terre humide s'éleva autour de nous, une senteur de renouveau et de mystère.
Nous marchâmes côte à côte, et Clara brisa le silence.
— "Tu sais, parfois, je me rappelle de notre vie ensemble , de nos débuts ," dit-elle d’une voix douce, presque mélancolique. "Je me rappelle des nuits où l’on ne voulait pas dormir, où l'on discutait de tout et de rien…"
Je l'écoutai, le cœur lourd. Chaque souvenir partagé était comme une lame qui transperçait un peu plus la façade que j'avais construite, en même temps qu'elle me faisait ressentir le poids du rôle que je jouais. L’idée de lui dévoiler la vérité sur Alexandre, de briser cette illusion que je maintenais avec tant d’angoisse, m’agitait comme un poison sur le bout de ma langue. Mais une voix dans ma tête me disait que je n'étais pas prêt à voir le regard de désillusion dans ses yeux.
Un léger vent soufflait, et je m’efforçai de rester présent, d'écouter sans me perdre dans mes pensées. Clara se leva sur la pointe des pieds pour admirer les étoiles. Elle avait l’air si vulnérable, si belle, que je fus pris au piège par la profondeur de son regard. Je bougeai en avant, mes doigts effleurant sa peau comme une caresse fragile. Au moment où elle se tourna vers moi, c’était comme si le temps s’était arrêté, capturant l’essence même de l’instant.
— "Clara," murmurai-je, "si tu savais à quel point je veux être là pour toi..."
Elle ne laissa pas le temps à ma phrase de se terminer. Dans un élan soudain, elle s’avança, ses lèvres se posant sur les miennes avec une force desperate mais tendre, comme si elle cherchait à combler un vide béant. Je fus pris de court par la douceur de ce baiser, mais à la fois, je ne pouvais ignorer la gravité de ma situation. Mon cœur battait à tout rompre, tiraillé entre mon besoin de la réconforter et celui de préserver la vérité.
Ce baiser, au début hésitant, se mua rapidement en un échange passionné, presque désespéré. Clara s’accrochait à moi, cherchant une connexion que je ne pouvais lui offrir qu'en tant qu'imposteur. Nos âmes semblaient chercher à s’unir malgré la tourmente. La chaleur de son corps, la douceur de sa peau contre la mienne me faisaient oublier, le temps d’un instant, les mensonges que je vous.
Alors qu’elle me décrochait ses bras pour prendre du recul, je ne pus m’empêcher de l’attirer encore plus près. Je sentis son souffle chaud sur mon visage, tout en réalisant que nous étions désormais deux âmes en quête l’une de l’autre.
Clara se mit à sourire, ce sourire empreint d’un mélange de tristesse et d’espoir, éclairant son visage. Il était à la fois réconfortant et déchirant. Je la pris doucement par la taille, et nos lèvres se retrouvèrent une nouvelle fois, ce désir primal entre nous grandissant à chaque seconde.
Les ombres de la nuit semblaient danser autour de nous alors que nous nous éloignions de la réalité, nos corps se rejoignant dans un ballet d'émotions. Clara se mit à rire, un son clair qui résonna comme une douce mélodie sous les étoiles. Je l’entraînai vers notre chambre, bien consciente que cette nuit était le seuil d’un territoire inconnu pour moi .
Je l'amène dans notre chambre , pour ne pas dire leur chambre , la lumière tremblotante d’une bougie projetait des ombres dansantes sur les murs, créant un univers intime et secret. Les draps étaient frais, préparés à accueillir ce qui se profilerait comme une nuit inoubliable. Je l’étirai lentement contre moi, chaque mouvement étant une promesse sans mots.
Je l'embrasse avec passion , je la déshabille rapidement , je découvre le corps de la femme de mon frère . Elle est magnifique . Je prends une minute pour contempler son corps , puis je me déshabille et je la rejoint dans le lit :
- Tu es magnifique ma chérie .
À mesure que nous nous rapprochions, chaque geste, chaque soupir devenait plus intense, presque sacré. Les incertitudes qui nous séparaient se dissipaient lentement, remplacées par une admiration silencieuse. Je touchai ses cheveux, jouant entre mes doigts avec une délicatesse extrême, m’imprégnant de la chaleur de son corps. Puis, je glissai mes mains le long de ses bras, ses bras si fins pourtant si pleins de vie, jusqu’à qu’ils se posent sur ses hanches. Mes lèvres cherchèrent à deviner les contours de son doux visage, découvrant la douceur de sa peau.
Nous étions acteurs de notre propre histoire, unis pour une nuit mais finalement si éloignés. Alors que nos lèvres fusionnaient, son parfum m’enivrait, et j'oubliais, même si ce n’était que pour un instant, que je n’étais pas le véritable homme dont elle rêvait.
Chaque baiser se faisait plus ardent, enveloppant notre être dans une chaleur dévorante. Clara me tenait fermement, ses doigts s’accrochant à moi comme si je pouvais la sauver de ses peurs. Je ne savais pas combien de temps nous pourrions vivre cette illusion, mais je savourai chaque seconde.
Alors que nous nous perdions dans nos étreintes, je ne pouvais m’empêcher de penser à Alexandre, à l'ombre qu'il représentait. Mais ce soir n’appartenait qu’à Clara et à moi. Dans le tumulte de cette passion, je frémissais à l'idée qu’il serait peut-être possible de devenir autre chose que l’ombre d’Alexandre.
Nous nous effondrâmes sur le lit, nos corps entremêlés. L'espace entre nous se réduisit à néant alors que l'intensité de cette nuit se révélait à nous. Nous étions deux âmes en quête de réconfort et de connexion dans une nuit d'oubli, partageant quelque chose d'irréel mais profondément humain.
Toutefois, au fond de moi, une voix murmurait que lorsque le soleil se lèverait, nous devrions à nouveau faire face aux vérités et aux débris de cette illusion. Clara et moi, piégés entre les ombres de nos désirs et les réalités inéluctables, allions passer une nuit torride, une nuit d’errance et de découverte, mais au matin, tout deviendrait plus clair, et les secrets finiraient par resurgir.
Samuel Les jours se succédaient, dans une spirale qui m'échappait de plus en plus. Chaque matin, je me levais dans l’appartement d’Alexandre, me forçant à revêtir son masque, à marcher dans ses pas, à devenir celui que j'avais à peine connu. À la surface, je n'étais rien d'autre qu'un homme qui essayait de survivre à un monde de mensonges. Mais au fond de moi, un feu brûlait, une détermination sans faille. Je devais savoir. Je devais comprendre.Ce matin-là, je me trouvai face à un dilemme. Clara était partie en course, et Lucas, son fils, était à l'école. C'était l'occasion rêvée pour fouiller un peu plus dans les affaires de mon frère, peut-être y trouver des indices qui m'échapperaient dans la vie quotidienne. Mon esprit tourbillonnait encore autour de la question qui m’obsédait : Qui avait tué Alexandre ? Et pourquoi ?Je me dirigeai vers son bureau, un coin isolé de l’appartement où il passait des heures à travailler. Un bureau ordonné, presque clinique, mais je savais que dans
Je restai là, dans l’ombre, observant Damien Rousseau. Chaque mouvement qu'il faisait était une promesse de réponse, une promesse que, finalement, cette rencontre serait la clé qui ouvrirait la porte à la vérité. Ses yeux, sombres et perçants, balayaient la pièce avec une attention presque malade. Il était conscient de tout, mais il ne semblait pas me remarquer. Il était un homme qui vivait dans l’ombre, qui portait une lourde histoire sur ses épaules.Je pris une longue inspiration et me levai, en me glissant entre les tables. Ma main effleura la poche de mon manteau, où le carnet d'Alexandre reposait comme un poids supplémentaire, une relique que je n'osais plus regarder. J’étais là pour une autre raison, et il n'était pas question de me laisser distraire. Le rendez-vous était fixé. À 22h. Et je devais être là, face à lui, en temps et en heure.Damien ne remarqua pas mon approche tout de suite. Je m’assis à une table proche du comptoir, de façon à ne pas attirer l'attention, mais as
Le silence entre nous deux pesait lourdement, comme une tempête prête à éclater. Je pouvais sentir l'air se charger d'une tension palpable. Damien Rousseau m’observait avec un regard froid, presque amusé, comme s’il savait exactement ce que j’allais faire. Mais moi, je n’étais plus sûr de rien. Chaque mot qu’il prononçait semblait me tirer un peu plus loin de ce que je pensais être la réalité. Mais je n'avais pas le choix : il fallait que j'avance, même si cela me conduisait à l’inconnu.Damien se recula lentement, posant ses mains sur la table avec une lenteur calculée. Il prit une gorgée de son verre sans me quitter des yeux, savourant l'instant, comme si tout ceci n'était qu'un jeu. Mais pour moi, c’était bien plus. Il détenait des réponses. Il savait.— "Tu penses que la vérité est simple ?" Il laissa échapper un rire faible, presque ironique. "Si tu veux vraiment savoir ce qui est arrivé à ton frère, prépare-toi à plonger dans un monde que tu n'es pas prêt à comprendre."Je n'ava
Je quittai le bar, le bruit de mes pas résonnant dans la ruelle déserte. L’air frais de la nuit me frappait le visage comme un coup de fouet, me ramenant brusquement à la réalité. Le monde semblait s’être élargi, comme un labyrinthe dont je ne connaissais pas encore les recoins. J’avais appris des choses, certes, mais pas assez. Luca Vallon. Un nom dont la simple évocation m’inquiétait. Un homme dont le pouvoir semblait infini, et qui m’échappait déjà, bien que je ne fusse qu’au début de cette recherche.Damien m’avait laissé dans un état de confusion presque total. Il n’avait pas tout dit, bien sûr. Il ne m’avait pas donné toutes les pièces du puzzle. Mais il m’avait ouvert une porte, et j’étais désormais incapable de faire demi-tour. L’idée que mon frère ait pu se retrouver dans une situation si périlleuse, qu’il ait cherché à stopper un homme comme Vallon, me perturbait au plus haut point. Pourquoi lui ? Pourquoi pas quelqu’un d'autre ?Je rentrai dans l'appartement d'Alexandre ave
Samuel Le cœur battant, je pris une profonde inspiration. La détermination me parcourait, mais la peur de ce que j’allais découvrir me tordait l’estomac. Je savais que ce soir marquerait un tournant décisif dans ma quête pour construire notre histoire, même si cette quête impliquait de jouer à un jeu de dupes. L’heure avançait, et Lucas devait être couché avant que je m’engage dans cette nouvelle étape. Après avoir joué avec lui, lu une histoire et éteint la lumière de sa chambre, je me sentis soulagé. C’était un moment précieux, une pause dans ce tumulte intérieur. Lucas dormait paisiblement, comme un ange, insouciant des complexités du monde des adultes. Je quittai sa chambre, me dirigeant vers la salle de bains pour me remettre les idées en place. L'eau chaude de la douche serait une douce évasion de mes pensées tourmentées.Je me déshabillai et allai me glisser dans la chaleur de l’eau. Les gouttes ruisselaient sur ma peau, emportant avec elles une partie des tensions accumulées
Le lendemain, le soleil se leva lentement à l’horizon, éclairant doucement notre chambre. La lumière dorée filtrait à travers les rideaux, s’immisçant dans chaque recoin, dévoilant les ombres de la nuit précédente. La chaleur de l'aube s'installait dans l’air, mais ce n’était rien comparé à l’énergie qui pulsait encore dans mes veines après cette nuit d'amour folle.Je me réveillai doucement, mes yeux se balançant entre le rêve et la réalité. À mes côtés, Clara dormait paisiblement, son visage apaisé, une lueur de sérénité sur ses traits. Ses cheveux, en désordre, encadraient son visage comme une auréole. Je pris un moment pour l’observer, notant les petites imperfections qui la rendaient encore plus belle : un sourcil légèrement froncé, des cils longs qui frémissaient à chaque respiration. Cette image était gravée dans ma mémoire, mais elle me rappelait aussi combien je devais encore faire face à la complexité de notre situation.Je glissai doucement hors du lit, prenant soin de ne p
La nuit était tombée, enveloppant la ville d’un manteau d’obscurité. Les rues étaient tranquilles, presque désertes, comme si l’air lui-même attendait quelque chose. L’odeur de l’asphalte humide se mêlait à celle des arbres voisins, et la lumière des réverbères dessinait des ombres étranges sur les pavés. C'était la ville que je connaissais, mais ce soir-là, elle semblait différente, plus menaçante, comme si elle cachait des secrets que je n'étais pas prêt à découvrir.Je me trouvai devant l’adresse inscrite dans les carnets d’Alexandre. Un petit immeuble ancien, à l’architecture discrète, presque invisible parmi les autres bâtiments. L'endroit semblait tranquille, mais tout en moi me disait que je m’aventurais dans un territoire inconnu, un terrain miné. J’étais sur le point de rencontrer quelqu'un qui aurait peut-être la clé de tout ce qui m’échappait.Le temps d’un instant, je m’arrêtai devant la porte d’entrée. Je pris une grande inspiration et appuyai sur la sonnette. La vibratio
Je restai là, figé, le dossier entre mes mains, mon esprit tourné vers ce que je venais d’entendre. Eva avait été claire : ce n’était pas juste Luca Vallon qui représentait un danger. Il y avait quelque chose de bien plus vaste, de plus puissant, qui se dissimulait dans l’ombre, une organisation aux ramifications profondes. Si Alexandre s’était attaqué à ce monstre invisible, il n’avait pas mesuré l’ampleur de sa propre chute.Je sentais l’air se faire plus lourd autour de moi. Un poids qui écrasait ma poitrine, me coupant la respiration. Mais je ne pouvais pas m’arrêter. Je n’avais plus le choix. Si mon frère était mort pour avoir cherché à comprendre ce qui se passait dans l’ombre, je devais continuer. Je devais savoir. Et je devais les arrêter.Eva se leva et se dirigea vers une autre étagère, là où se trouvaient des documents encore plus anciens, plus secrets. Elle semblait chercher quelque chose, ses gestes lents et calculés. Je n’avais pas le temps d’attendre, mais quelque chose
ÉliseJe cours sans réfléchir, portée par la main de Samuel, tirée dans l’ombre d’un homme que je ne connais pas.Et pourtant, quelque chose en lui m’est familier.Son allure.Son silence.Son regard, vu à peine une seconde, qui ne laissait place à aucun doute : cet homme est né de la guerre.La pluie me claque le visage, me noie les pensées, mais je continue.Samuel grogne à chaque pas, il serre les dents pour ne pas hurler — je vois bien qu’il saigne.Mais il ne ralentit pas.Il court, malgré la douleur.Parce qu’il la connaît déjà, cette douleur.Parce qu’elle lui appartient.Nous prenons un virage sec dans une rue plus étroite encore, puis une porte métallique s’ouvre devant nous, poussée par le frère fantôme.Alexandre.Il ne prononce pas un mot.Pas une question.Pas une explication.Il entre.Nous le suivons.Et la porte se referme derrière nous avec un grondement sourd, comme un couperet.L’intérieur est sombre, humide.Une vieille cave ? Un abri ? Un lieu oublié du monde.Je
SamuelJe serre la main d'Élise sous la table.Elle tremble à peine, mais je le sens.Elle aussi a compris.Quelque chose de terrible se prépare.Pas seulement l’attaque.Pas seulement la violence.Autre chose.Quelque chose qui remue l’âme, qui fouille dans les entrailles, qui réveille des souvenirs que je croyais morts et enterrés.Un instinct ancien griffe l'intérieur de mon crâne, hurle que le pire est à venir.Je jette un œil aux clients autour de nous.Ils commencent à paniquer.Certains se lèvent précipitamment, renversant leurs verres, bousculant les chaises.Le serveur crie d’appeler la police.Trop tard.Beaucoup trop tard.Je me lève d'un bond, tirant Élise avec moi.Elle ne pose pas de questions. Elle sait lire l'urgence dans mon regard.On fonce vers l'arrière du restaurant, bousculant une serveuse en larmes, ignorant les protestations paniquées.Mon cœur tambourine dans ma poitrine, battant un rythme frénétique dans mes oreilles.La porte de service.Notre seule issue.M
AlexandreLa pluie commence à tomber au moment où je m’éloigne du café.Des gouttes lourdes, glacées, cognent contre ma capuche. Chaque impact résonne comme un rappel brutal de ce que je m'apprête à faire.Chaque pas claque sur l’asphalte fendu, chaque battement de mon cœur martèle l’évidence : cette fois, je ne peux pas rester spectateur.Pas cette fois.Je glisse dans une ruelle étroite, engloutie par l’ombre. Le téléphone volé vibre dans ma paume.Un message s’affiche."Équipe 2 en place. Fin de mission avant 23h00."Pas minuit.Vingt-trois heures.Ils accélèrent.Ils sentent que quelque chose dérape.Ils vont frapper plus tôt, plus fort, sans subtilité.Et cette fois, ils n’attendront pas poliment devant un vieux café.Je me mets à courir.Pas pour fuir.Pour traquer.Je dois trouver qui tire les ficelles. Couper la tête du serpent avant qu’il ne crache son venin.Avant qu'il ne touche Samuel.Je connais ces jeux.Je les ai joués.Je les ai gagnés.Et j’en ai perdu bien trop.Un c
AlexandreIl ne sait pas que je suis là.Depuis la rue, dissimulé sous ma capuche, je les observe à travers la vitre craquelée du vieux café.Samuel.Mon frère.Mon double.Celui qui m’a cru mort pendant tout ce temps. Celui que j'ai laissé croire au pire, par nécessité... ou par lâcheté.Je vois ses épaules, tendues sous le poids d'un monde qu'il essaie encore de porter seul.Je reconnais sa posture, ce léger tremblement qu'il cache aux autres, cette rage froide qui bout sous sa peau.Et face à lui, la fille.Élise.La faille.Le point où tout en lui se désarme, où ses défenses tombent.Elle ne s’en rend même pas compte, mais elle est en train de le sauver — doucement, silencieusement.Je serre les dents.Ce n’est pas de la jalousie qui me noue les tripes. Ce n’est pas non plus de la haine.C’est pire.C’est ce vide en moi, ce gouffre que Samuel a fui en se raccrochant à une main tendue... pendant que moi, je me laissais engloutir.Je pourrais partir.Tourner les talons.Laisser cett
SamuelJe reste sur ce banc longtemps après son départ, le papier serré dans ma main moite.Le monde continue de tourner autour de moi — les enfants crient, les feuilles bruissent sous le vent d’avril, les conversations flottent dans l’air comme des bulles prêtes à éclater — mais moi, je suis figé.Il n’y a plus que cette adresse, cette minuscule ligne d’encre, qui bat contre ma paume comme un deuxième cœur.Je sais ce que ça signifie.Ce soir, je n’aurai plus d’excuses.Ce soir, je ne serai plus seulement celui qui observe depuis l’ombre, qui prétend avoir le temps.Ce soir, il faudra choisir. Définitivement.Je ferme les yeux un instant, le souffle court.Je suis tellement habitué aux ordres, aux missions, aux manipulations, que le simple fait de devoir faire un choix libre me terrifie plus que n’importe quelle arme pointée sur moi.Mais je le ferai. Pour elle. Pour moi aussi, peut-être.Je me lève, range le papier dans ma poche, et je pars avant que le doute ne me rattrape.---La
SamuelJe relis l’adresse, encore et encore, comme si les lettres pouvaient s’effacer sous mes yeux, comme si ce choix pouvait disparaître s’il me faisait trop peur.Il n’y a que trois rues à traverser pour atteindre ce lieu qu’elle m’a indiqué. Trois rues qui pèsent comme trois continents. Chaque pas est une trahison silencieuse de celui que j’étais censé être. Chaque pas me pousse un peu plus loin de l’ombre où j’ai vécu trop longtemps.Le vent est frais ce soir. Il soulève des odeurs de bitume, de bois mouillé, et de feuilles mortes. L’air a un goût de fin d’été, de promesses épuisées. Mon cœur cogne trop vite contre mes côtes. Je ne devrais pas avoir peur. Je suis censé être l’homme sans attaches, celui qui observe, qui manipule, qui disparaît avant que quiconque ne réclame quoi que ce soit.Mais Élise n’a rien réclamé.Elle a tendu la main.Et je suis celui qui doit prouver que je peux la prendre sans la souiller.Je m’arrête devant une petite maison. Vieille, sans charme particu
ÉliseIl revient.Je le vois de loin, assis sur le même banc, mais aujourd’hui, il est plus proche du bord, comme s’il s’autorisait à frôler ma réalité. Il n’a pas ouvert son livre. Il ne fait même pas semblant de lire. Le simple fait qu’il soit là, à découvert, presque vulnérable, me serre le ventre.Je ne suis pas surprise. Pas vraiment. C’est comme si mon corps, avant même mon esprit, avait su qu’il reviendrait. Comme une de ces douleurs fantômes qu’on apprend à apprivoiser, qu’on cache dans un coin de la poitrine, en espérant qu’elle se taise.Il est là.Et moi, je suis là aussi.Mon fils court devant moi, la joie simple de l’enfance éclatant dans ses pas. Il lance un cri aigu en direction du bac à sable, s’arrête, regarde Samuel et, sans hésiter, lui adresse un petit salut de la main. Samuel répond d’un geste tout aussi doux. Ils se reconnaissent déjà, d’une manière que je n’ai pas encore acceptée.Je m’avance, comme on marche vers une frontière.— T’es revenu, je murmure, presqu
ÉliseIl y a quelque chose dans ses silences qui me trouble plus que mille paroles.Samuel.Ce nom tourne dans ma tête comme un écho qu’on n’arrive pas à faire taire. Je le regarde, chaque matin, assis sur ce banc. Il ne parle pas beaucoup. Il lit. Il écoute. Il me répond parfois avec un sourire doux, presque maladroit. Comme s’il avait peur que je le devine.Et pourtant, je sens bien qu’il cache quelque chose.Personne ne choisit ce banc par hasard. Pas à cette heure, pas chaque matin. Personne ne s’attarde dans le parc d’un quartier aussi gris sans raison. Et surtout, personne ne me regarde comme lui le fait… avec cette espèce de mélancolie retenue, comme s’il s’excusait d’avance de ce qu’il allait me faire.Je suis fatiguée de fuir. Fatiguée de deviner.Alors demain, je lui poserai la vraie question.Celle qui ne se camoufle plus derrière la politesse.Celle qui dit : “Qui es-tu vraiment, Samuel ?”---SamuelElle est venue plus tôt ce matin.Son fils tenait sa main, comme toujours
Élise Mais s’il est comme moi…S’il est juste un autre cœur blessé sous une autre peau brisée…Alors peut-être qu’on pourra, ensemble,changer les règles.Ou au moinsarrêter de se mentir.Ralentir le temps.Laisser nos silences se parler.Parce qu’à force de survivre,j’ai oublié ce que c’étaitd’être simplement en vie.Et si lui aussi l’a oublié…Alors peut-êtrequ’on peut se rappeler ensemble.— SamuelIl y a quelque chose dans sa manière de se tenir.Raide mais fragile.Comme une tour qu’on aurait reconstruite trop vite après un séisme.Elle me regarde comme si j’étais un fantôme.Ou pire : comme si elle m’attendait depuis toujours sans en avoir conscience.Et moi, je reste là.Assis sur ce banc que je n’ai pas choisi par hasard.À prétendre lire un livre que je connais par cœur depuis des années.Elle pense que je suis tombé sur elle par hasard.Mais rien, avec elle, ne sera jamais dû au hasard.---Je m’appelle Samuel.Enfin, ici, c’est le nom que j’utilise.Il y en a eu d’autr