GabrielleJe referme la porte après son départ. Lentement. Comme si le simple bruit du bois pouvait rompre le fil fragile qui me maintient encore debout. Le cliquetis du loquet me semble sourd, lointain. Il résonne comme une fin. Ou peut-être un commencement.Il est venu. Il a parlé. Il a demandé pardon.Et je ne ressens ni triomphe, ni soulagement, ni cette justice émotionnelle qu’on imagine recevoir après des années de douleur. Juste… une immense fatigue. Écrasante. Comme si mon corps portait enfin le poids de toutes ces années à faire semblant. À sourire alors que je m’effondrais à l’intérieur. À supporter ce qu’aucune femme ne devrait jamais tolérer sous prétexte d’amour.Je m’assois à mon bureau, mais je ne touche ni aux papiers, ni à l’écran. Mes mains sont posées à plat sur le bois, immobiles. Mes yeux se perdent dans le vide, glissant au-delà des murs, au-delà du présent.Samuel.Il m’a regardée comme un homme regarde une étoile qu’il sait ne jamais pouvoir atteindre à nouveau
SamuelJe tourne le volant un peu trop brusquement et la voiture grince comme si elle partageait ma colère. J’ai l’impression de brûler de l’intérieur. D’une colère noire, sourde, qui ne veut pas s’éteindre.Elle était là. Debout. Face à moi. Elle m’a regardé avec cette lueur nouvelle dans les yeux. Une force. Une rébellion. Ce feu qu’elle avait perdu et que quelqu’un d’autre a ravivé.Pas moi.Lui.Je me gare en double file, claque la portière sans me soucier du monde autour. J’ai besoin d’air. D’un coup. D’un sens. Gabrielle m’échappe. Comme du sable entre les doigts. Et plus je serre, plus elle fuit.Je monte à mon appartement. Je jette la veste sur le canapé. J’arrache ma cravate. Tout m'étouffe. Le silence. Le vide. L’absence.Je la revois. Droite. Inébranlable. Comme si elle n’avait plus peur de moi. Comme si j’étais devenu un écho lointain.Tu croyais m’avoir enfermée.Ses mots me claquent encore en pleine tête.Je l’ai enfermée.Oui. Je l’ai faite prisonnière de mes choix, de
AlexandreElle dort.Sa respiration est lente, profonde. Sa main repose contre ma poitrine, comme un ancrage. Et moi, je reste éveillé. Pas parce que je doute d’elle. Pas parce que je la surveille. Mais parce que je sens au creux de mes entrailles que le calme ne durera pas.Gabrielle m’a regardé ce soir comme elle ne l’avait jamais fait. Droite. Fière. Libre.Elle est revenue avec cette étincelle dans les yeux que je croyais perdue. Cette force tranquille qu’elle cache trop souvent derrière les compromis. Ce feu qu’elle retient pour ne pas tout brûler. Mais moi, je l’ai vu. Ce brasier. Et il m’a foudroyé.Je passe une main sur son dos, lentement, comme pour m’assurer qu’elle est bien là. Que ce n’est pas un rêve. Je l’ai aimée dès l’instant où j’ai compris combien elle luttait pour garder la tête hors de l’eau. Mais ce soir… ce soir, j’ai envie de l’aimer autrement.Pas pour la sauver.Pas pour l’enfermer dans mes doutes.Mais pour l'accompagner dans sa tempête.Elle bouge un peu, mu
Clara Le silence est lourd après son départ. Pas pesant, non. Mais chargé. De ce qui vient d’être dit. De ce qui n’a pas encore été dit. Je reste allongée, immobile, comme si le moindre mouvement risquait de faire fuir cette lumière naissante qu’on vient à peine d’allumer. J’inspire profondément. L’odeur de lui est encore partout. Dans les draps, sur ma peau, dans mes cheveux. Comme une empreinte. Une brûlure douce. Et je la laisse là. Je ne cherche pas à la laver.Je me lève enfin, enveloppée dans un peignoir trop grand. Le miroir me renvoie une image étrange : celle d’une femme debout après le chaos. Échevelée, les yeux cernés, mais vivante. Une survivante. Je ne sais pas exactement de quoi, mais j’ai la sensation d’être sortie d’une tempête. Et je sais qu’il y en aura d’autres. Ce n’est pas fini. Loin de là.Sur la table, une tasse de café encore tiède. Il l’a faite avant de partir. Ce détail me frappe au cœur. Il a pensé à moi, malgré tout. Malgré la méfiance, malgré les plaies m
Clara GabrielleLe matin ne filtre pas encore par les rideaux élimés de la chambre. La lumière timide de l’aube hésite encore à naître. Pourtant, mes paupières s’ouvrent. Pas à cause d’un bruit, ni d’un rêve. Non. C’est mon corps qui sait. Quelque chose a changé. L’air n’est plus tout à fait le même. Il ne sent plus le renfermé, ni l’asphalte mouillé de la veille. Il sent lui. Alexandre.Sa peau mêlée à la mienne, ses bras enroulés autour de mon ventre comme s’il voulait m’ancrer à lui, comme s’il avait peur que la nuit me reprenne. Qu’elle efface ce qu’on vient de recoller. Il dort encore. Je le sens. Sa respiration est lente, mais irrégulière, presque douloureuse. Comme s’il luttait, même dans son sommeil, contre les ombres que je lui ai laissées. Ou celles qu’il garde, enfouies sous la surface.Je me retourne lentement, pour ne pas briser ce fragile équilibre. Son visage est à quelques centimètres du mien. Il est là. Si proche, si réel. Ses traits sont plus doux dans le sommeil, ma
Clara GabrielleL’air sent le vieux tabac froid et l’asphalte humide quand j’entre dans la chambre de ce motel sans nom. Une lumière jaune filtre à travers un abat-jour poussiéreux, dessinant des ombres instables sur les murs. Le papier peint se décolle à certains endroits, le sol craque sous mes pas, et l’odeur d’humidité colle à la peau. Rien ici n’est accueillant. Rien, sauf lui.Alexandre referme la porte derrière moi sans un mot. Je l’entends tourner la clé. Son geste est sec. Définitif. Comme s’il venait de sceller un pacte. Comme si, après ça, il n’y aurait plus de retour possible.Je me retourne lentement.Il me regarde comme s’il ne sait pas encore s’il va me prendre dans ses bras… ou m’arracher le cœur.Son silence est plus brutal que n’importe quel cri.— Assieds-toi, dit-il enfin.Sa voix est grave, rauque, tremblante sous la tension contenue. Je m’exécute. Le lit grince sous mon poids. Il reste debout, les bras croisés, le dos tendu. Sa mâchoire est serrée, ses yeux sombr