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Chapitre 2 — Sous la pluie, le feu

Author: Darkness
last update Last Updated: 2025-06-22 21:43:12

Lira

Il est trop grand.

Trop lourd.

Trop vivant.

Je suis restée là, un long moment, agenouillée à ses côtés, la main posée sur son flanc brûlant, incapable de bouger. Incapable de comprendre pourquoi je ne fuis pas. Pourquoi je ne m’envole pas, comme toute fée saine d’esprit le ferait en présence d’un dragon blessé.

Mais je ne peux pas.

Parce qu’il est là.

Et parce qu’il me regarde.

La pluie ruisselle sur nos corps. Elle frappe la terre brûlée, s’évapore en volutes autour de lui. Sa chaleur est telle qu’elle repousse l’eau, la transforme en vapeur avant même qu’elle ne le touche. Il est couché sur le flanc, les ailes repliées contre son corps, l'une d’elles tordue à un angle qui me donne la nausée.

Je pose mes deux mains sur son torse. Je pousse. Rien ne bouge.

— Je dois t’abriter, murmuré-je dans un souffle.

Mais c’est ridicule. Je pourrais peut-être soulever un renard. Un lutin épuisé. Pas un dragon.

Je me redresse, les jambes tremblantes. Mon souffle se fait court.

Il gémit. Un son si rauque et profond que mes genoux fléchissent.

Pas de douleur. Pas seulement.

Ce gémissement me touche dans une langue que je ne comprends pas. Quelque chose de très ancien. Une supplique. Une promesse. Un avertissement.

Je m’approche de son museau. Il ne bouge pas. Ses narines frémissent au rythme de sa respiration saccadée. Ses paupières à moitié closes trahissent une lutte intérieure. La douleur, sûrement. Peut-être la fièvre.

Mais aussi… moi ?

Je le dérange. Ou je le trouble.

Peut-être les deux.

— Je ne peux pas te déplacer. Pas seule. Pas maintenant.

Il cligne lentement de l’œil. Il m’entend. Peut-être me comprend-il. Peut-être pas. Mais il ne me chasse pas. Ne m’écrase pas sous sa patte. Il pourrait. D’un simple geste.

Et pourtant je suis là, à ses pieds. Minuscule. Fragile.

Et il me laisse approcher.

Je retire mon sac, trempé, et fouille à l’intérieur avec des gestes fébriles. Des herbes, des onguents, des racines... Rien de fait pour un dragon. Rien d’assez fort. Mais je dois faire quelque chose.

Je refuse de le laisser mourir.

Je refuse de le perdre.

Même si je ne sais pas encore ce qu’il est pour moi.

Mes doigts frôlent à nouveau son écorce d’écailles. Là, juste sous l’épaule, une plaie béante. Saignante. Noire sur noir. Je n’ai jamais vu de sang de dragon. Je pensais qu’il était doré, comme la légende.

Mais celui-ci est rouge sombre. Épais. Chaud comme de la lave.

Je tends un tissu, l’approche doucement.

— Je vais nettoyer. Doucement, d’accord ?

Il ne bouge pas. Mais sa queue tressaute légèrement, soulevant des braises humides.

Je pose le linge. Le contact est brûlant, mais je ne recule pas. Je presse. Il grogne.

Et quelque chose en moi se serre.

Pas seulement par peur.

Mais par ce frisson qui me prend chaque fois que je sens sa chaleur contre ma peau. Ce frisson qui descend le long de ma colonne, qui s’enroule autour de ma taille comme une promesse dangereuse.

Je continue. Essuie. Presse. Recouvre.

À chaque geste, je le sens. Non seulement son corps, mais cette énergie. Ce magnétisme. Il s’insinue en moi. Il me reconnaît.

Il m’absorbe.

Je sens mes ailes vibrer.

Pas de froid. Pas de fatigue.

De désir.

Et c’est insensé.

Je suis une fée. Lui, un dragon. Une créature de feu et d’ombre. Je devrais fuir ce que je ressens.

Mais mes paumes s’attardent sur lui.

Mes doigts le frôlent comme on frôle une peau aimée.

Et mon souffle se fait plus court.

Il bouge légèrement. Sa tête se tourne, lentement, si lentement. Son œil doré plonge à nouveau dans le mien.

Il ne me voit pas comme une fée.

Il me voit.

Comme si j’étais autre chose. Autrefois.

— Qui es-tu… ? soufflé-je, à peine audible.

Il ne répond pas, bien sûr. Mais son souffle m’enveloppe. Il est chaud, épais, enivrant. Il sent les braises, le vent brûlé et une odeur qui me chavire : celle de la foudre, de la terre mouillée, du feu ancien.

Mon ventre se serre.

Mon cœur pulse.

Et je ne sais plus si je le soigne ou si je me perds.

Je m’assois enfin à côté de lui, mes jambes croisées sous moi, trempée jusqu’à la moelle, mais brûlante à l’intérieur. Je pose ma main sur sa patte blessée, ferme les yeux, et laisse ma magie couler lentement en lui.

C’est instinctif. Risqué. Je ne sais pas ce que ça fera.

Mais je dois essayer.

Je sens sa chaleur absorber la mienne.

Je sens mon esprit s’étirer, vaciller, se heurter à une force colossale.

Une mémoire. Un nom. Une douleur.

Et une image.

Des bras. Des baisers. Une nuit sans forme.

Des corps mêlés sous la lune.

Une femme ailée et un homme aux yeux d’or.

Je rouvre les yeux, haletante. Ma main toujours contre lui.

Il me regarde.

Et pour la première fois, je crois qu’il sait qui je suis.

Pas ici.

Pas maintenant.

Mais dans un autre monde.

Une goutte de pluie glisse sur ma lèvre inférieure. Je l’essuie du bout des doigts, puis les glisse sans y penser contre sa mâchoire. Une caresse. Un geste irréfléchi.

Il ne recule pas.

Et moi… je brûle.

Sous la pluie, sous la peur, sous l’

étrange douceur de cette nuit,

je suis en train de tomber.

Et je sais déjà que je ne me relèverai pas indemne.

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