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Chapitre 3 — Le souffle sous la peau

Author: Darkness
last update Last Updated: 2025-06-22 21:43:36

Lira

L’aube est pâle, fragile comme un soupir.

La pluie a cessé de tomber, mais l’air reste gorgé d’humidité, suspendu entre deux mondes. Je n’ai pas dormi. Je suis restée là, toute la nuit, le dos calé contre une souche, veillant son souffle rauque, écoutant ses frémissements. À chaque grognement, à chaque tressaillement de sa peau, j’ai cru le perdre. Et à chaque battement de mon cœur, j’ai compris un peu plus que je ne pourrai plus m’éloigner.

Il est toujours là, allongé dans le cratère fumant. Mais il est... différent.

Quelque chose a changé.

Je me redresse, lentement, le regard fixé sur lui. Les braises sous son corps fument encore. L’air autour vibre, épais de magie. Il tremble. Une vibration souterraine, presque imperceptible, agite ses écailles. Un frisson. Un craquement. Et puis — je recule d’un bond — son flanc entier se contracte, ses muscles se tendent, et un râle immense s’élève de sa gorge, brutal, presque humain.

Et je comprends.

Je comprends ce qui se passe.

Il se transforme.

Je reste figée. Je ne peux que regarder.

Et sentir mon ventre se nouer.

Les écailles se rétractent, lentement. Une à une, elles s’effacent dans l’air comme cendres volantes. Les membres se replient, la forme s’amincit. Le feu se retire sous la peau. Il gémit. Une plainte profonde, venue d’un autre monde. Et la magie pulse autour de lui, comme une marée chaude, brûlante, magnifique.

Puis le silence tombe.

Et il est là.

Allongé sur le sol trempé.

Nu.

Humain.

Ou presque.

Son dos est large, musclé, parsemé de marques sombres. Des cicatrices. Des glyphes anciens, gravés à même la chair, comme les vestiges d’un pacte oublié. Ses cheveux, noirs comme l’orage, retombent sur sa nuque trempée. Une ligne de pluie glisse le long de sa colonne vertébrale.

Je ne bouge pas.

Je regarde.

Je ressens tout.

Un souffle chaud court sous ma peau, dans mes veines, jusque dans mes ailes que je garde repliées pour ne pas trembler davantage. Il n’est plus une créature légendaire couchée dans la cendre. Il est homme. Et pourtant, quelque chose en moi sait qu’il pourrait encore brûler le monde s’il le voulait.

Il est couché sur le côté. Son torse se soulève lentement. Il respire, haletant. Son visage est tourné vers moi, ses traits détendus, presque vulnérables.

Et il est magnifique.

Pas dans la perfection lisse des elfes ou la grâce des sylvains. Non. Il est brut. Taillé dans la douleur. Dans la guerre. Sa beauté heurte. Sa peau est couleur d’orage, par endroits tachée de suie. Et je ne peux empêcher mon regard de le suivre — la ligne de ses clavicules, le creux entre ses hanches, la puissance évidente de son corps.

Je rougis. Mes ailes frémissent.

Il est nu, et je suis fée.

Je ne devrais pas le regarder ainsi.

Mais je ne peux pas m’en empêcher.

Il ne bouge pas.

Je m’approche lentement.

Je retire mon manteau détrempé. Je le secoue doucement, le plie, le pose sur lui pour couvrir ce que mes pensées refusent d’ignorer.

Je m’assieds à ses côtés. Mes jambes croisées, les mains sur les genoux, comme une novice face à l’inconnu.

Mais je ne suis pas une novice.

Et ce qu’il éveille en moi est tout sauf innocent.

Je tends une main. Je frôle ses cheveux.

Ils sont d’une douceur presque irréelle.

Soudain, il tressaille.

Ses paupières se soulèvent.

Et ses yeux me brûlent.

Dorés. Profonds. Incandescents.

Ils me traversent. Me déshabillent.

Pas mon corps. Mon âme.

Je retiens un gémissement. Mon cœur cogne plus fort que la pluie.

Il me regarde comme s’il m’avait cherchée toute sa vie.

— Tu es… murmure-t-il, la voix rauque, éraillée.

Je ne sais pas quoi répondre. Mes lèvres tremblent.

— Lira, soufflé-je.

— Je sais, répond-il. Simplement.

Deux mots.

Deux mots, et tout bascule.

Il ferme les yeux un instant, grimace de douleur.

Puis il les rouvre.

— Depuis que je suis tombé… je n’ai rêvé que de toi.

Un frisson me traverse.

Il ne ment pas. Je le sens. C’est inscrit dans sa voix, dans ses gestes lents, dans la manière dont il serre les mâchoires pour contenir ce qu’il ressent.

— Tu… tu me connais ?

— Pas avec ma tête. Pas comme un souvenir. Mais… mon corps se souvient de toi.

Il tend la main.

Sa paume frôle la mienne.

Je vacille.

Ce n’est pas un simple contact. C’est un effondrement. Une déchirure douce dans ma poitrine, un feu ancien qui se réveille sous la peau.

Je relève les yeux.

Il me regarde comme on regarde une étoile filante qu’on n’ose pas toucher.

Et dans le silence, je comprends.

Ce lien. Ce souffle entre nous. Cette chaleur.

Ce n’est pas de la magie ordinaire.

C’est plus ancien.

Plus dangereux.

Plus vrai.

— Tu ne devrais pas être humain, soufflé-je.

— Et pourtant je le suis. Ici. Avec toi.

Ses doigts glissent contre les miens. Nos mains se cherchent, se trouvent. Le monde se resserre autour de nous.

Pas de serment.

Pas de mot d’amour.

Mais un serment muet. Gravé dans nos veines.

Je m’approche. Lentement.

Mon front touche le sien. Sa chaleur est inhumaine.

Et pourtant, elle m’apaise.

Il ferme les yeux.

Je les ferme aussi.

Et dans le souffle de ce

tte aube étrange, alors que la forêt retient son cri, je murmure :

— Je crois que je t’ai attendu.

— Et moi… je suis revenu pour toi.

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