AelyaMaison de Silas, ancien village de TeralLa porte grince doucement quand il la referme derrière nous.Dedans, l’air est tiède, saturé d’odeurs anciennes.Cendres froides, bois sec, plantes suspendues aux poutres.Un chien lève à peine la tête près du poêle. Il ne grogne pas. Il sait.Nous ne sommes pas des menaces.Silas , le frère d’Eiran ôte son manteau trempé, l’accroche sans rien dire.Il ne parle pas tout de suite.Pas parce qu’il n’a rien à dire.Mais parce qu’il choisit ses mots, comme on nettoie une plaie avant de la refermer.Kael et moi nous installons près du feu qu’il ravive d’un geste méthodique.Les flammes lèchent les bûches dans un frisson léger.Le silence s’étire. Mais ce n’est pas un silence vide.Il est plein.De choses non dites. De souvenirs dans les murs.— Il écrivait toujours, dit enfin Silas.Sa voix est grave, râpeuse, presque douce.— Même quand il n’y avait plus rien à dire. Même quand tout semblait fini. Moi… j’avais arrêté d’y croire. Pas lui.Je s
Kael Sur le sentier du nordLes arbres se referment au-dessus de nos têtes comme une cathédrale effondrée.Le ciel n’est plus qu’une lueur grise entre les feuillages.Le vent souffle en soupirs, dans les branches mortes.Le sol est spongieux. Nos pas s’enfoncent, laissent une empreinte éphémère, vite absorbée par la terre.Et pourtant, nous avançons.Aelya est devant moi, droite, le carnet serré contre elle comme un talisman.Depuis que nous avons quitté l’abri, elle ne parle presque pas.Mais je sens.À la tension de ses épaules, à la manière dont elle se retourne parfois pour s’assurer que je suis là,qu’elle pense à chaque mot d’Eiran.À chaque souvenir inscrit dans ce carnet noir.Moi aussi.Je n’ai pas connu la guerre comme lui.Mais j’ai connu la perte. L’exil.La sensation que rien ne tient, que tout ce qu’on construit finit par s’effondrer sous les coups du silence.Et pourtant, cette lettre a changé quelque chose.Ce n’était qu’une poignée de phrases. Un adieu griffonné avan
AelyaLe feu est presque éteint.Kael dort encore, roulé contre moi, un bras passé autour de ma taille, comme s’il refusait de lâcher ce rêve. Son souffle est chaud contre ma nuque. Régulier. Confiant.Je ne bouge pas. J’écoute.Le souffle du matin glisse entre les pierres du mur, frais et léger.Les oiseaux n’osent pas encore chanter.Il y a dans cette heure un éclat suspendu, un fil tendu entre la fin de la nuit et le début du jour.Je me dégage doucement de son étreinte. Il ne se réveille pas.Je referme la couverture sur lui.Je sors.Dehors, la brume se dissipe lentement, révélant les formes inégales de la clairière, les pierres moussues, les branches griffant le ciel. Les feuilles encore trempées de rosée gouttent par endroits, comme si la nuit versait ses dernières larmes.Je longe le mur de pierre envahi de lierre, contourne le bâtiment.Un souffle d’air passe.Je m’arrête.Il y a là quelque chose. Une structure basse, presque avalée par la végétation.Un abri secondaire.Je m
KaelElle dort maintenant.Sa respiration est calme, régulière, presque musicale.J’ai gardé les yeux ouverts longtemps, incapable de trouver le sommeil.Non pas parce que je suis inquiet.Mais parce que je veux graver tout ça.Chaque instant.Chaque sensation.La tiédeur de sa peau contre la mienne.Le crépitement du feu qui s’éteint lentement.La façon dont sa main cherche la mienne, même dans le sommeil.Ce lieu.Cette trêve.Cette femme.J’aurais pu mourir mille fois.Mais je suis là. Et ce que je ressens n’a rien d’une survie. C’est une naissance.Une autre version de moi silencieuse, patiente, vivante.Je me lève sans bruit, enfile ma chemise encore un peu humide, noue les lacets de mes bottes. Je m’arrête une seconde sur elle, endormie, les bras autour de l’oreiller, les cheveux éparpillés comme des fils d’encre sur le drap rêche. Une partie de moi veut rester là, à la regarder, pour l’éternité. Mais l’air m’appelle.Je sors.La nuit est vaste.La lune s’est cachée, comme si el
AelyaJe me réveille avec le silence.Pas celui qui oppresse ou inquiète. Celui, rare, qui respire doucement entre deux battements du monde. Ce silence-là, je l’apprends, ne naît pas de l’absence mais de la paix. Il flotte entre la nuit et l’aube, quand rien n’est encore exigé, quand tout est encore possible.Kael dort toujours à mes côtés, le visage tourné vers moi, la bouche entrouverte, sa main abandonnée dans la mienne comme une ancre. Je le regarde longuement. Sa poitrine monte et descend lentement. Sa peau est marquée, encore, de ce qu’il a traversé. Mais son visage est apaisé. Presque juvénile. Et je me surprends à me demander quelle vie il aurait eue sans les combats, sans la douleur.Je me redresse avec douceur, sans le réveiller, et j’ouvre la porte de la cabane. L’air du matin me saisit frais, humide, pur. Une brume dorée s’élève entre les arbres. Chaque feuille scintille sous la rosée. Le monde, pour un instant, semble lavé de tout.Je m’assois sur les marches usées. Mes p
AelyaNous marchons jusqu’à ce que le jour bascule dans un crépuscule doré. La forêt nous accompagne, douce et vaste, bruissante de promesses muettes. Le silence entre nous n’est plus un poids, mais une respiration commune, une musique discrète que seul le cœur comprend.Quand nous quittons le grand chêne, je me retourne une dernière fois. Il est là, immobile, ancré, majestueux. Comme un gardien. Comme le témoin silencieux de ce que nous venons d’abandonner à ses racines : la peur, le poids du passé, le doute. Ce n’est pas un oubli. C’est un commencement.Kael me tend la main.Je la prends.Sans crainte.Un peu plus loin, à la lisière d’un vieux sentier couvert de mousse, nous découvrons une cabane abandonnée, à moitié dévorée par le temps. Le bois est gris, rongé, les volets pendent, battus par les saisons. Mais l’intérieur, pourtant, est sec, habité par une paix étrange. Un foyer de pierre, une table fendue, deux bancs couverts de lichen. Et surtout, un silence parfait.— On pourrai