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Efforts

EFFORTS !

Agbé se décide à aller se faire un portrait de Djifa afin d'accentuer sa recherche. Cette matinée, désertant le bureau, le voilà chez le portraitiste dans son atelier, et qui lui fait sur papier, une vraie représentation de sa perle rare perdue.

Il donne les indications comme il le peut de sa sollicitation au peintre pendant que celui-ci fait son travail. Quelques temps après, comme une photo, une représentation exacte du visage de Djifa sort de cette confusion de coups de crayon du peintre. Une vraie merveille, un bel art de talentueux artiste.

Agbé reçoit sa commande. Il paie le portraitiste très satisfait, va monter dans sa voiture et s'en va. Sa malchance, c'est de n'avoir pas soutiré plus d'informations à Djifa : son quartier de résidence, son contact téléphonique, sa rue, sa maison..., même ce qu'elle fait dans la vie.

La sonnerie du portail retentit dans la maison de Nubukpo. Abla sort ouvrir. Elle voit Dodo traînant avec lui, une valise ; sa voiture garée à quelques mètres. Elle se met contre un pilier de la guérite, bras croisés, et le regarde avec un certain mépris sans même lui adresser le petit salut.

-Voici les affaires de ta sœur. Je vous les apporte, lui dit-il.

Il laisse la valise puis s'en retourne sur-le-champ sans un autre mot de plus, sans rien attendre en retour non plus.

Crispée, Abla lui lance :

-C'est sûr, l'humain n'a pas de fond. Il est juste un petit trou, mais aussi insondable que l'immensité du Néant Sinistre. Et tu en es l'illustration parfaite. Après cet acte posé et que ma sœur, ta prétendue fiancée avec laquelle tu devrais te marier dans une semaine a disparu, nul ne sait encore où elle se trouve et que l'on s'inquiète, tu as pour seule préoccupation, de te pointer ici que tu ramènes ses affaires. Et dire que je t'admirais beaucoup et te vouais un profond respect malgré qui tu étais ! Ma sœur, elle t'a déjà sorti de ton trou et t'a lavé non ! Que ta voie te soit aplanie !

Dodo près de sa voiture déjà, se retourne la regarder puis, redresse sa chemise sur lui, et va au volant pour s’en aller.

Abla prend la valise de sa sœur qu'elle traîne à l'intérieur et referme le portail les larmes aux yeux, encore très affligée pour sa sœur !

Aux feux tricolores du rond-point de la BCEAO sur le boulevard du 13, le feu est rouge. Tout véhicule attend le passage au vert comme la tradition.

Agbé y est aussi, à son volant. Il prend une bouffée d'air, jetant son regard dehors en descendant la vitre. Le feu passe au vert, il reprend sa route.

Les minutes d’après, il arrive dans les parages de la place de l'indépendance. Il contourne le monument à une vitesse plus réfléchie, promenant son regard sur les alentours et vient garer du côté gauche du palais des congrès, face au monument. Il s'arrête juste là où il avait vu Djifa. Il tient le volant de sa main droite, puis pousse un profond soupir de désolation. Il baisse lestement la tête. Tout déçu, il la secoue avec langueur avant de la soulever du même geste indolent. Il prend une autre bouffée d'air, ouvre ensuite la portière et sort. Il fait quelques pas alanguis et revient se mettre sur le capot.

Son visage est expression de déception, de désolation, de désorientation et de fiel. Il y reste quelques instants et revient s'asseoir à la place de Djifa ; là même où elle était assise. Il y noie, perdu, son regard dans le lointain pendant une quarantaine de secondes. Une autre bouffée d'air à se donner du courage pour se lever, il retourne à sa voiture.

Portière ouverte, il tourne projeter encore son regard endolori sur les alentours du site avant de prendre enfin place et s'en aller.

Agbé est dans son lit ; dans ses mains, le portrait de Djifa qu'il contemple. Au chevet du lit, un peu plus haut au mur, un autre portrait plus agrandi dans un fourreau de glace est accroché. Il s'absorbe donc dans la photo quand il entend toquer à sa porte.

-Améa né va (que la personne vienne), répond-il.

La porte s'ouvre. Sessimé entre et le voit mi- couché dans le lit en train de contempler la représentation. Dans sa profonde solitude, devant cette représentation, il se recueille ainsi.

Sessimé pousse un soupir.

-Fogan ! l'appelle-t-elle.

Il tourne la tête regarder la sœur, pousse à son tour un soupir, et repose son regard sur la photo.

Sessimé va, bras croisés, s'asseoir auprès de lui dans le lit. Elle lui entoure son cou de son bras droit et lui pose la tête sur son épaule avant de lui parler tristement.

-Je viens de recevoir des messages de mes amis auxquels j'ai confié aussi la recherche. Ils n'ont rien vu de ses traces, fogan.

-Merci pour tout soutien que vous m'apportez, Koudzo et toi. De mon côté aussi, je ne trouve toujours rien.

-Et je vois que tu déprimes, fofo. J'ai très mal de te voir souffrir de la sorte pour cette femme. Alors que, la terrible trahison de ta femme et la dissolution de ton mariage dans lequel tu t'es tellement investi, ne t'ont pas autant affecté.

-Je ne sais pas, Sessimé. Et je ne sais vraiment quoi penser ou dire de tout ce chambardement. C'est comme si je vais devenir fou finalement ; si je ne le suis pas déjà. Les choses seraient mieux si je savais au moins sur son quartier de résidence. Mais là, rien, à part son nom, et la belle image que j'ai gardée d'elle. Même sur F******k, je saisis son nom dans la barre de recherche, elle n'y est pas.

-Qui sait, peut-être, elle a changé le nom pour se donner un pseudonyme avant de disparaître. Ou carrément, elle n'utilise pas sa civilité sur les réseaux sociaux.

-C'est exactement ce qui est le plus probant.

-Mais il faut que tu sois fort, s'il te plaît, fogan ! Ne te laisse pas abattre et ne désespère pas !

-[Soupir...!]

-Je t'ai fait à manger.

-Merci, mais franchement, je n'ai aucun appétit.

-Je ne te demande pas d'avoir appétit, fogan. Mais, de manger pour pouvoir garder énergies et aller de l'avant. Tu dois poursuivre le cours normal de la vie sans désespérer. Tu dois être fort pour pouvoir embrasser le soleil quand il va se lever.

Une larme lui coule en parlant à son frère. Elle sent aussi la morve pour renifler ; sa tête toujours sur son épaule.

-Arrête de pleurer pour moi, Sessimé ! Je vais mal mais je ne suis pas encore malade et gardant le lit, ou mort, s'il te plaît ! Maintenant, tu veux bien m'apporter ma nourriture ici ? Et on mange à deux.

Sessimé lève son regard, fixer son frère avec un petit sourire sur ses lèvres mouillées de larmes en coin. Ses yeux pétillent un peu de joie.

-C'est vrai ! s’extasie-t-elle.

Agbé lui sourit aussi et acquiesce de la tête. Elle se lève joviale et lui fait de la bise.

-Je t'aime, mon fofo. J'y vais !

C'est de l'orage fuligineux qui s'abat sur Agbé avec cette disparition de sa Djifa, fusionnée à l'air et évaporée dans la nature, nul ne sait où la retrouver. Néanmoins, il tient bien la rampe pour accomplir valablement la responsabilité qui l'incombe : la pérennisation de la destinée de sa famille en tant que fils aîné, et nommé suite à son mariage qui a été dissout, directeur général de l'entreprise de son père par ce dernier pour faire ses preuves et assumer la relève. Il y parvient donc à succès. Djifa perdue, il se réfugie dans le travail acharné pour empêcher la dépression de s'emparer de lui. Toutefois, il continue de la serrer fort dans son cœur, avec ferme conviction qu'il la retrouvera ; et elle seule fera son bonheur.

Sa réussite à la tête de l'entreprise ne peut pas être inaperçue. Son père, à l'heure du dîner, l'en félicite pour plus l'encourager.

-Agbévidé, je tiens à te féliciter pour la maison. Nos nouveaux clients sont satisfaits de nos services et c'est grâce à toi.

-Je le fais pour ma famille. Tu prends de l'âge, papa, et il faut que je me mette plus au travail pour pérenniser le bien-être de cette famille. Et c'est une fierté pour moi de te rassurer que je peux vraiment assumer.

-Je suis aussi fier de toi, Agbévidé. Au cœur de tout ce fatal tourbillon continuel, tu gardes encore la tête haute pour relever le défi requis. Tu es un homme, mon fils !

-C'est mon devoir en tant qu'aîné de cette famille que j'aime beaucoup. Je tiens aussi à remercier Koudzo qui assume bien au niveau de la communication. Ça permet plus de fluidité dans le travail, et me permet de gagner en temps pour offrir ensemble le meilleur aux clients. Les employés ne sont pas négligeables non plus.

Gbétiafa tourne un regard satisfait sur Koudzo.

-Ah, félicitations, Koudzo ! Tu as l'appréciation de ton supérieur hiérarchique. C'est très bien !

A son frère aîné à la maison et supérieur hiérarchique au travail, Koudzo répond :

-Fogan, je ne fais que respecter les ordres que tu me donnes en tant que mon supérieur de service. En plus, c'est mon travail aussi. Alors, il faut que je le fasse bien pour ne pas perdre mon emploi avec le chômage de ce pays.

-Voilà ce qui me rend fier de toi et me donne plus de confiance, lui retourne ravi, Agbé.

-Merci, les enfants. Je suis fier de vous. Surtout, le fait que vous preniez l'entreprise très, très au sérieux et vous y travaillez comme des employés qui se doivent ce sérieux pour mériter leur poste, et non des héritiers qui se retrouvent dans un héritage familial pour faire ce que bon leur semble, lance Gbétiafa à ses deux garçons.

Agbétõzounkè, la mère, intervient aussi pour placer un mot de félicitation à l'endroit de ses enfants qui travaillent main dans la main en tant que des frères unis et qui s'aiment vraiment.

-Je suis fière de vous pour cette attitude que vous avez. Gardez toujours cette complicité familiale et ce respect mutuel entre vous, mes enfants. N'oubliez pas, tant que vous resterez unis, rien ne pourra vous faire du mal ; rien ne saura causer du tort à cette famille !

-Sois sans crainte, maman ! la rassure l'aîné.

Sessimé ne veut pas non plus se mettre en marge de cette conversation plaisante. Elle se prononce aussi pour exprimer sa joie :

-Chaque jour, je suis si fière et si heureuse d'être de cette magnifique famille. Mes frères sont tous des amours. Je les adore ! Et Fogan est mon papa bien aimé.

-Mais, c'est notre papa à nous non ? Le trône appartient au prince héritier, et c'est lui le prince héritier. Donc, on doit apprendre à s'incliner devant lui d'ores et déjà. Et lorsqu'il montera sur le trône, lui apporter tout soutien pour mener à bien ce magnifique royaume que nos parents nous ont construit pour nous léguer, renchérit Koudzo.

Tous font honneur à Agbé pour lui témoigner leur amour toujours et leur soutien indéfectible dans tout ce qu'il traverse avant de se nourrir de tant d'abnégation pour ne pas se laisser abattre par les épreuves. Comblé, leur père leur redit :

-Vous êtes tous magnifiques, mes enfants !

-Vous ne savez pas à quel point je vous aime ! déclare encore Agbé.

Le téléphone du bureau se met à sonner. Agbé quitte du regard, son ordinateur de bureau et décroche :

-Direction générale CORE@P TOGO, bonjour !

-...

-Oui, demain à quatorze heures, le rendez-vous tient.

-...

-Très bien, rassurez-vous, madame, vous ne serez pas déçue. Vous êtes au meilleur endroit pour un service satisfaisant. Nous mettons déjà le cap à votre plus grand plaisir.

-...

-Merci beaucoup, madame. À demain !

À peine raccroché, sa porte est toquée. Sa secrétaire : mademoiselle GADO Sewa, entre sur lui dans le bureau, avec dans ses mains, une chemise.

-Excusez, monsieur, voici un courriel qui vient d'arriver pour vous et que j'ai tiré.

-Un courriel ? Donnez voir !

Il tend la main gauche pour prendre la chemise qu’il l'ouvre, et y jette un coup d'œil.

-Merci beaucoup, mademoiselle GADO, vous pouvez disposer !

Et pendant que la secrétaire s'en va, arrivée à la porte, il la rappelle :

-Excusez-moi, mademoiselle GADO !

-Oui, Monsieur ! répond Sewa en se retournant.

-Vous avez fini ce que je vous ai demandé ?

-Non, pas encore, Monsieur, mais ça ne saura tarder.

-Pas de souci. Vous avez jusque dans la soirée pour le finir, et bien. Appelez-moi le Chargé à la Communication, s'il vous plaît !

-Tout de suite, Monsieur. Et merci beaucoup !

La secrétaire sortie du bureau, Agbé retourne à ce qu'elle vient de lui apporter.

Quelques instants après, ça cogne de nouveau à la porte du bureau d'Agbé. Le Chargé à la Communication demandé fait son entrée sur lui.

-Vous m'avez demandé, monsieur le Directeur ?

-Toi aussi, arrête ça, Koudzo ! Je t'ai dit que quand on est seuls, il faut arrêter les protocoles et parlons entre frères.

En s'essayant dans un fauteuil devant le bureau, Koudzo retourne à son frère :

-Et là, je suis là alors, fogan !

-La dame a appelé à l'instant pour le rendez-vous de demain, et je lui ai fait le maintien sur quatorze heures comme prévu.

-C'est très bien ! Je suis déjà prêt de mon côté. Et si tu veux, je t'apporte mon rapport.

-Non, ne te dérange pas. C'est ton travail et tu l'as toujours bien fait. Un autre courriel vient de tomber. On a une nouvelle demande pour certains investisseurs étrangers. Jette-y un coup d'œil !

Il tend la note à Koudzo qui la prend et y jette aussi son coup d'œil. Il est exclamatif.

-Waouh ! Excellent ! Voici une belle affaire encore pour la boîte !

Agbé n'a pas su partager la même jovialité que son frère. Il est langoureux, et lui dit plutôt :

-Et je voudrais que tu t'en occupes, s'il te plaît ! J'ai le moral très bas.

Koudzo perd son enthousiasme, imprégné soudainement de l'humeur pâle de son frère.

-Toujours la Djifa ! N'est-ce pas, fogan ?

Agbé lève indolemment son regard sur son frère, pousse un profond soupir, puis replonge en lui, le regard sans lui répondre.

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