Home / Loup-garou / Frères de sang / Chapitre 5 – Le poids du jour (suite)

Share

Chapitre 5 – Le poids du jour (suite)

Author: L'invincible
last update Last Updated: 2025-06-10 22:49:08

Neriah

Le bureau s’éloignait derrière moi tandis que mes pas résonnaient dans le hall d’entrée, froid et impersonnel. L’ascenseur, lent et implacable, semblait avaler mon souffle au fur et à mesure que je descendais vers la rue.

Le fracas de la ville s’engouffrait dans mes oreilles, mais à chaque klaxon, chaque murmure, mon esprit ne cessait de revenir à lui. Liam. Son visage, ses mots tus, ce regard qui me brûlait plus fort que toutes les lumières.

Le froid mordait mes joues, mais je ne sentais rien. Le vent glissait sur mon manteau noir, le battement régulier de mes talons sur le trottoir scandait une mélodie lancinante. Chaque pas me rapprochait de cet appartement que je redoutais autant que j’aspirais à retrouver.

Je voulais fuir, me noyer dans la foule, mais c’était lui qui hantait mes pensées, qui creusait un vide ardent dans ma poitrine. Que faisait-il, en ce moment ? Pensait-il à moi, au poids invisible que nous portions tous les deux ?

Le trajet semblait interminable, chaque feu rouge devenait une pause insupportable, un moment où mon cœur s’emballait, comme s’il voulait s’échapper. Je serrai le sac contre moi, un geste presque désespéré, comme pour me raccrocher à une réalité tangible.

Enfin, la porte de l’immeuble se dressa devant moi, froide et austère. Je levai les yeux, retenant un souffle qui n’en finissait plus.

Au bureau, quelques heures plus tôt

Les regards se baissèrent dès que j’entrai dans l’open-space. L’agitation reprit comme par réflexe : des clics nerveux sur les claviers, des dossiers feuilletés à toute vitesse, des conversations chuchotées dans un silence artificiel.

— Bonjour, dis-je d’une voix calme mais tranchante.

Personne ne répondit, mais chacun me salua d’un mouvement de tête presque militaire. Camille, la seule à ne pas fuir mon regard, s’avança avec un dossier.

— Neriah, on a une réunion urgente à 14h. Le client veut revoir la proposition avant la signature.

— Très bien, dis-je sans lever les yeux de l’écran. Prépare-moi un résumé synthétique. Et surtout, que rien ne soit laissé au hasard cette fois.

Elle hocha la tête, avalant sa salive. Je savais que ma réputation me précédait : glaciale, exigeante, impitoyable. Je n’avais pas d’amis ici. Juste des collègues qui me craignaient autant qu’ils espéraient m’impressionner.

Un stagiaire passa à ma hauteur, trébucha presque. Je ne relevai même pas la tête. Il balbutia une excuse, puis disparut à toute vitesse.

Plus tard, dans la salle de réunion, tous étaient déjà en place. Je pris le siège principal, posant mon regard sur chacun d’eux avec une lenteur calculée.

— Alors ? fis-je d’une voix neutre.

Un silence de quelques secondes précéda la prise de parole de l’un des associés.

— Nous avons repris les chiffres. La marge est plus serrée que prévu.

— Montrez-moi, ordonnai-je.

Il tendit le document. Je l’étudiai, griffonnant des annotations rapides.

— Recalculez avec une clause escalatoire sur trois ans. Et majorez la première échéance de 5 %. Le client ne s’y opposera pas s’il veut sécuriser le contrat. Et s’il s’y oppose... il ne mérite pas d’être notre client.

Personne n’osa répliquer.

Un jeune juriste, visiblement nouveau, murmura :

— Mais… est-ce que ce genre de négociation agressive est soutenable à long terme ?

Je tournai lentement la tête vers lui. Il rougit, puis blêmit.

— Vous êtes ici depuis combien de temps ?

— Trois semaines.

— Alors écoutez et observez. Et peut-être qu’un jour, vous comprendrez pourquoi c’est moi qui suis à cette table, et pas vous.

Un silence de plomb s’abattit. Même Camille baissa les yeux.

Liam

Les dernières lueurs du jour s’éteignaient sur la ville lorsque je quittai l’immeuble. Le crépuscule étendait son voile gris sur les rues animées, mais dans mon esprit, tout était déjà sombre, lourd de silence.

Le trajet vers chez moi se déroulait comme une répétition mécanique. Mes pensées, elles, refusaient d’abandonner cette image qui s’imposait à chaque instant : Neriah, ses traits tendus, cette force fragile qui me fascinait et me consumait.

Je croisais des passants, des visages indifférents, mais je n’y prêtais pas attention. Mon cœur battait au rythme de cette tension latente, une douleur douce-amère, ce feu qui ne voulait pas s’éteindre.

La nuit enveloppait peu à peu la ville, et pourtant, c’était elle qui m’illuminait, malgré moi. Le silence de mon appartement m’accueillit, mais il n’était que le vide où résonnaient ses murmures, ses non-dits.

Je posai mes clés sur la console, la gorge serrée, et pour un instant, j’osai espérer qu’elle pensait à moi, qu’elle sentait cette même brûlure au fond d’elle.

Au bureau, quelques heures plus tôt

— Monsieur, la réunion avec le conseil d’administration commence dans dix minutes, fit la voix froide de son assistant.

— Très bien. Qu’ils m’attendent s’il le faut, répondis-je en ajustant ma cravate d’un geste sûr.

À son passage, les employés se figeaient. Certains feignaient de passer des appels, d’autres se réfugiaient derrière leurs écrans. Un mot, un froncement de sourcils suffisaient à les mettre en alerte.

Dans l’ascenseur, une assistante tenta de rompre le silence.

— Vous voulez que je vous transmette le dernier rapport en version papier ?

Je la fixai un instant.

— Je veux que vous le compreniez. Ensuite, vous me le transmettrez.

Elle se ratatina contre la paroi, hochant la tête.

Dans la salle du conseil, tout était prêt. Les visages, masculins pour la plupart, affichaient une certaine tension.

— Messieurs, commença Liam, nous sommes à un tournant. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : il nous faut agir vite, et surtout, de manière décisive.

Un des administrateurs, un vétéran à la mine sceptique, le fixa longuement.

— Et si nous ne vous suivons pas ?

Liam le fixa à son tour, sans un mot. Un long silence passa. Puis il répondit :

— Alors je rachèterai vos parts. Et vous quitterez ce bâtiment avant la fin de la semaine.

Un murmure inquiet parcourut la salle.

— Vous plaisantez ? demanda un autre.

— Ai-je l’air de plaisanter ?

Le silence se fit total.

Le poids du jour ne disparaissait pas avec la nuit.

Il s’accrochait à eux, dans chaque souffle, chaque regard volé, chaque pensée

qu’ils taisaient.

Et dans cette attente muette, dans cette solitude partagée, leur feu secret continuait de grandir.

Continue to read this book for free
Scan code to download App

Latest chapter

  • Frères de sang    Chapitre 77 — La bête qui s’éveille

    LiamLe silence qui suit son départ n’a rien d’un apaisement, il gronde dans ma poitrine comme une marée prête à tout submerger, il vibre dans mes os comme une menace sourde, et plus il dure, plus il m’étrangle. Kael s’est éloigné de quelques pas, mais il est encore là, massif, immobile, son ombre collée à la mienne, un poids qui m’empêche de respirer. Je sens la main de ma mère sur mon bras, ferme, mais légèrement tremblante, comme si elle savait déjà que rien ne pourrait empêcher ce qui arrive, comme si elle n’était plus qu’un fragile rempart avant la tempête.Puis le souffle change.Un pas, lourd, sec, résonne derrière moi, suivi d’un autre, et le bruit frappe la pierre comme le roulement d’un tambour funèbre. Je n’ai pas le temps de tourner la tête. Kael revient, plus rapide, plus brutal, et quand son épaule percute ma poitrine, c’est comme un choc de tonnerre qui m’arrache tout l’air des poumons. Mon corps bascule en arrière, mes talons raclent les dalles, et un son rauque m’écha

  • Frères de sang    Chapitre 76 — Le poids des ombres

    LiamLe silence après ces mots me dévore, il se déploie dans la cour comme une bête affamée, une tension palpable qui se colle à ma peau, qui s’enfonce dans mes os, et je sens mes muscles vibrer comme des cordes prêtes à rompre. Kael ne bouge plus, mais son immobilité est celle d’un prédateur, une attente calculée, un jeu où il tient la position la plus dangereuse, parce que je sais qu’à tout instant il peut fondre sur moi, et je sens cette menace pulser comme un second cœur dans l’air épais.Il penche la tête légèrement, ses yeux fixés dans les miens, deux braises froides où se reflète un éclat de mépris mêlé de curiosité. Ses lèvres s’étirent dans un sourire lent, cruel, qui me glace et me brûle en même temps.— Tu parles de ton âme sœur comme si elle était déjà tienne, souffle-t-il d’une voix qui glisse sur ma peau comme une lame fine, mais sais-tu seulement ce que cela signifie ? Penses-tu pouvoir porter ce poids ?Je serre la mâchoire, mon souffle devient plus court, mes poings s

  • Frères de sang    Chapitre 75 — Le Premier Regard

    LiamChaque pas que je fais dans la cour est un effort que mon corps refuse mais mon esprit ordonne, gravant dans mes muscles une vigilance crispée, chaque caillou sous mes chaussures semblant exploser sous le poids de l’anticipation. L’air y est encore plus dense, saturé de cette présence que je n’ai pas encore vue mais que je devine partout, se glissant dans chaque fissure du sol, s’agrippant aux murs, se tordant autour de mon souffle.Le portail derrière nous grince faiblement, comme pour souligner que le seuil est franchi, et je sens l’ombre de Kael se rapprocher, se condensant autour de nous. La cour s’ouvre, un rectangle de pierre ancienne, pavée irrégulièrement, ornée de statues aux traits indéfinissables, figures figées dans des postures de défi ou de supplication, qui semblent nous observer, qui semblent déjà juger notre audace.Ma mère s’avance, lente, mesurée, chaque pas résonnant d’autorité et de prudence. Son regard est un feu tranquille, une armure que je tente de copier

  • Frères de sang    Chapitre 74 — Le Seuil

    LiamLe moteur ralentit enfin, brisant le silence dense qui nous enferme depuis des heures. Devant nous, la route se resserre, s’enfonce entre les arbres aux troncs massifs qui se dressent comme des sentinelles, l’ombre de leurs branches entremêlées formant un plafond oppressant au-dessus de nos têtes. La lumière du jour s’étouffe, aspirée par cette forêt ancienne qui semble avaler jusqu’au ciel, et l’air change, plus saturé, plus lourd, chargé de cette tension électrique qui fait vibrer mes nerfs à vif.Je n’ai plus besoin de demander, je sais. Nous sommes arrivés.Mes doigts se crispent sur le volant, mes jointures blanchies, mon souffle saccadé, et pourtant je continue d’avancer, m’enfonçant dans cette obscurité qui n’a rien de naturel. À côté de moi, ma mère garde le visage immobile, les yeux fixés droit devant, mais je perçois la tension de ses épaules, la crispation de sa mâchoire, cette vigilance animale qui la rend aussi présente et tranchante qu’une lame tirée hors de son fou

  • Frères de sang    Chapitre 73 — La Route

    LiamL’aube s’ouvre comme une plaie dans le ciel, pâle et incertaine, et mes yeux brûlent d’avoir trop veillé, trop rêvé, trop attendu. La nuit m’a laissé pantelant, incapable de trouver le moindre apaisement, chaque seconde dévorée par son image, par la fièvre de la retrouver. Quand le téléphone vibre une nouvelle fois, quand la voix de ma mère me dit qu’elle est prête, c’est comme si tout basculait d’un seul coup, le futur se matérialisant, implacable, irréversibleJe ramasse mes affaires à la hâte, sans réfléchir, sans même savoir si j’emporte ce qu’il faut. Peu importe. Rien n’a d’importance à côté de ce qui m’attend. Ce qui brûle en moi n’a besoin d’aucun vêtement, d’aucun objet, d’aucune préparation. Ma mère m’attend dehors, immobile, droite comme une sentinelle, ses traits fermes, ses yeux pleins de cette résolution que je n’ai jamais su briser. Quand nos regards s’accrochent, je comprends qu’elle a choisi, qu’elle ne reculera pas, qu’elle est prête à marcher à mes côtés jusque

  • Frères de sang    Chapitre 72 — La Nuit Avant le Départ

    LiamLa maison est silencieuse, mais je ne trouve aucun repos. Mon corps est tendu comme un arc, chaque muscle vibrant d’une énergie que je ne peux contenir, chaque respiration une brûlure, chaque battement de mon cœur un tambour qui résonne pour elle. Je me laisse tomber sur le lit, la tête tournée vers le plafond, les yeux ouverts, incapables de fermer les paupières, et déjà ses souvenirs envahissent mon esprit, me consumant plus sûrement que tout feu.Je revois son visage, la courbe de ses lèvres, la douceur et la force dans son regard, la manière dont elle me trouble sans même chercher à me toucher. Mes mains se crispent sur le drap, mais ce n’est pas assez, rien ne le sera jamais. Je me relève, fais les cent pas dans la chambre, chaque pas résonnant dans le silence, chaque mouvement rappelant la brûlure qui me traverse de part en part.Je murmure son nom, doucement d’abord, puis plus fort, comme si la simple énonciation pouvait la faire apparaître, et chaque son qui sort de ma bo

More Chapters
Explore and read good novels for free
Free access to a vast number of good novels on GoodNovel app. Download the books you like and read anywhere & anytime.
Read books for free on the app
SCAN CODE TO READ ON APP
DMCA.com Protection Status